Année politique Suisse 1985 : Politique sociale / Groupes sociaux
 
Politique familiale
Avec la votation sur la révision du droit matrimonial et successoral, la politique familiale s'est trouvée au centre d'un vaste débat contradictoire, dont l'enjeu a été défini parla conseillère fédérale E. Kopp comme l'un des plus importants de l'histoire juridique récente. L'ultime mouture de la réforme, votée aux Chambres en 1984 à la quasi-unanimité, n'a pu se soustraire au verdict populaire, rendu nécessaire par l'aboutissement du référendum. Aux opposants de départ, emmenés par la figure de proue du comité référendaire Ch. Blocher (udc, ZH) et soutenus par l'USAM et l'Union démocratique fédérale, se sont officiellement ralliés le Parti libéral et l'Action nationale. Divisés sur les motifs de leur opposition et sur les solutions à apporter pour remédier aux inadéquations présumées du nouveau droit, la majorité des adversaires a toutefois tenté de se défaire de l'image de conservateurs, hostiles à l'égalité des partenaires au sein du couple. Elle a donc concentré l'essentiel de ses arguments sur les règles d'ordre pécuniaire contenues dans la réforme et cherché à se rassembler autour d'une alternative susceptible de l'améliorer. Mais la base éthique du projet a également servi de cible à ses critiques. Ainsi, la conception du mariage proposée imposerait une forme de «partenariat» et une interchangeabilité des responsabilités conjugales qui, en assurant aux époux un maximum d'indépendance, sacrifierait dans une large mesure le principe de l'unité de la communauté familiale au profit d'une sorte de légalisation de l'union libre. De même, les attributions octroyées au juge, comme mesures de protection de l'union conjugale, ont aussi offert aux opposants l'un de leurs arguments mobilisateurs. Outre qu'elles symboliseraient le caractère séparateur du nouveau régime, elles concourraient à une socialisation abusive de la sphère privée tout en confinant les individus dans un statut d'irresponsables. Toutefois, la campagne de contestation s'est avant tout cristallisée sur les prétendus défauts du nouveau régime légal de la participation aux acquêts et des nouvelles dispositions en matière de succession. Ces dernières ont été particulièrement prises à partie par la critique: l'amélioration de la position du conjoint survivant qu'elles postulent a été jugée néfaste à la survie des petites et moyennes entreprises ainsi qu'à celle des exploitations agricoles [18].
La plupart des formations politiques a toutefois décidé de défendre le nouveau droit et de défier les détracteurs sur leur propre terrain. Dans ce sens, elles ont fustigé le caractère partiel, voire tronqué, de leurs arguments qui, en évacuant à dessein une appréciation globale de la révision, érigeraient en généralité des cas extrêmes. A la base de leur engagement en faveur de la formule négociée au parlement, les partisans ont avant tout relevé que celle-ci établissait une combinaison politiquement acceptable entre, d'une part, la mise en application du principe d'égalité entre l'homme et la femme au sein de la famille et, d'autre part, la nécessité de renforcer l'union conjugale. Cette réforme présentait en outre l'avantage d'adapter l'actuelle législation du mariage aux changements de société intervenus depuis son entrée en vigueur en 1912. La souplesse de la nouvelle loi permettrait également à chaque ménage de fixer des règles amendables selon sa situation économique. Le cadre légal proposé, en refusant d'imposer un modèle familial unique, aurait ainsi par vocation première de ne s'appliquer qu'en cas de décès, de crise de l'union ou de conflits d'intérêts matériels [19].
Le 22 septembre, 54,7% des votants ont approuvé le nouveau droit matrimonial et successoral. La Suisse des villes et les cantons latins sont parvenus à imposer cette mise à jour du Code civil à la Suisse des campagnes, des arts et des métiers. Un sondage, effectué à l'issue du scrutin, a notamment révélé que le comportement électoral des femmes a favorisé l'échec de la majorité des votants masculins qui, pour sa part, s'est opposée au projet. Le motif général de l'égalité a par ailleurs constitué le facteur explicatif déterminant des adeptes victorieux du oui [20].
Tandis que cette consultation populaire permettait de franchir la quatrième étape de la révision globale du droit de la famille, les premiers jalons en direction d'une modification des dispositions relatives au divorce étaient posés. D'ores et déjà programmée, cette révision sera pour le législateur l'occasion de réexaminer, entre autres questions, celle de l'attribution des enfants, ainsi que celle du rôle de la faute en matière de divorce. A cet égard, il convient de relever que le Conseil national a accepté sous forme de postulat une motion Fetz (poch, BS), laquelle propose au gouvernement de simplifier la procédure de séparation et d'éliminer le principe de la faute lors de l'appréciation des demandes de divorce. La chambre du peuple a également transmis au Conseil fédéral une pétition du Mouvement de la condition paternelle. Celui-ci s'élève en effet contre l'idée préconçue, dont s'inspire le droit en vigueur, selon laquelle le rôle de la femme est de rester à tout prix auprès de ses enfants. Pour éviter ses méfaits, le mouvement revendique l'adoption de mesures qui défendent plus équitablement les intérêts des pères lors de l'attribution de l'autorité parentale ou des droits de visite [21].
En cours d'année, de nombreuses voix se sont élevées pour déplorer que les déclarations partisanes visant à revaloriser la politique familiale restent trop souvent lettre morte. Une dynamique semble toutefois s'être créée au sein de la classe politique en vue d'améliorer concrètement l'assise financière des familles par le biais de la fiscalité. A la base de l'accélération des efforts entrepris dans cette direction se trouve un jugement, rendu l'année précédente par le Tribunal fédéral, selon lequel il conviendrait de supprimer les disproportions entre l'imposition des couples mariés et celle des personnes vivant en concubinage. En effet, l'Office fédéral de la statistique qui, pour la première fois, a traduit en chiffres précis les charges fiscales des concubins, a relevé que ces derniers payaient en moyenne aux cantons et aux communes des impôts de 10 à 15% inférieurs à ceux des conjoints mariés rémunérés de manière identique. Au niveau de la taxation fédérale, cette différence s'élevait même, dans les cas extrêmes, à 60%. Le Conseil national a transmis un postulat au Conseil fédéral demandant que la révision en cours de la loi sur l'impôt fédéral direct s'attache à assurer l'égalité de traitement entre couples mariés et non-mariés. Chargée du dossier de la réforme, la commission du Conseil des Etats a également suggéré de nettes corrections en la matière. Le PRD a pour sa part lancé une initiative «en faveur d'impôts fédéraux plus équitables pour les couples mariés et la famille» [22].
Se rapportant aux dispositions de la dernière révision de la loi fédérale sur les allocations familiales dans l'agriculture (LFA), adoptée en 1983, le gouvernement, par voie d'ordonnance, a créé les bases nécessaires à l'institution d'un échelonnement flexible des limites de revenu en faveur des petits paysans. Contrairement à la réglementation en vigueur, les agriculteurs qui exercent une activité à titre principal ou accessoire, dont le revenu excède le seuil légal, pourront dorénavant bénéficier d'allocations pour enfants, dans des proportions toutefois réduites. Une commission du Conseil national, pour sa part, a déposé une motion proposant une fois encore d'étendre le champ d'application de la LFA aux indépendants n'appartenant pas à l'agriculture et aux personnes sans activité lucrative [23].
 
[18] Aboutissement du référendum: FF, 1985, I, p. 583 ss.; cf. APS, 1984, p. 152 s. Positions et arguments contre: Bund, 12.1.85; 19.2.85; NZZ, 19.4.85; 12.6.85; 30.8.85; LM, 5.5.85; NF, 6.5.85; BZ, 12.9.85. Comité suisse contre un droit du mariage inapproprié, Pourquoi rejeter le nouveau droit matrimonial, Berne 1985.
[19] Commission fédérale pour les questions féminines, «Nouveau droit matrimonial—catalogue d'arguments », in Questions au féminin, no 1, avril 1985 ; Comité vaudois du 14 juin, «Le nouveau droit matrimonial », in Domaine public, 761, 7.2.85 (numéro spécial); Revue politique, 64/1985, no 2; NZZ, 31.1.85; 25.6.85; 27.6.85; 5.9.85; presse du 27.3.85; SZ, 14.8.85; VO, 35, 4.9.85; BaZ, 10.9.85; 24 Heures, 10.9.85. Paroles des partis: pour: le PS et l'extrême-gauche, le PDC, l'AdI, le PEP et le PRD à l'exception de ses sections de SZ et TG. L'UDC s'est elle aussi prononcée en faveur du projet, mais la plupart de ses sections cantonales ne l'ont pas suivie. Contre: PL (sauf NE et GE), AN, Républicains (Paroles des partis pour les votations fédérales, Documentation du Centre de recherche de politique suisse à Berne). Voir J.F. Perrin, Comparaisons pour la réforme du droit matrimonial, Lausanne 1985.
[20] FF, 1985, II, p. 1437 ss.; Vox, Analyse de la votation fédérale du 22.9.85, Zurich 1985.
[21] Motion Fetz: BO CN, 1985, p. 1816. Pétition: BO CN, 1985, p. 1232.
[22] SGT, 7.8.85; NZZ, 28.8.85; D. Yersin, L'imposition du couple et de la famille, Berne 1985. Initiative des radicaux: cf. supra, part I, 5 (Direkte Bundessteuer); Revue politique, 64/1985, no 3. Le CN a transmis comme postulat une motion de L. Robert (écol., BE) demandant d'assurer l'équité fiscale entre époux et concubins (BO CN, 1985, p. 722 ss.). Cf. APS, 1984, p. 153.
[23] RO, 1985, p.318 s.; NZZ, 5.3.85; voir aussi APS, 1983, p. 153. Délib. Ass. féd, 1985, IV, p. 38. Enquête statistique auprès des cantons portant sur leurs caisses d'allocations familiales (RCC, 1985, p. 627 ss.). Afin de mesurer l'impact de cette institution dans le concept social suisse, voir «Les réglementations cantonales sur la durée minimale du travail pour l'octroi des allocations familiales et le droit aux allocations en cas d'activité à temps partiel», in RCC, 1985, p. 569 ss., de même que «La durée du droit aux allocations familiales selon les lois cantonales», in RCC, 1985, p. 513 ss. et SAZ, 8, 21.2.85.