Année politique Suisse 1984 : Politique sociale / Groupes sociaux
 
Politique familiale
Dans le domaine de la politique familiale, l'essentiel des préoccupations parlementaires s'est concentré sur l'élimination, en deuxième lecture, des divergences relatives à la révision du droit matrimonial. Au-delà des affrontements entre défenseurs inconditionnels de la communauté conjugale traditionnelle et partisans de l'égalité des droits personnels de chacun des époux, les débats ont été dominés par la volonté de clore définitivement un dossier qui mobilise les énergies depuis près de cinq ans et d'éviter le lancement de référendums éventuels. Les points d'accrochage se sont principalement cristallisés autour du choix du nom de famille, du droit de cité et sur la procédure de résiliation du bail ou l'aliénation du domicile familial [26]. Les concessions ont certes pris l'avantage sur les dissensions et le nouveau droit matrimonial a été mis sous toit avec un soutien massif des Chambres. Toutefois, les lourdes menaces de référendum qui ont plané sur les travaux du plénum ont fini par se concrétiser. Avant même la fin des délibérations, un comité référendaire s'est constitué, réunissant principalement des milieux extra-parlementaires de l'UDC, du PDC et du PRD et emmené par le député Blocher (udc, ZH). Son initiative a d'ailleurs été désavouée par son propre parti dont le groupe parlementaire soutient le nouveau droit matrimonial. Les motivations des opposants sont d'abord d'ordre moral. Le passage d'une conception patriarcale de la famille à :celle fondée essentiellement sur la notion d'époux partenaire, anticiperait sur la réalité et instituerait une protection abusive de l'arbitraire individuel aux dépens de la communauté conjugale. En outre, le nouveau régime légal de la participation aux acquêts et le nouveau droit successoral sont considérés comme hostiles aux entreprises de type familial et aux exploitations agricoles. De la contestation formelle au lancement officiel d'un référendum, le comité a néanmoins attendu d'obtenir le soutien des milieux économiques. Au terme de longs débats internes, l'Union suisse des arts et métiers s'est finalement ralliée aux raisons économiques invoquées par le Comité suisse contre un droit de mariage inapproprié. — Elle a été suivie par le bureau du Redressement national en dépit de l'hostilité véhémente de sa base, la Ligue vaudoise et diverses chambres de commerce. Le front référendaire s'est donc constitué avec peine, bon nombre d'organisations consultées ont refusé de destabiliser un vaste projet, patiemment élaboré. Pour tenter de contrer les attaques, une centaine de parlementaires ont constitué un groupe de travail avec pour objectif d'informer le public sur les aspects controversés du nouveau droit tout en s'efforçant de faire reconnaître ses avantages. Dans un même élan de solidarité, la plupart des députés aux Chambres ont publié un Manifeste en faveur de la nouvelle loi et l'Association suisse pour les droits de la femme s'est mobilisée pour parfaire l'information des citoyens sur ses applications concrètes [27].
Afin de promouvoir et de protéger plus efficacement les intérêts de la famille, le Conseil fédéral a donné suite à l'une des propositions contenues dans un rapport de 1982 sur la situation de la famille en Suisse. Il a ainsi mis sur pied un Service de coordination pour les questions familiales. Intégré dans la Section de protection de la famille de l'Office fédéral des assurances sociales, ce nouvel organe a été chargé de passer au crible toute nouvelle loi ou projet constitutionnel pouvant avoir une quelconque incidence sur la cellule familiale [28]. Par un de ses jugements, le Tribunal fédéral, sans remettre en cause le principe d'unité fiscale du couple marié, a invité les législateurs cantonaux à supprimer les désavantages fiscaux qui pèsent sur les couples mariés et à aligner leurs bordereaux d'impôts sur ceux des couples vivant en concubinage. Se basant sur ce nouvel arrêt, la conseillère nationale L. Robert (-, BE) a demandé au Conseil fédéral par voie de motion d'assurer l'équité fiscale entre époux et concubins, d'instaurer un système d'imposition séparé au sein du couple et d'inviter les cantons à adapter leurs législations fiscales au principe de l'égalité devant la loi. Dans sa réponse, l'Exécutif a stipulé l'impossibilité d'une véritable égalité dans ce domaine, mais s'est par contre déclaré favorable à un allégement fiscal des époux [29].
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Allocations familiales
Pour la troisième fois depuis 1959, le Conseil fédéral a chargé le DFI d'ouvrir une procédure de consultation sur l'institution éventuelle d'un régime fédéral d'allocations familiales. Cette décision fait notamment suite à une initiative du canton de Lucerne. La seule nouveauté de cet avant-projet soumis à l'examen des milieux intéressés réside dans la proposition d'octroyer une allocation pour chaque enfant, indépendante de la situation professionnelle des parents et d'organiser cette assurance suivant le modèle de l'AVS. La majorité des cantons, des partis et l'ensemble des associations d'employeurs ont à nouveau refusé la centralisation proposée ou relevé l'inutilité d'une telle modification. Le parti socialiste et les syndicats, bien que favorables à un système d'allocations familiales calqué sur celui de l'AVS, donnent la priorité à d'autres revendications sociales. Seuls Pro Familia et Caritas ont cautionné le projet sans réserve et demandé en outre une augmentation des prestations pour chaque bénéficiaire [30].
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S.P.
 
[26] BO CE, 1984, p. 124 ss.; BO CN, 1984, p. 1040 ss.; voir APS, 1983, p. 159 s.; FF, 1984, III, p. 18 ss.
[27] Référendums: TA, 22.3.84; 6.10.84; presse du 12.7.84; Ww, 32, 9.8.84; Vat., 22.8.84; NZZ, 25.8.84; SZ, 28.7.84; LNN, 11.10.84; de son côté, le petit parti conservateur de l'Union démocratique fédérale s'est également décidé de combattre par voie de référendum un régime matrimonial qui, selon lui, dégrade la conception même du mariage en portant atteinte au système hiérarchique de la famille. Voir aussi R. Campiche, Freiheit und Verantwortung in Partnerschaft, Ehe und Familie, (Studien und Berichte am Institut für Sozialethik des schweizerischen Evangelischen Kirchenbundes); Revue politique, 63/1984, No 2 et Domaine public, 761, 14.6.84.
[28] Vat., 26.7.84 ; APS, 1982, p. 142. Le Grand Conseil genevois a pris position sur l'initiative populaire du PDC «pour une véritable politique familiale». Lors de la phase du scrutin, le peuple a accepté un article constitutionnel libellé comme suit: La famille est la cellule fondamentale de la société, son rôle dans la communauté doit être renforcé. La gauche a fortement critiqué cet article par trop édulcoré par rapport à la solution initiale (APS, 1981, p. 194; voir aussi infra, part. II, 5 f.).
[29] Délib. Ass. féd, 1984, II/III, p. 71. Le CN J.-P. Maitre (pdc, GE), a déposé un postulat, co-signé par une centaine de députés, visant à une imposition plus juste du couple et de la famille (Délib. Ass. féd, 1984, V, p. 62).
[30] Procédure de consultation: presse du 23.2.84; RCC, 1984, p. 125 s., 207 ss. Résultats: Vat., 30.6.84; 4.8.84. Cf. APS, 1983, p. 153.