Année politique Suisse 1984 : Politique sociale / Groupes sociaux
 
Condition de la femme
L'élection d'Elisabeth Kopp, au Conseil fédéral, a incontestablement servi la cause d'une meilleure représentation féminine au sein des institutions politiques helvétiques. Cet événement, tout comme celui de la non-élection en 1983 de la socialiste Lilian Uchtenhagen, ont alimenté un large débat sur la condition de la femme dans le monde politique suisse [18]. Les prises de position et témoignages ont également été encouragés par la parution d'un nouveau rapport de la Commission fédérale pour les questions féminines. Assortie d'un historique des mouvements féministes suisses et d'un tableau des discriminations des femmes dans les médias et la recherche, cette étude décrit essentiellement le comportement politique au féminin dans notre pays. Ainsi au parlement, comme dans leurs activités partisanes, les femmes manifestent un intérêt particulier pour les domaines dits spécifiquement féminins, tels les affaires sociales ou pédagogiques, les problèmes touchant à la consommation et à l'environnement. Si l'on se réfère à leur attitude électorale, la solidarité féminine semble décroître dans la mesure même où croît l'égalité des droits. En conséquence, dans les différentes instances politiques, encore très fortement dominées par un mode de fonctionnement et des valeurs typiquement masculines, où elles ne représentent globalement que 10% des effectifs, les femmes craignent la marginalisation ou l'assimilation. En marge de la politique traditionnelle, institutionnelle et partisane, une majorité d'entre elles préfèrent la vie associative. Moins contraignante, elle permet aux femmes de mieux marquer leur différence et d'imprimer à leur engagement politique le sceau de leur originalité [19].
Dépassant le cadre de la politique au sens strict, les réflexions se sont à nouveau succédées pour soumettre la réalité économique, sociale et juridique à l'examen de l'article constitutionnel sur l'égalité des droits entre l'homme et la femme. Améliorations et résistances restent les deux références centrales de l'observation.
Dans le prolongement de ce nouvel inventaire des inégalités, de nombreux observateurs ont souligné ou critiqué la tendance à vouloir confondre la notion d'égalité des sexes avec un nivellement systématique, susceptible de menacer les droits acquis des femmes. En effet, l'article 4 de la Constitution a notamment été invoqué pour proposer de porter l'âge de la retraite des femmes à 63 ans et pour lever l'interdiction du travail de nuit féminin [20]. La traditionnelle manifestation de Berne, organisée à l'occasion de la Journée internationale de la femme s'est pour la première fois prolongée par un forum. Les nombreuses participantes, appartenant en grande majorité aux milieux des syndicats et des partis de gauche, ont violemment critiqué cette forme d'égalitarisme. Elles ont également réaffirmé leur opposition à l'intégration des femmes dans la défense nationale et plaidé à nouveau en faveur d'une libéralisation de l'avortement et d'une protection efficace de la maternité [21]. Au chapitre des revendications, Yvette Jaggi (ps, VD) a déposé une initiative parlementaire au Conseil national visant à assurer l'application effective de la loi sur l'égalité des salaires, par l'introduction de mesures d'exécution. En l'absence de protection contre les licenciements et dans un contexte économique de récession et de mutations technologiques, elle a relevé la nécessité de protéger les femmes qui recourent aux tribunaux pour faire valoir leur droit à l'égalité de traitement [22]. Dans sa volonté d'ceuvrer en faveur du libre accès à toutes les professions pour les femmes comme pour les hommes, l'Union syndicale suisse a pour sa part lancé une campagne dans sa presse pour influencer ses membres. Elle appelle à une réforme des mentalités, à la disparition progressive de la répartition traditionnelle des rôles et préconise une formation scolaire de base, identique et obligatoire pour les deux sexes [23].
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Avortement
Le dossier de l'avortement se trouve plus que jamais dans l'impasse. La procédure parlementaire a finalement conduit au statu quo législatif puisque le Conseil national, tout comme le Conseil des Etats en décembre 1983, a proposé le rejet de l'initiative populaire «pour le droit à la vie» et repoussé le contre-projet du Conseil fédéral. Les adversaires de l'initiative ont en effet refusé d'entériner un projet qui, prétendant lutter contre la «dégénérescence des moeurs», interdit toute forme d'interruption de grossesse. Selon l'avis de la majorité parlementaire, la Constitution ne saurait contraindre au respect d'un ordre moral qui n'est pas unanimement partagé, violer le droit à la liberté de choix et de conscience et contredire un fédéralisme de fait dans le domaine de l'avortement [24]. Malgré les blocages législatifs, une étude médicale et sociologique a relevé uné double évolution de la pratique des interruptions de grossesse en Suisse. Dans presque tous les cantons la libéralisation de l'avortement légal progresse alors que globalement le nombre des interventions accuse une baisse notoire [25].
 
[18] Election d'E. Kopp voir supra, part. I, 1c (Regierung); presse du 3.10.84. Non-élection de L. Uchtenhagen cf. APS, 1983, p. 20 ss.
[19] Femmes et politique: Suisse, 9.1.84; TLM, 8.2.84. Suite à la non-élection de L. Uchtenhagen, la conseillère nationale Y. Jaggi (ps, VD), a suggéré dans le journal «Femmes suisses» de réfléchir sur l'idée de la constitution d'un deuxième Conseil fédéral exclusivement féminin (JdG, 25.3.84; Tw, 26.6.84). Commission fédérale pour les questions féminines (ed.), La situation de la femme en Suisse: La politique au féminin, (Partie IV), Berne 1984; Prises de position critiques: NZZ, 1.11.84; 24 Heures, 31.10.84; LM, 31.10.84. Trois autres rapports de la Commission fédérale pour les questions féminines ont déjà été publiés (voir APS, 1982, p. 140 s.); voir aussi C. Torracinta-Pache, Le pouvoir est pour demain. Les femmes dans la politique suisse, Lausanne 1984.
[20] Egalité entre hommes et femmes: TLM, 8.3.84; NZZ, 9.4.84; 13.10.84; TA, 17.9.84; Vat., 31.10.84. Cf. aussi : SP-St-Gallen, Frau und Arbeit, St-Gallen 1984, ainsi que R. Wecker / B. Schnegg, Contribution à l'histoire du travail et condition de vie des femmes en Suisse, Basel 1984. Droit de vote: voir supra, part. I, 1b (Stimmrecht). Femmes et carrières: Suisse, 13.6.84. Femmes et formation universitaire: presse du 31.1.84 et infra, part. I, 8a (Hochschulen); voir aussi supra, part. I, 3 (Gesamtverteidigung). Droit matrimonial voir infra.
[21] Suisse, 11.3.84.
[22] Délib. Ass. féd., 1984, II/III, p. 17.
[23] PS, VPOD, 23/24, 7.6.84.
[24] BO CN, 1984, p. 604 ss. et 1010; BO CE, 1984, p. 416, voir aussi APS, 1982, p. 141 et 1983, p. 149 ainsi que supra, part. I, 1 b (Grundrechte). Sans attendre le vote populaire, les femmes du Syndicat suisse des services publics visent le lancement d'une nouvelle initiative soutenant la solution dite «du délai». Comme premier pas vers une libéralisation totale de l'avortement, elles prévoient de relancer l'idée d'une couverture des frais d'intervention par les caisses maladie et préconisent un système d'autorisations simplifié et plus rapide (24 Heures, 3.12.84).
[25] Suisse, 4.3.84; 24 Heures, 5.3.84; BaZ, 5.3.84.