Année politique Suisse 1984 : Politique sociale / Groupes sociaux
 
Politique à l'égard des étrangers
Au chapitre de la politique à l'égard des étrangers, le Conseil fédéral s'est efforcé de maintenir le cap de la stabilisation de la population étrangère résidante, avec pour objectifs prioritaires, d'endiguer le flux d'une nouvelle vague de xénophobie tout en tenant compte de l'insécurité régnant sur le marché du travail.
Les intentions gouvernementales se sont concrétisées notamment dans le projet d'une nouvelle réglementation de la main-d'oeuvre étrangère pour la période s'étendant de novembre 1984 à octobre 1985. Le Conseil fédéral, s'étant d'une manière générale estimé satisfait des résultats de sa politique de stabilisation pour l'exercice 1983/84 [1], n'a pas jugé opportun de modifier sensiblement l'ordonnance en vigueur. Il se proposait néanmoins d'introduire deux restrictions supplémentaires. Si l'effectif global des autorisations délivrées aux saisonniers devait rester identique, la clé de répartition entre cantons aurait été modifiée et avant toút au profit des cantons romands. Par contre, le gouvernement suggérait de ne libérer que 75% des autorisations à l'année et d'interdire le report d'une période à l'autre des permis non délivrés. Bien que le principe d'une stabilisation de la main-d'oeuvre étrangère ait rencontré l'assentiment de tous les milieux consultés, les dispositions prévoyant une réduction des autorisations à l'année ont fait l'objet de vives critiques. Les cantons romands et le Tessin ont invoqué qu'une limitation encore plus stricte des autorisations à l'année pourrait remettre en cause les efforts entrepris dans le domaine de la promotion économique et décourager l'implantation d'entreprises étrangères sur leur territoire. Ces arguments ont également été avancés par l'Union centrale des associations patronales et le PRD qui ont dénoncé le caractère trop rigide d'un projet propre à entraver le développement économique du pays. Pour sa part l'Action nationale (AN) a jugé toutes les mesures envisagées tout à fait insuffisantes. Du côté de l'Union syndicale suisse (USS), on s'est déclaré satisfait des prescriptions proposées tout en s'opposant à une augmentation du contingent des autorisations de courte durée prévues sans diminution de l'effectif-plafond des saisonniers. Le président de l'USS, F. Reimann (ps, BE) était déjà intervenu dans ce sens au Conseil national en 1983, pour demander une application plus stricte de la législation afin de lutter contre l'afflux massif des «faux saisonniers». Les Chambres ont néanmoins rejeté cette motion [2]. Face aux critiques réitérées des cantons et des milieux économiques, au cours de la procédure de consultation, le Conseil fédéral a assoupli quelque peu les mesures de contingentement envisagées pour la réglementation 1984/86. Il a ainsi décidé de libérer 85 % des autorisations de séjour à l'année au lieu des 75% prévus initialement. Parallèlement le Conseil fédéral a imposé une nouvelle échelle de répartition et s'est résolu à autorisèr le report des 20% des permis non utilisés en octobre 1984 sur la période suivante. L'USS a qualifié ces décisions de «fédéralisme déplacé» et s'est à nouveau prononcée pour une politique de stabilisation plus efficace [3].
Pour combattre le travail clandestin ainsi que son incidence négative sur la politique de stabilisation menée par les autorités fédérales, les Chambres ont accepté une motion Zehnder (ps, AG). Celle-ci exigeait que des dispositions pénales plus sévères soient prises contre les employeurs qui engagent de la main-d'oeuvre étrangère sans, autorisation. Des voix se sont toutefois élevées au Conseil des Etats pour s'opposer à des mesures propres à aggraver la pénurie de main-d'oeuvre dans des secteurs tels que le tourisme, la construction ou l'agriculture de montagne [4]. Par ailleurs, le député Miville (ps, BS) demande, par voie de motion également, que les travailleurs clandestins licenciés par leurs employeurs puissent bénéficier d'une protection sociale identique à celle des travailleurs indigènes. Il s'agirait en l'espèce d'éviter que l'employeur ne tire des gains substantiels de l'occupation illicite d'un travailleur étranger [5].
De nombreuses initiatives visant à favoriser l'intégration des immigrés dans la communauté suisse ont été entreprises à différents niveaux. Ces efforts se sont principalement exercés dans les domaines de la formation, de l'information et des droits politiques. Par le biais d'accords de coopération, l'USS, la Centrale d'éducation ouvrière ainsi que deux associations éducatives italiennes ont décidé d'élargir les possibilités de formation professionnelles, culturelles et syndicales accordées aux travailleurs étrangers. L'USS a salué la signature de deux conventions comme une étape importante dans la lutte pour l'égalité des droits et des chances des travailleurs immigrés et comme Puri des passages obligés pour diminuer les tensions entre autochtones et allogènes dans le monde du travail [6]. En ville de Berne, une société mixte, la «Türkisch-Schweizerische Gesellschaft», regroupant des ressortissants turcs et suisses, a été mise sur pied. L'esprit de cette démarche novatrice est d'assurer aux immigrés turcs particulièrement discriminés, une meilleure insertion dans la vie sociale suisse et de briser le ghetto culturel dans lequel elle est enfermée [7]. Par contre le feu vert donné par le législatif de la ville de Zurich à la création d'un «Forum pour les étrangers» a donné lieu à une polémique virulente entre les différentes formations politiques. Composé de représentants des différentes communautés d'immigrés, des partis et associations suisses de la ville, cet organe consultatif aurait dû permettre aux étrangers de se prononcer sur des sujets de politique communale les concernant. Il a été la cible de l'AN qui a lancé un référendum suivi d'une campagne de presse aggressive et émotionnelle pour s'opposer à la formation d'une institution «menaçant la souveraineté helvétique et laissant la porte ouverte au vote des étrangers». De son côté, l'UDC a également lancé un référendum pour s'opposer au projet en invoquant le refus «d'une bureaucratie inutile et trop coûteuse». La collecte des signatures a rencontré un enthousiasme surprenant et l'idée d'un tel Forum a été largement repoussée lors de la consultation populaire [8].
La Commission fédérale pour les étrangers (CFE) a fait part de son inquiétude face à la montée grandissante du péril xénophobe qui, savamment entretenu par les milieux nationalistes, mine les bases de sa politique d'intégration. Cespréoccupations ont également été partagées par le Centre de contact Suisses-immigrés qui, à Genève, a organisé une journée européenne contre la xénophobie et le racisme. Il est ressorti de cette rencontre la nécessité de multiplier les actions unitaires entre Suisses et immigrés et d'informer objectivement la population sur les problèmes rencontrés par les communautés étrangères. Une prise de conscience identique s'est imposée à l'occasion d'un séminaire sur les relations intercommunautaires institué à Strasbourg sour l'égide de la direction des affaires économiques et sociales du Conseil de l'Europe [9].
Au nombre des activités politiques des immigrés, on relèvera que la communauté italienne des cantons de Vaud et Fribourg a élu, pour la première fois au suffrage universel, ses nouveaux représentants aux Comités consulaires de coordination. Le scrutin a d'ailleurs été marqué par un faible taux de participation [10]. Pour leur part, deux des plus importantes organisations d'étrangers résidant en Suisse ont lancé une pétition à l'appui de l'initiative de l'USS pour les quarante heures [11].
 
[1] Suisse, 19.6.84. La population étrangère résidante s'élevait à fin 1984 à 932 386 personnes (1983: 925 551) dont 732 405 établis (1983: 716 265) et 199 981 titulaires d'une autorisation de séjour (1983: 209 286). En août 1984 la Suisse comptait également 100 753 saisonniers (1983: 100 056). Par ailleurs on comptabilisait à la fin de l'année 105 945 frontaliers (1983: 104 563). Cf. La Vie économique, 58/1985, p. 172 ss.
[2] Genève: Suisse, 24.8.84. Vaud: 24 Heures, 16.8.84; L'Hebdo, 36, 6.9.84. Saint-Gall: SGT, 22.8.84. Zoug: Vat., 28.7.84; SAZ, 35, 30.8.84. PRD: NZZ, 7.9.84. AN: Volk+Heimat, 11, septembre 84. USS: NZZ, 14.8.84; USS, 13, 11.4.84; 39, 19.12.84.
[3] Ordonnance 1984: RO, 1984, p. 1200 ss. Ordonnance 1983: voir APS, 1983, p. 155.
[4] BO CN, 1984, p. 413 ss.; BO CE, 1984, p. 453 ss.
[5] Délib. Ass. féd., 1984, V, p. 87. Voir aussi motion Meier (an, ZH), Délib. Ass. féd., 1984, V, p. 65; postulat Friedli (ps, JU), Délib. Ass. féd., 1984, V, p. 51 concernant les délais pour l'obtention des permis d'établissement.
[6] Il s'agit de l'Ente confederale addestramento professionale et le Centro italo-svizzero addestramento professionale; Suisse, 19.11.84; SP- VPOD, 23/24, 7.6.84.
[7] Bund, 19.11.84. Pour la situation des immigrés turcs en Suisse voir aussi NZZ, 3.4.84; TA, 2.2.84; plus général voir dossier du SZ, 16.11.84; 22.11.84; 29.11.84; 5.12.84. De son côté, le gouvernement jurassien a formé une commission temporaire chargée d'étudier la création d'un organe consultatif pour traiter de tous les problèmes liés à l'intégration des étrangers dans le canton (FAN, 17.10.84).
[8] Forum pour les étrangers: NZZ, 13.6.84; 22.6.84. A noter que ce genre d'institution fonctionne déjà dans quatre villes suisses : Bienne, Berne, Lausanne et Saint-Gall (TA, 20.7.84). De même à Flawil et à Roschach, dans le canton de Saint-Gall, deux commissions consultatives pour les étrangers ont été instituées. (Information, 2/84; 1/85) Référendums: NZZ, 14/15.7.84; Bund, 3.8.84; TA, 16.10.84. Résultats du scrutin: NZZ, 3.12.84; TA, 3.12.84. Toujours en ville de Zurich, l'AN, comme en 1975 et par voie de référendum part également en lutte contre l'allocation de bourses aux étrangers (Volk + Heimat, 15, déc. 84). De leurs côtés, deux associations d'étudiants zurichoises ont adressé au Conseil fédéral une pétition pour attirer l'attention des autorités sur les mesures discriminatoires dont sont victimes les étudiants étrangers (cf. infra part. I, 8a, Hochschule).
[9] BaZ, 24.8.84; VO, 46, 15.11.84; LM, 21.11.84. A noter encore qu'en décembre 1984, deux représentants de la deuxième génération des étrangers ont été nommés à la CFE.
[10] LM, 21.11.84.
[11] BaZ, 20.1.84; TLM, 20.1.84; voir supra part. I, 7a (marché du travail).