Année politique Suisse 1984 : Politique sociale / Assurances sociales
 
Assurance-maladie
Dans l'imbroglio des débats relatifs à la révision de l'assurance-maladie, la défense d'intérêts de nature corporatiste et les projets de modifications structurelles de la loi se sont mêlés aux tentatives parlementaires s'attachant péniblement à la recherche d'un consensus minimum. L'inflation constante des coûts de la santé et ses répercussions sur les catégories sociales les plus démunies ainsi que la situation financière de plus en plus précaire des caisses maladie sont autant de facteurs qui ont provoqué les prises de position les plus contradictoires. Afin d'infléchir cette tendance, le Concordat des caisses-maladie suisses a lancé une initiative en faveur «d'une assurance-maladie financièrement supportable». Pour que celle-ci mérite encore son appellation d'assurance sociale et populaire, le Concordat demande avant tout l'adoption de mesures efficaces pour lutter contre les dépenses somptuaires entraînées par certains traitements et par des factures exagérées, notamment une limitation des tarifs applicables aux actes techniques des médecins. Il exige également que la Confédération soustraie les subsides destinés aux caisses-maladie de la réduction linéaire de 5% opérée à titre de mesure de rigueur, soit une participation plus soutenue, capable d'assurer à celles-ci une base financière stable. Une augmentation des contributions cantonales devrait également concourir à l'abaissemént nécessaire des primes des assurés les plus défavorisés. Les auteurs de l'initiative se sont tòutefois refusés à déroger au principe de l'assurance fédérale facultative et ont rejeté un système de financement calqué sur celui de l’AVS [10]. Ces deux postulats ont empêché le parti socialiste et l'USS de se rallier au texte de cette initiative. Jugeant les défauts sociaux de l'assurance en vigueur de plus en plus criants, alors même que sa révision partielle leur semble n'apporter à court terme aucune réforme satisfaisante, ils ont conjointement lancé leur propre initiative «pour une assurance en bonne santé». La pierre angulaire du nouvel article constitutionnel proposé prévoit une assurance obligatoire, financée parles cotisations de l'ensemble des assurés, à proportion de leur revenu et bénéficiant d'Une aide publique accrue. Le projet se propose également d'améliorer les prestations et d'édicter des mesures propres à comprimer les coûts de la santé. La Confédération serait en outre chargée de veiller à une utilisation plus rationnelle des ressources de l'assurance. Le texte de cette initiative se distingue de celle, repoussée par le peuple en 1974, notamment par un système de financement moins rigide et une participation étendue aux non-salariés. Les associations patronales se sont d'ores et déjà opposées à cette formule. Elles refusent le financement de nouvelles charges sociales prélevées en pourcentage du salaire. Pour assainir le budget de la santé, elles ont réaffirmé la nécessité d'agir sur l'ensemble des facteurs qui permettraient de diminuer la demande des prestations médico-pharmaceutiques. De même, à leurs yeux, seul un système de subventions modulé en fonction des revenus serait susceptible de soulager les caisses de revenus inférieures [11].
La Commission du Conseil national, chargée du dossier, n'a pu surmonter cette évolution contradictoire. Face aux conflits d'intérêts qu'elle suscite, sans compter les nombreuses menaces de référendum, elle s'est enlisée. Ainsi pour tenter de sortir de l'impasse et apaiser l'irritation du Conseil fédéral, vu la lenteur de la procédure, une sous-commission a rassemblé dans un programme d'urgence toutes les propositions de révision jugées prioritaires. Ce train de mesures soumis au plénum entend principalement briser la spirale ascendante des coûts. Quant aux moyens retenus, le premier volet du projet met l'accent sur une meilleure harmonisation des tarifs médico-pharmaceutiques, une responsabilité accrue des cantons dans la planification hospitalière et une augmentation de la franchise de 10 à 20% à charge des assurés. Cette dernière mesure est néanmoins tempérée par une participation des pouvoirs publics plus soutenue. Le programme prévoit par ailleurs certaines améliorations des prestations, et notamment en faveur des soins maternité. Le deuxième projet de loi propose pour sa part l'introduction d'une indemnité journalière maladie et maternité obligatoire, financée en pourcentage du salaire. En revanche, sur le plan fédéral, l'assurance resterait facultative. Le principe directeur de ce programme minimal repose sur celui de l'égalité des sacrifices. Compromis fragile entre la gauche et la droite, le deuxième volet du projet, soit l'assurance perte de gain obligatoire, devrait compenser pour l'assuré les charges supplémentaires que lui impose la révision [12].
Au terme de ses travaux, le Conseil national a fini par adopter la majorité des propositions de sa commission. Par contre, le processus décisionnel, cause et conséquence de l'émiettement des fronts sur le terrain extra-parlementaire, s'est caractérisé par l'absence de fil conducteur, un climat d'incertitude et de flottement. Le refus d'entrée en matière de l'extrême-gauche, l'éclatement du consensus forgé avec difficulté en commission et le grand nombre de propositions d'amendements sont autant d'indicateurs qui révèlent l'existence de profonds clivages. Reflétant l'esprit des débats, les divergences d'intérêts en jeu se sont principalement concentrées sur le problème central du mode de financement de l'assurance. Pour se ménager la possibilité de lancer un référendum contre l'assurance perte de gain obligatoire, sans pour autant risquer de faire échouer l'ensemble du projet, les radicaux, suivis par l'UDC et la majorité des libéraux, ont approuvé le principe de la scission de la loi en deux dossiers distincts. Ils ont été désavoués par la gauche, les indépendants et une partie du PDC sur le score serré de 88 : 86. Toutefois, malgré l'opposition des forces de gauche, la Chambre s'est déjugée en seconde étape, en retenant la proposition des deux paquets par 87 voix contre 84. En définitive, le plénum a refusé par 117 : 49 voix de renoncer à l'assurance obligatoire projetée. Suite à l'examen du programme proprement dit, le Conseil national a accepté sous forme de postulat une motion de sa commission proposant de s'attaquer efficacement aux problèmes de la pléthore de médecins. De même, il a approuvé une proposition de la même commission qui, par voie de motion, donne mandat au gouvernement de soumettre aux Chambres un projet de financement de l'assurance des soins médico-pharmaceutiques prévoyant la répartition des subventions fédérales en fonction de la situation économique des assurés [13].
 
[10] Vr, 19.4.84; 24 Heures, 31.5.84; 18.6.84; NZZ, 1.6.84; BaZ, 9.6.84; 18.6.84; 23.6.84; TA, 22.6.84; LM, 23.6.84. Critiques: NZZ, 7.7.84. Cf. APS, 1983, p. 152.
[11] Initiative du PSS et de l'USS: SP VPOD, 37/38, 13.9.84; 40, 4.10.84; TAM, 8/9, 14.4.84; SZ, 13.7.84; 24 Heures, 13.7.84; USS, 24, 29.8.84; cf. APS, 1974, p. 130 ss.; 1983, p. 152. Associations patronales: RFS, 36/37, 4.9.84; NZZ, 4.9.84.
[12] Presse du 7.4.84. Menaces de référendum: L'Association suisse des médecins refuse que la lutte contre les coûts de la santé serve de prétexte pour anesthésier la médecine libérale. Les cliniques privées ont manifesté leur opposition à la prolifération des établissements de luxe et notamment à celles de l'«American Medical International» (24 Heures, 15.9.84). De son côté, le Concordat des caisses-maladies suisses a fait part de son intention de lancer un réf rendum contre le Programme d'urgence si la Confédération élargit les prestations de l'assurance sans pour autant assurer leur financement correspondant (TA, 26.1.84; LNN, 26.1.84; TLM, .10.2.84).
[13] BO CN, 1984, p. 1303 ss., 1802 ss. et 1838 ss.; RFS, 38, 11.9.84; 42, 9.10.84; 52, 18.12.84; USS, 30, 17.10.84; 39, 19.12.84; Dossier NZZ, 2.10.84; 3.10.84; 4.10.84; 5.10.84; 13.12.84; 14.12.84. Sur tous les objets relatifs à la planification hospitalière et aux contraintes tarifaires, la gauche a plaidé en faveur d'une centralisation des décisions au niveau fédéral et d'un renforcement des contrôles institutionnels alors que la droite a campé sur des positions fédéralistes et défendu la liberté de commerce et de l'industrie. Cf. en outre Ww, 17, 26.4.84; TA, 3.5.84; Bund, 22.9.84; 8.12.84; NZZ, 22.9.84. Voir aussi APS, 1983, p. 151. Répartition des tâches et santé : FF, 1984, III, p. 15 ss. ; J.H. Sommer / R.E. Leu, Selbstbeteiligung in der Krankenversicherung als Kostenbremse ? Diessenhofen 1984; H. Hauser (Hrsg.), Mehr Wettbewerb in der Krankenversicherung, Horgen 1984, ainsi que APS, 1983, p. 151.