Année politique Suisse 1984 : Politique sociale / Population et travail
 
Droit de travail
La lutte contre les maladies et les accidents professionnels ainsi que l'amélioration des modalités de licenciement ont dominé les débats relatifs à la protection des travailleurs. Alors que l'utilisation toujours plus fréquente de nouveaux procédés industriels augmente les risques inhérants à certaines professions, une enquête du Fonds national révèle que rares sont les entreprises qui recourent aux services de médecins spécialisés. De même, la Société suisse de médecine, d'hygiène et de sécurité du travail constate l'existence de nombreuses carences dans le dépistage des nuisances chimiques ou biologiques. Dans un rapport, elle requiert l'officialisation à tous les échelons de la médecine et de l'hygiène du travail ainsi que le développement de filières de formation appropriées. La nouvelle loi fédérale sur l'assurance-accident (LAA) et son ordonnance d'application, entrée en vigueur au début de l'année devraient toutefois favoriser l'expansion de ces deux disciplines et le renforcement souhaité de la sécurité du travail [27]. De son côté, l'USS a lancé une campagne contre la multiplication des cancers d'origine professionnelle. Soutenue par un programme de mesures concrètes, elle vise dans un premier temps à sensibiliser les employeurs, les travailleurs ainsi que les autorités quant aux dangers liés à l'exposition sur les lieux de travail de substances présumées cancérigènes. Sur la proposition du conseiller national Carobbio (psa, TI), le Conseil fédéral a décidé de s'associer à cette action en élaborant un rapport en la matière. Le député Reiman (ps, BE), président de l'USS, a pour sa part déposé une motion préconisant l'introduction dans le droit du travail de mesures propres à protéger la personnalité du salarié. Il demande avant tout d'interdire la mise en place au sein de entreprises de dispositifs de surveillance du personnel [28].
L'humanisation des conditions de travail demeure l'un des objectifs prioritaires du mouvement syndical. Dans ce sens, la requête de la direction d'Ebauches S.A., adressée à l'OFIAMT et visant la levée temporaire de l'interdiction du travail de nuit des femmes pour deux de ses entreprises, a été accueillie par les représentants des travailleurs comme une véritable provocation. A l'appui d'arguments juridiques et médico-sociaux, ils ont tenté de prouver l'irrecevabilité d'une telle demande. Pour les associations patronales, au contraire, les impératifs de la concurrence étrangère, la concrétisation du principe de l'égalité des hommes et des femmes ainsi que l'anachronisme du droit du travail en vigueur plaidaient en faveur de son acceptation. Le Conseil fédéral a toutefois refusé de créer un précédent et invoqué le respect de la convention internationale qui proscrit le travail nocturne des femmes occupées dans l'industrie [29]. L'exécutif a également soumis en procédure de consultation son projet de révision du CO prévoyant l'extension de la protection contre les licenciements abusifs, présenté par ailleurs comme une alternative à l'initiative des syndicats chrétiens. Aucune des propositions gouvernementales n'est restée à l'abri des critiques. Les résultats de l'enquête révèlent toutefois les options diamétralement opposées de la gauche syndicale et politique d'une part et des milieux patronaux, suivis par les radicaux et les libéraux, d'autre part. Jugeant les mesures envisagées trop timides, notamment en égard du silence du projet quant aux licenciements collectifs pour cause économique, les premiers se sont prononcés en faveur de la réalisation des postulats de l'initiative. Quant aux seconds, ils défendent avec obstination le maintien du statu quo: toute limitation de la liberté de résiliation réduirait indûment la capacité d'adaptation structurelle des entreprises. Elle conduirait donc à une discrimination des employeurs comme des employés, en alourdissant les charges salariales pour les uns, tout en durcissant les critères d'engagement pour les autres. Bien que réticente, la majorité des cantons a pour sa part accueilli le projet favorablement. Celui-ci, contrairement à l'initiative, répondrait à la nécessité de renforcer la protection des travailleurs, sans pour autant menacer outre mesure l'efficacité du marché de l'emploi. Fort de l'aval cantonal, le Conseil fédéral a publié un message, dans lequel il reprend la majeure partie des dispositions de l'avant-projet [30].
Les résultats de la procédure de consultation relative à la réforme législative du service de l'emploi ont également été publiés. La plupart des cantons, des partis et des organisations interrogés a reconnu l'opportunité d'améliorer l'efficacité des offices publics de placement ainsi que la souplesse et la transparence du marché du travail. Seuls les représentants des employeurs, les radicaux et les libéraux ont catégoriquement rejeté ce projet, auquel ils reprochent son caractère centralisateur et interventionniste. La proposition, présentée comme l'un des points essentiels de la révision et visant à soumettre les entreprises de location de service au système de l'autorisation, a servi de cible à leur opposition. Pour les syndicats, au contraire, elle constitue une limitation nécessaire des abus dans le domaine du travail temporaire et une mesure de protection de l'ensemble des salariés. Prenant connaissance de ces orientations divergentes, le Conseil fédéral a toutefois chargé le DFEP de l'élaboration d'un message [31].
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Participation
Le dossier de la participation semble à nouveau dans l'impasse. Pour donner suite à la requête de la commission compétente du Conseil national, le DFEP a soumis en procédure de consultation l'avant-projet de loi sur la participation des salariés dans l'entreprise, au niveau de l'exploitation, élaboré en 1983 par un groupe d'experts. Conçu comme une solution de compromis, le texte proposé, loin de susciter l'enthousiasme, a ranimé les controverses en la matière. Si une très faible majorité des cantons, satisfaite de la priorité accordée à la voie contractuelle, a approuvé les mesures envisagées, d'autres ont pour leur part déclaré inutile la promulgation d'une loi qui reprendrait pour l'essentiel les dispositions en vigueur. Du côté des formations politiques, le PRD, l'UDC et les indépendants ont donné leur accord de principe. Le PDC, en revanche, a jugé le projet trop timoré, lui préférant la proposition défendue au Conseil national en 1980 par le député Biderbost (pdc, VS). Les libéraux ont refusé d'accréditer «une nouvelle limitation de la liberté économique». Quant aux socialistes, opposés à l'abandon d'une conception de la participation à tous les échelons de l'entreprise, ils ont réclamé un remaniement complet du texte. Partageant ces griefs, les organisations syndicales ont considéré les propositions des experts comme une simple manoeuvre de diversion et se sont opposés au projet. Les associations patronales ont toutefois adopté une attitude plus positive, tout en plaidant en faveur d'une élévation du seuil d'application de la loi, soit par une augmentation du nombre des employés nécessaire à la soumission d'une entreprise aux normes légales. Elles ont également manifesté leur opposition à la disposition de l'avant-projet prévoyant d'imposer à l'employeur l'obligation d'informer ses employés sur la gestion de l'entreprise [32].
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S.P.
 
[27] NZZ, 28.2.84; TLM, 28.2.84; 28.3.84; Vr, 10.5.84; Suisse, 11.5.84. Conférence internationale du travail, 70e session, Rapport V (I) : Les services de la médecine du travail, Genève 1984. USS, Sécurité et santé au travail. Propositions de l'Union syndicale suisse pour une meilleure protection des travailleurs, Berne 1984.
[28] USS, 9, 14.3.84; Vr, 30.8.84; voir aussi postulat Carobbio (psa, TI) (BO CN, 1984, p. 1417); postulat Mascarin, poch, BS (Délib. Ass. féd., 1984, II/III, p. 66 s.); motion Reimann, ps, BE (Délib. Ass. féd, 1984, V, p. 71; USS, 6, 15.2.84).
[29] Rapp. gest., 1984, p. 285 s.; TA, 11.1.84; VO (édition neuchâteloise). 2, 12.1.84; BZ, 28.2.84; VO, 12, 22.3.84; 38, 20.9.84; Suisse, 12.5.84; 17.8.84; 28.8.84; USS, 28, 26.9.84; voir aussi les réponses du CF (BO CN, 1984, p. 1455 s.). Dossier de la Centrale suisse d'éducation ouvrière: Trvail de nuit des femmes. émancipation ou exploitation?, Berne 1984. Concernant le rapport controversé de 1'OFIAMT sur les répercussions pour la santé du travail sur écrans, voir TA, 4.10.84; LNN, 22.10.84.
[30] Procédure de consultation: Vr, 6.2.84; NZZ, 17.2.84; 21.2.84; BaZ, 25.2.84; Lib., 24.3.84; RFS, 15, 10.4.84; USS, 18, 23.5.84. Résultats: presse du 10.5.84. Message: FF, 1984, II, p. 574 ss. Cf. APS, 1983, p. 140. Les travailleurs immigrés de la Fédération chrétienne des ouvriers sur métaux ont lancé une pétition de soutien à l'initiative des syndicats chrétiens (TLM, 21.1.84). Voir aussi les débats du CN concernant une convention de la Conférence internationale du travail visant à protéger les travailleurs contre les licenciements injustifiés (BO CN, 1984, p. 248 ss.) ainsi que Ch. Bacon, Le licenciement pour motifs économiques, Thèse Lausanne 1983, 1984.
[31] BaZ, 1.11.84; 24 Heures, 1.11.84; JdG, 8.6.84; NZZ, 9 et 10.6.84; 2.11.84; RFS, 28/29, 10.7.84.
[32] BaZ, 2.4.84; TLM, 2.3.84; NZZ,10.5.84; cf. APS, 1983, p. 140. Résultats de la consultation: Vat, 12.12.84; Bund, 27.12.84. USS : VO, 3,19.1.84; USS, 17, 16.5.84; SAZ, 46, 15.11.84. Comme alternative acceptable, l'USS a requis de la commission du CN qu'elle aborde, simultanément à son entrée en matière sur le projet précité, l'élaboration d'un article constitutionnel ouvrant la voie à une participation aux deux niveaux de l'exploitation et de l'entreprise. Position des associations patronales: SAZ, 4, 26.1.84; 36, 6.9.84; 47, 22.11.84.