Année politique Suisse 1984 : Politique sociale / Santé, assistance sociale, sport
 
Produits engendrant la dépendance
La lutte contre les produits engendrant la dépendance s'est intensifiée, mais les efforts restent insuffisants si l'on considère l'extension des problèmes médico-sociaux liés à la consommation abusive de ces substances. A cet égard, la priorité est toujours accordée à leur dimension thérapeutique tandis que l'on déplore le peu de réalisations concrètes sur le terrain de la prévention. La disproportion entre le budget limité affecté aux campagnes préventives et le coût social élevé de la prise en charge des alcooliques et des toxicomanes a même fait l'objet de nombreuses critiques. La Commission fédérale pour les problèmes liés à l'alcool a lancé un véritable cri d'alarme. La consommation de boissons alcoolisées a augmenté de 40% par habitant depuis la fin de la dernière guerre et le nombre des victimes de l'alcoolisme progresse parallèlement aux conséquences tant sociales qu'économiques du phénomène. Pour briser cette évolution, elle propose une stratégie de prévention massive, axée avant tout sur une action au niveau de l'offre, telle l'imposition de tous les alcools ou la réduction du nombre des points de vente et des débits. De plus, l'effet dissuasif de ces mesures devrait être renforcé par une meilleure mise en valeur des boissons non alcoolisées et l'élévation de l'âge légal minimum autorisant l'achat d'alcools. Doutant du caractère politiquement acceptable de ses propositions, la Commission prie toutefois la Confédération et les cantons de considérer davantage le point de vue de la santé publique dans l'élaboration future de leur politique à l'égard de l'alcool [3].
Dans le cadre de la nouvelle répartition de tâches entre la Confédération et les cantons, le Conseil national a décidé, contre l'avis du gouvernement et de la majorité de sa commission, de porter de 5 à 10% la part cantonale des recettes de la Régie fédérale des alcools, destinée à combattre les causes et les conséquences de l'alcoolisme. De même, face à l'ampleur de la polytoxicomanie, il est prévu d'étendre son affectation à la lutte contre l'abus des stupéfiants [4].
Conformément à l'appel lancé par l'Organisation mondiale de la santé, le nouveau directeur de l'Office fédéral de la santé publique, B. Roos, prévoit de renforcer la lutte anti-tabac. A cette fin, le Conseil fédéral a accepté d'étudier le projet de création d'une Commission fédérale pour le tabac, comme le demande le conseiller national Neukomm (ps, BE). De leur côté, les fabricants de cigarettes ont pris à témoin le dernier rapport fédéral sur la drogue, paru en 1983, pour condamner l'identification du tabac aux drogues. Jugé pernicieux, cet amalgame relèverait d'une banalisation irresponsable des dommages causés par les stupéfiants [5].
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Stupéfiants
Sur le terrain de la toxicomanie, les statistiques 1983 indiquent une nouvelle augmentation des dénonciations et des condamnations pour infraction à la loi sur les stupéfiants ainsi que celle des décès. Elles relèvent également une percée de l'héroïne et de la cocaïne sur le marché suisse de la drogue. La moyenne d'âge des consommateurs est pour sa part toujours plus élevée; cette tendance, commune à d'autres pays européens, semble indiquer une transformation de la signification sociale de la toxicomanie, qui progressivement se dissocie des seuls problèmes de la jeunesse. Enfin, le nombre des récidivistes s'étend; la drogue fait ainsi moins d'adeptes mais plus de dépendants. Face à ce constat, les cantons ont tenté de diversifier leurs moyens d'action. Au niveau de la prévention, certains d'entre eux ont donné la priorité à une éducation générale pour la santé ainsi qu'aux stratégies visant principalement le développement de la personnalité des adolescents. Des efforts d'information ont également été consentis, destinés aux jeunes mais toujours davantage aux parents, avec la collaboration du corps enseignant et des éducateurs spécialisés. De même, le réseau thérapeutique a été renforcé bien que des lacunes doivent encore être comblées [6].
Les procédés actuels de prise en charge des toxicomanes fortement dépendants se sont heurtés à de nombreuses critiques. Dans ce sens, les milieux intéressés ont tenté de faire le point sur le cadre institutionnel aménagé pour les soins des cas de dépendance. Réunis en colloque, tous ont constaté que les toxicomanes, dirigés d'office et à des fins thérapeutiques vers les établissements pénitenciaires, sont en surnombre et exposent leurs responsables à des difficultés organisationnelles et financières devenue insurmontables. Cela dit, aucun consensus n'a pu être dégagé quant au choix des méthodes de désintoxication et de réinsertion sociale les plus appropriées. Les autorités carcérales, minorisées, ont défendu la création d'institutions spécialisées. Celles-ci devraient assurer aux toxicomanes, réfractaires à toute intervention thérapeutique, l'infrastructure médicale nécessaire et des dispositifs de sécurité contre l'introduction en fraude de stupéfiants. Elles reconnaissent à cette solution l'avantage d'éviter la cohabitation jugée problématique de détenus toxicomanes avec ceux qui ne le sont pas. Outre son opposition à une telle «marginalisation», l'ensemble des éducateurs sociaux a également tenté de prouver l'inefficacité des mesures répressives sur le front curatif de la drogue, pour proposer des alternatives plurielles, orientées vers la «responsabilisation» et l'éducation des toxicomanes. Pour leur part, les médecins ont plaidé en faveur d'une séparation de la dimension pénale et médicale de la question [7]. Les Chambres ont approuvé l'initiative parlementaire commune du conseiller national Iten (pdc, NW) et du député aux Etats Hänsenberger (prd, BE). Elle visait à supprimer sans autre l'amende fiscale qui frappe tout trafiquant de drogue, en plus de la sanction pénale encourue pour infraction à la loi sur les stupéfiants. Le Législatif a motivé sa décision par l'iniquité de cette «double condamnation»: elle occasionnerait un travail administratif jugé excessif et placerait le condamné ayant purgé sa peine dans une situation financière difficile, susceptible de compromettre sa réinsertion sociale, voire d'encourager la récidive [8].
 
[3] Rapport de la commission : presse du 20.11.84 ; TA, 30.11.84 ; L'Hebdo, 48, 29.11.84; USS, 35, 21.11.84.89e Rapport sur la part des cantons au bénéfice net de la Régie fédérale des alcools : FF, 1984, I, p. 709 ss. Une étude de l'Institut suisse de prophylaxie contre l'alcoolisme sur «les modèles de boire» relève un certain glissement des habitudes: d'occasionnelle et collective, la consommation de boissons alcoolisées tend à devenir un instrument routinier de dérive individuelle (L'Hebdo, 48, 29.11.84; voir aussi NZZ, 22.9.84). Dernière phase de l'application de la loi révisée sur l'alcool, la publicité en faveur des spiritueux sera interdite dès le 1er janvier 1985 dans tous les bâtiments publics et dans toutes les installations sportives (Suisse, 15.8.84; cf. APS, 1980, p. 127).
[4] Répartition des tâches: BO CN, 1984, p. 123 ss; voir aussi supra, I, 1 d (Bund und Kantone).
[5] Suisse, 1.3.84; 1.6.84; 20.6.84; NZZ, 13.1.84; cf. aussi postulat Neukomm, ps, BE (BO CN, 1984, p. 983) et APS, 1983, p. 143 s.
[6] Statistiques et rapport 1983 des cantons sur les mesures thérapeutiques et préventives à l'égard de la drogue : les condamnations ont augmenté de 8 % par rapport à 1982 et les infractions dénoncées de 10 %. Le nombre de décès s'est élevé à 144, dont 55 pour le seul canton de Zurich, contre 102 en 1982 (presse du 15.11.84). Exemples de prophylaxie dans les communes: cf. TA, 20.1.84.
[7] SZ, 21.1.84; TA, 23.1.84; NZZ, 20/21.1.84; 24.1.84; LNN, 2.2.84; 1.3.84; 16.5.84; 23.10.84; BaZ, 5.7.84; voir aussi motion Hegg, an, ZH (Délib. Ass. féd., 1984, IV, p. 55). Controverses autour du traitement à la méthadone (Suisse, 29.1.84; 25.5.84). Voir aussi interpellation Landolt, udc, ZH (BO CN, 1984, p. 1430 s.). Egalement cf. supra, part I, 1 b (Strafrecht).
[8] Trafic de stupéfiants, «double pénalisation»: FF, 1984, II, p. 665 ss. ; BO CN, 1984, p. 150 ss. ; BO CE, 1984, p. 739 ss.; BaZ, 29.9.84. La pétition du «Verein Schweizerischer Drogenfachleute» visant également la suppression de la «double pénalisation» des traficants de drogues a été classée, son but ayant été atteint (BO CE, 1984, p. 305 s. ; BO CN, 1984, p. 1509); voir aussi motion Dafflon, pdt, GE (BO CN, 1984, p. 412 s). Le Conseil fédéral a publié un message et un projet d'arrêté concernant la poursuite de la contribution suisse au Fonds des Nations Unies pour la lutte contre l'abus des drogues (FF, 1984, III, p. 1017 ss.).