Année politique Suisse 1985 : Politique sociale / Groupes sociaux
Jeunesse
Dans la tentative de restaurer le dialogue entre générations et de rapprocher les différentes composantes d'une jeunesse elle-même fragmentée, la version suisse de
l'Année internationale de la jeunesse s'est essentiellement structurée autour de la thématique générale de la participation. Les principaux intéressés ont été appelés à s'imposer sur la scène politique en tant que véritable partenaire, à exprimer leurs propres revendications et à se mobiliser en vue de définir de manière concertée les moyens susceptibles de favoriser leur insertion sociale. Réciproquement, les instances dirigeantes ont été invitées à procéder à une démocratisation effective du pouvoir, en faveur de la jeune génération. En effet, selon certaines analyses, seuls la reconnaissance sociale de la jeunesse ainsi qu'un processus de décision à tout niveau plus perméable à ses initiatives permettraient d'éviter les dangers liés à une perte d'identité politique et, à fortiori, les risques latents d'une nouvelle flambée de mouvements contestataires
[33].
Partageant cette interprétation toute théorique de la participation, le Cartel suisse des associations de jeunesse (CSAJ) n'a cessé de s'activer tout au long de l'année dans l'espoir que celle-ci se traduise par la concrétisation d'un certain nombre de ses postulats. A cet égard, il a présenté au gouvernement un avant-projet de loi portant sur «l'encouragement de l'activité extrascolaire de la jeunesse». Le CSAJ souhaitait avant tout que les autorités fédérales profitent de l'Année de la jeunesse pour assurer cette dernière de la crédibilité de leurs déclarations de principe en sa faveur. Le paquet de mesures proposées reprend diverses revendications pour lesquelles ce représentant officiel des intérêts des mouvements de jeunesse lutte en vain depuis la fin des années septante. Celui-ci exige ainsi la création d'une base légale qui reconnaîtrait la valeur sociale du travail des organisations de jeunesse, l'institutionnalisation définitive des subventions accordées à ces dernières et surtout l'introductión d'une semaine de vacances supplémentaire rémunérée au profit des apprentis ou des jeunes travailleurs qui s'engagent bénévolement dans des activités à responsabilité. De plus, pour une meilleure prise en compte des desiderata des jeunes dans l'élaboration de la politique globale de la Confédération, le projet prévoit la nomination d'un délégué du Conseil fédéral à la jeunesse et l'attribution aux organisations de jeunesse du droit de prendre officiellement position sur les textes législatifs en préparation. Enfin, l'insuffisance de sources utilisables concernant la situation des jeunes en Suisse justifierait la mise sur pied d'un centre national de documentation et d'information sur la jeunesse.
Le projet de loi
gouvernemental, soumis à la consultation en décembre, n'a retenu de ce vaste programme que les seules mesures relatives au soutien financier et à la reconnaissance des activités extrascolaires des jeunes. Quant au «congé formation», il figure sur la liste des propositions gouvernementales, mais dans une version qui tente d'ores et déjà de désamorcer l'opposition des employeurs
[34]. Si le CSAJ n'a pas caché sa déception, en fustigeant les «traditionnelles» réticences du DFI à l'égard de tout aménagement structurel en faveur d'une participation concrète des jeunes au niveau fédéral, celle-ci a toutefois été tempérée par l'institution, à cet effet, d'un groupe parlementaire pour les questions de la jeunesse, lequel rassemble une soixantaine de députés sous la présidence du conseiller national A. Keller (pdc, AG). Le gouvernement, pour sa part, a favorisé la mise en place d'un groupe de contact interdépartemental pour la coordination des activités de la Confédération au cours de l'Année internationale de la jeunesse
[35]. Pour donner le signe d'une ouverture au dialogue, A. Egli s'est prêté à une série d'entretiens personnels avec des jeunes issus de tous les milieux sociaux. Sur les questions de politique pure, les ponts ne semblent cependant pas avoir été jetés
[36].
En 1984, pour la première fois, le Conseil fédéral avait donné pour mission à la Commission fédérale pour la jeunesse (CFJ) d'observer, puis d'expliquer l'évolution des relations entre les jeunes et l'ensemble de la société. Pour satisfaire cette demande, la CFJ a choisi de se pencher sur le problème spécifique de l'attitude de la jeunesse actuelle face au thème de l'identité nationale. De fait, l'Année de la jeunese a servi de tremplin à la publication de nombreux sondages et d'analyses sur la jeune génération. La CFJ a toutefois remarqué que la plupart d'entre elles seraient imprégnées d'appréciations subjectives qui conduiraient, par une interprétation simplificatrice du discours des jeunes interrogés, à justifier le fonctionnement actuel de la société. Son rapport souligne les méfaits de telles généralisations et démontre que, loin de former une entité, la jeunesse recouvre un ensemble de réalités diverses que toute recherche en la matière doit s'efforcer d'intégrer. Au-delà de la prise en compte de cette hétérogénéité, la CFJ a toutefois tenté de dégager quelques-uns des grands axes caractérisant la jeunesse suisse sur la base d'un matériel d'interview complété de ses propres réflexions, tout en relevant que son échantillon ne peut être considéré comme scientifiquement représentatif. Les conclusions de son enquête s'adressent avant tout aux parlementaires fédéraux, ainsi qu'à tous ceux qui assument une responsabilité politique ou éducative. Celles-ci consistent en une série de propositions susceptibles de remobiliser politiquement la jeunesse; elles rejoignent par ailleurs sur le fond celles formulées par le CSAJ dans son projet législatif
[37].
La CFJ a également rendu publique une brochure qui évalue la perception du monde de travail de jeunes apprentis ou employés, provenant des diverses régions de Suisse et de formations différentes. En favorisant la dimension subjective et non représentative des avis exprimés, les auteurs de cette enquête ont cherché à rapporter comment les personnes interrogées vivent l'exercice de leur profession et, à contrario, quelles sont leurs attentes face au travail. Les sondages relatifs à la satisfaction des jeunes dans le travail indiquent 75 à 85 % de réponses positives, lesquelles cachent toutefois des motivations fort variées. Si l'analyse de la douzaine des interviews effectuées par la CFJ confirme cette tendance, elle relève en revanche un décalage entre l'appréciation des conditions de production actuelles et le domaine des aspirations. En effet, chaque interlocuteur a manifesté un rejet diffus de la division toujours plus accentuée du travail, soit par la crainte de la monotonie des tâches à accomplir, par celle de leur spécialisation à outrance ou encore par la peur de voir la machine supplanter l'homme. La majorité d'entre eux en appelle à une plus grande autonomie et à une formation plus diversifiée. Sur la base de ces appréciations, la CFJ a demandé d'urgence une formation générale ouverte sur l'avenir et le courage d'expérimenter de nouvelles formes d'organisation du travail mieux adaptées à l'homme
[38].
L'Année de la jeunesse s'est déroulée dans un climat de défaitisme et, à l'heure des bilans, la déception a effectivement prévalu sur l'enthousiasme. Très mitigée quant aux résultats de cette manifestation, la Communauté d'action suisse pour l'Année internationale de la jeunesse (CASAIJ) s'est toutefois félicitée qu'au niveau local et régional le dynamisme des sociétés de jeunesse, allié à la disposition au dialogue des autorités, se soit soldé par la concrétisation d'un certain nombre d'initiatives favorables à l'intégration sociale des jeunes. A l'inverse, elle a déploré qu'une grande partie de la jeunesse ait à priori jugé l'entreprise comme un exercice alibi sans implication pratique possible pour s'en désintéresser. Mais la CASAIJ a particulièrement blâmé les autorités cantonales et fédérales pour les faux-fuyants dont elles auraient usé face aux revendications des mouvements de jeunesse. S'associant à ces récriminations, le CSAJ a constaté avec amertume que, malgré la circonstance, ni le parlement ni le gouvernement n'avaient formellement tenté de relancer une politique d'ensemble plus favorable aux jeunes. Pour certains, gangrenée et hypocrite à l'extrême, la politique fédérale de la jeunesse n'aurait plus de raison d'exister. Sans pousser aussi loin la critique, la CFJ s'en est prise à l'attentisme de ses protagonistes. Elle a en outre regretté la compression du budget accordé à l'organisation de l'Année de la jeunesse et le peu d'intérêt que ses rapports suscitent, en règle générale, au sein des organes de l'État
[39].
[33] BZ, 4.1.85; 21.1.85; TA, 5.1.85; 24.4.85; Bund, 19.1.85; 21.1.85; LNN, 19.1.85; Suisse, 20.1.85; Lib. et Vat., 21.1.85; CT, 8.3.85. Voir aussi APS, 1984, p. 149 s.
[34] BaZ, 2.1.85; 4.4.85; 25.6.85; NZZ, 3.4.85; 25.6.85; 26.8.85; 12.12.85; 19.12.85; Vat., 11.4.85; 25.6.85; BZ, 20.5.85; TA, 17.12.85. Voir aussi APS, 1984, p. 150.
[35] NZZ, 17.3.85; Vat., 24.12.85.
[36] Presse du 8.1.85 et du 27.8.85; JdG, 28.8.85; TA, 23.12.85.
[37] CFJ, Maman Helvétie+ Père Etat, Berne 1985. A noter que la CFJ a élaboré ses précédents rapports de sa propre initiative (cf. APS, 1980, p. 140; 1981, p. 146; 1984, P. 150). Autres radioscopies de la jeunesse: BaZ, 4.5.85; 9.5.85; 10.5.85; 14.5.85; BZ, 4.5.85; Vat., 9.8.85; Suisse, 29.9.85; SGT, 24.10.85; NZZ, 22.11.85; JdG, 3.12.85. Partant du constat que la majorité des jeunes se révèle moins active et critique qu'autrefois dans sa manière de contester les institutions, qu'elle s'attache à des valeurs plus pragmatiques qu'utopiques, plusieurs enquêtes prétendent à l'essor d'une nouvelle forme d'optimisme face à la vie. La CFJ, de son côté, interprète cette évolution comme le développement d'une stratégie réaliste de survie de la part d'une jeunesse qui aurait perdu ses illusions.
[38] CFJ, Notre pays est le paradis du travail, c'est vrai, Berne 1985.
[39] Bilans et points de vue sur l'Année de la jeunesse: CSAJ, Bonbons suisses, 1985; SAZ, 2, 10.1.85; vat., 17.1.85; Suisse, 27.1.85; 24 Heures, 6.2.85; L'Impact, 201, mars 1985; BaZ, 28.5.85; 20.8.85; 24.10.85; NZZ, 20.8.85 ; 28.10.85; 31.12.85 ; TA, 28.12.85 ; 31.12.85. Prises de position sur la politique fédérale de la jeunesse lors de l'assemblée des délégués suisses de I'UDC: TA, 28.10.85; 30.10.85; NZZ, 28.10.85. CSAJ: NZZ, BaZ, et TA, 18.3.85. USS: USS, 1, 9.1.85; TW, 15.1.85. Controverses autour des crédits alloués à l'Année de la jeunesse par le CF: BO CN, 1985, p. 727 s. ; NZZ et 24 Heures, 10.1.85. Sans rapport direct avec l'Année de la jeunesse, la première Conférence nationale de la jeunesse de l'USS s'est tenue à Bienne en septembre (FOBB, 105, 1.9.85; USS, 25, 11.9.85; SAZ, 40, 3.10.85).
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