Année politique Suisse 1985 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
Principes directeurs
A l'occasion de cette rencontre, le président de la Confédération K. Furgler a rappelé les principes directeurs de notre politique étrangère basée sur la neutralité, l'universalité, la solidarité et la disponibilité. A cet égard, la recherche de la paix mondiale, sous la condition du respect des droits de l'homme, reste l'objectif prioritaire de notre diplomatie. C'est ainsi que la Suisse, avec d'autres pays neutres, a commencé à étudier la possibilité de lancer un satellite d'observation permettant de contrôler si Américains et Soviétiques désarment selon les accords qu'ils auraient préalablement signés. Un bilan, livré à l'opinion publique, rendrait compte régulièrement des éventuelles violations des engagements pris
[2].
La tournée entreprise par le chef du DFAE au Proche-Orient allait elle aussi dans ce sens. En allant expliquer dans des pays qui ne nous sont pas voisins les principes de notre neutralité et de notre disponibilité, toutes deux au service de la paix, P. Aubert s'est toutefois trouvé confronté aux critiques d'un certain nombre de parlementaires qui lui ont reproché des lacunes non pas tant dans la conduite de sa politique étrangère, une nouvelle fois très active, mais dans sa politique d'information
[3]. Le voyage de J.-P. Delamuraz aux Etats-Unis a lui aussi provoqué une petite polémique au sein de l'Assemblée fédérale. Certains parlementaires ont reproché au chef du DMF d'avoir tenu des propos au sujet d'une éventuelle participation de notre pays au projet de l'initiative de défense stratégique (IDS) américain qui auraient porté atteinte à notre politique de neutralité
[4].
Dix ans après la signature de l'Acte final d'Helsinki, les représentants des 35 pays signataires (tous les Etats européens à l'exception de l'Albanie, plus le Canada et les Etats-Unis) se sont retrouvés dans la capitale finlandaise pour dresser un bilan intermédiaire des travaux effectués dans le cadre de la
Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE). A cette occasion, le chef du DFAE a souligné que les espoirs suscités en 1975 avaient par la suite largement été déçus et continuaient à l'être. Il a toutefois tenu à rappeler que pour notre pays, les accords d'Helsinki n'avaient aucunement perdu de leur valeur, même s'ils n'avaient pas jusqu'ici été suivis d'effets concrets dans le domaine du respect des droits de l'homme. En faisant remarquer que cette violation des droits et des libertés fondamentales des individus est une source régulière de tension et de méfiance entre les Etats, P. Aubert a conclu que la sécurité ne pouvait, aujourd'hui comme hier, se concevoir sans la liberté
[5].
Les conférences tenues à Ottawa et Budapest ont confirmé les propos de notre conseiller fédéral. Dans la capitale canadienne, où les 35 Etats-membres avaient à débattre du problème des droits de l'homme, aucun document final n'est venu saluer les travaux des délégués. Une fois encore, les divergences de vue existant entre les deux blocs ont dominé le débat. Pour les pays de l'Europe de l'Est, la protection des droits des individus revêt une dimension collective et passe par le droit à la vie, au travail, à l'éducation et à la santé. Pour ceux de l'Europe de l'Ouest, elle revêt par contre avant tout une dimension personnelle qui postule le respect des libertés individuelles. A Budapest également, les participants n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur un texte commun à l'issue de leur forum culturel. Le document proposé par le groupe des neutres et des non-alignés (N+N), dont la Suisse fait partie, n'est finalement parvenu à rallier ni la sympathie du groupe du Pacte de Varsovie, ni celle de l'OTAN. La présidente de la délégation helvétique, J. Hersch, a déclaré, au cours de la conférence, que les échanges ou rencontres entre les différents milieux culturels des 35 pays représentés étaient selon elle bien plus importants qu'un éventuel accord culturel
[6].
La
Conférence régionale sur le désarmement (CDE) s'est poursuivie à Stockholm. La délégation soviétique a présenté en début d'année un projet de traité de «renoncement réciproque à l'emploi de la force». Notre pays a saisi cette occasion pour réaffirmer sa position sur le sujet, en soulignant que pour lui, la sécurité internationale ne pouvait pas pleinement se concevoir sans que les droits et libertés fondamentales garantis aux individus soient complètement assurés. En fin d'année cependant, une évolution positive s'est dessinée avec la constitution de groupes de travail coordonnés par les N+N. Allant dans le même sens, un nouveau paquet de mesures concrètes destinées à instaurer la confiance entre les camps a été présenté par la Suisse au nom des N+N. Celui-ci va plus loin que l'Acte final d'Helsinki et touche des domaines technico-militaires particulièrement sensibles. Devant l'importance acquise par le processus de la CSCE, un service spécial, directement subordonné au secrétaire d'Etat, a été créé en cours d'année au DFAE
[7].
Outre la rencontre à Genève de Ronald Reagan et Mikhail Gorbatchev, la Suisse avait déjà eu l'occasion d'offrir ses
bons offices aux deux superpuissances en début d'année en accueillant, dans la cité genevoise également, le secrétaire d'Etat américain George Shultz et le ministre soviétique des affaires étrangères Andrei Gromyko. Les entretiens des deux hommes, qui marquaient la reprise des pourparlers sur le désarmement interrompus treize mois plus tôt, ont permis d'aborder dans une ambiance favorable le sommet entre les deux Grands qui devait se dérouler dix mois plus tard. Les ministres britannique et espagnol des affaires étrangères se sont également retrouvés dans notre pays pour mener des négociations sur Gibraltar. A l'occasion de ses tournées en Afrique du Nord et au Proche-Orient, P. Aubert en a profité pour exposer notre disponibilité et nos bons offices. Il a offert ces derniers au ministre de la Justice du Liban N. Berri, leader du mouvement chiite, pour tenter d'obtenir la libération de quarante Américains détenus en otages par un commando chiite. En fin d'année, la Suisse assumait dix-sept mandats de protection d'intérêts étrangers. Le DFJP a quant à lui refusé d'octroyer le droit d'asile à l'un des onze soldats soviétiques capturés trois ans plus tôt par la résitance afghane et qui avaient été internés en Suisse sous les auspices du CICR. Le Conseil fédéral ayant réaffirmé sa volonté de ne renvoyer aucun de ceux-ci en Union soviétique contre son gré, une prolongation de son permis de séjour lui a cependant été accordée
[8].
Au chapitre de la défense des
Droits de l'homme, la Suisse a signé en début d'année la «Convention contre la torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants». Ce texte, adopté à fin 1984 par l'Assemblée générale de l'ONU, n'entrera en vigueur que lorsque vingt pays au moins auront confirmé leur signature. Selon celui-ci, tout Etat-partie s'engage à prendre des mesures efficaces pour empêcher les actes de torture sur son territoire. En outre, un comité de contrôle a été prévu qui sera chargé d'examiner les rapports que les pays signataires ont l'obligation de lui soumettre régulièrement. Au terme de la convention, il est prévu d'octroyer à cet organe la compétence d'aller enquêter sur place. Les Etats ont toutefois le droit de refuser cette disposition lors de leur adhésion. Le Conseil fédéral a recommandé en cours d'année aüx Chambres de ratifier ce traité sans réserve. Il propose en outre d'admettre aussi bien les plaintes venant d'autres Etats que celles déposées par de simples particuliers
[9].
Face à l'instauration de l'état d'urgence en
Afrique du Sud, le Conseil fédéral a réitéré sa «ferme condamnation de l'apartheid». Il est d'autre part intervenu auprès du gouvernement de Pretoria pour que toutes les personnes arrêtées pour des raisons politiques soient libérées. La Suisse ne s'est toutefois pas jointe aux sanctions économiques décidées par un certain nombre de pays
[10]. Comme nous l'avons vu plus haut, une délégation helvétique a pris part à la Conférence d'Ottawa (CSCE). Cette dernière n'a cependant débouché sur aucun résultat concret
[11].
A l'issue de la procédure de consultation, le Conseil fédéral a décidé de ne pas présenter aux Chambres, pour l'instant du moins, le premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. C'est principalement l'article 2 de celui-ci, garantissant le droit à l'instruction, qui a soulevé l'opposition des cantons et des associations économiques. Les cantons ont estimé que leurs droits en matière d'enseignement n'avaient pas à être restreints par une instance supérieure et qu'ils devaient garder la compétence de décréter, si besoin est, le numerus clausus. Par contre, les deux autres articles du protocole (droit au respect de la propriété et l'obligation d'organiser des élections libres et secrètes) n'ont pas été contestés. Le Conseil fédéral s'est attelé d'autre part à l'examen de trois autres protocoles additionnels en vue d'une éventuelle adhésion. Ceux-ci touchent l'interdiction de la peine de mort en temps de paix, l'amélioration des procédures visant la garantie des droits de l'homme et l'égalité entre homme et femme dans les lois. Là, la ratification devrait s'avérer plus facile
[12].
En raison de l'afflux croissant de réfugiés dans notre pays, le problème posé par l'octroi de
l'asile politique s'est insensiblement transformé en problème de politique intérieure. Par conséquent, le sujet sera évoqué ailleurs. Sur le plan international, il s'agit toutefois de souligner ici la ratification par le parlement de l'Accord européen sur le transfert de la responsabilité à l'égard des réfugiés. Celui-ci oblige les Etats signataires à délivrer un titre de voyage aux réfugiés qui résident régulièrement sur leur territoire. En outre, la délégation suisse au Conseil de l'Europe a présenté un amendement demandant la création d'un organe permanent s'occupant des problèmes des réfugiés. Celui-ci a été accepté par l'Assemblée parlementaire. Il doit encore l'être par le Comité des ministres. En novembre, le refoulement de 59 Zaïrois vers leur pays d'origine a quant à lui déclenché une forte polémique non seulement sur les méthodes employées par notre pays pour mener à bien ce genre d'opération, mais également sur le sort réservé à ceux-ci à leur arrivée à Kinshasa
[13].
[2] NZZ, 14.2.85; 14.3.85.
[3] BO CE, 1985, p. 398 ss. et 596 ss.; BaZ, 19.6.85; JdG, 4.10.85; Suisse, 23.11.85. Voir en outre SN, 1.8.85 (supplément «Die Schweiz in der Welt»); U. Altermatt, «Die Dynamisierung der Aussenpolitik unter innenpolitischem Gegendruck», in Civitas, 40/1985, p. 144 ss. Cf. également infra, Relations bilatérales.
[4] BO CN, 1985, p. 925 s.; LM, 5.4.85; 8.4.85; 10.4.85; 24 Heures, 11.6.85. Neutralité: cf. JdG, 8.11.85; B. Lempen, « Un modèle en crise, la Suisse», Lausanne 1985. IDS: K.R. Spillmann, «Von Abschreckung zu Abwehr. Star Wars — die absolute Sicherheit?», in Schweizer Monatshefte, 65/1985, p. 463 ss.
[5] BaZ, 30.7.85 ; JdG, 1.8.85; Suisse, 2.8.85 ; P. Aubert, «L'anniversaire de l'Acte final d'Helsinki», in Documenta, 1985, no 3, p. 5 s. Cf. APS, 1975, p. 47.
[6] Ottawa: NZZ, 19.6.85. Budapest: NZZ, 17.10.85; 30.10.85; J. Hersch, «Après le Forum culturel de Budapest», in Europa, 1985, no 11/12, p. 10 s. Cf. également BaZ, 15.10.85 (F. Dürrenmatt).
[7] Stockholm: Suisse, 30.1.85; TA, 12.2.85; NZZ, 22.6.85; 21.10.85; 14.12.85; 24 Heures, 16.11.85. Voir APS, 1984, p. 43. Service CSCE: 24 Heures, 7.3.85.
[8] Rencontre Shultz-Gromyko : TA, 10.1.85. Gibraltar et mandats de protection : Rapp. gest., 1985, p. 18 ss. Otages américains: 24 Heures, 21.6.85; 28.6.85; SGT, 6.7.85. Soldat soviétique: BO CN, 1985, p. 1301 s.; NZZ, 30.1.85.
[9] FF, 1985, III, p. 273 ss.; BaZ, 6.2.85; 24 Heures, 18.2.85; 31.10.85. Cf. en outre NZZ, 13.2.85. Amnesty International a déposé une pétition munie de 80 000 signatures demandant aux autorités fédérales d'intensifier leurs efforts pour abolir la torture (24 Heures, 11.12.85).
[10] BO CN, 1985, p. 1458 s. et 2070; 24 Heures, 15.8.85 ; BaZ, 11.9.85. Le mouvement antiapartheid de Suisse a déposé une pétition munie de 17454 signatures pour des sanctions économiques contre l'Afrique du Sud (LM, 25.9.85).
[11] Voir supra, Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe.
[12] BO CN, 1985, p. 2260 s.; BaZ, 27.6.85; A. Muheim, «Warum die Schweiz die Sozialcharta endlich ratifizieren muss», in Europa, 1985, no 1/2, p. 14 ss.; H. Stranner, «Ratifizierung von Menschenrechten scheitert an innenpolitischen Hürden », in Europa, 1985, no 7/8, p. 4 ss. Le système de la Landsgemeinde n'est pas touché par ce protocole. Cf. APS, 1984, p. 44 s.
[13] Accord européen: BO CE, 1985, p. 104; BO CN, 1985, p. 1792 ss. Cf. APS, 1984, p. 46. Organe permanent au Conseil de l'Europe: Europa, 1985, no 9/10, p.4 s. Zaïrois: Suisse, 10.11.85; 12.11.85; 16.11.85; 17.11.85; 21.11.85; 22.11.85; 30.11.85. Asile politique: voir infra, part. I, 7d (Réfugiés).
Copyright 2014 by Année politique suisse
Ce texte a été scanné à partir de la version papier et peut par conséquent contenir des erreurs.