Année politique Suisse 1986 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
 
Relations bilatérales
En matière de relations bilatérales, l'année 1986 aura été marquée par la visite de P. Aubert en Union soviétique entreprise début septembre. Il s'agissait là en effet de la première visite officielle d'un membre du Conseil fédéral depuis l'établissement des relations diplomatiques en 1946. Transmise quatorze ans auparavant au conseiller fédéral P. Graber, l'invitation n'avait pu être honorée jusqu'alors en raison notamment des événements d'Afghanistan (1979) et de Pologne (1981). Outre l'adoption d'une convention fiscale entre les deux pays, les pourparlers entre le chef du DFAE et son homologue soviétique E. Chevarnadze ont porté sur le maintien de la sécurité internationale et sur le rôle que la Suisse est appelée à jouer dans ce cadre-là [21].
Les relations avec l'URSS avaient été assombries quatre mois auparavant par la catastrophe survenue le 26 avril à la centrale nucléaire ukrainienne de Tchernobyl. Moscou avait en effet attendu quatre jours pour informer les pays européens de l'accident, ce qui avait provoqué le «fort mécontentement» du Conseil fédéral. En fin d'année, la question de savoir si la Suisse présenterait une réclamation internationale à l'Union soviétique restait encore à l'examen [22]. Les reproches adressés par le gouvernement fédéral à l'endroit de l'URSS l'ont également été début novembre par les pays riverains du Rhin, mais contre la Suisse cette fois, à la suite de l'incendie de Schweizerhalle (BL). Tant les milieux gouvernementaux ouest-allemands que français ont reproché à notre pays d'avoir mis bien trop tard en action le plan d'alarme international pour lutter contre la pollution catastrophique du Rhin survenue par l'incendie d'un des dépôts de l'entreprise Sandoz. La mise sur pied de deux conférences réunissant les ministres compétents des Etats riverains du Rhin et le représentant de la Commission des communautés européennes à Zurich et à Rotterdam a permis d'entamer des pourparlers afin de renforcer le programme de surveillance et d'améliorer le système d'alerte [23]. Le reboisement de la forêt de la commune liechtensteinoise de Balzers, dévastée en 1985 par un incendie occasionné par l'armée suisse, a commencé. Selon les estimations, celui-ci coûtera entre quatre et sept millions de francs à la Confédération [24].
La première Conférence au sommet des chefs d'Etats francophones, tenue à Paris du 17 au 19 février, a suscité moult remous au sein des cantons romands. Devant le peu d'empressement du Conseil fédéral à décider si oui ou non la Suisse enverrait un délégué à ce sommet, les gouvernements genevois, jurassien, valaisan et vaudois ont en effet écrit à l'exécutif fédéral pour plaider en faveur d'une participation suisse, alors que les Conseils d'Etat fribourgeois et neuchâtelois adoptaient eux une attitude plus prudente. La décision du Conseil fédéral de finalement n'envoyer qu'un observateur en la personne du secrétaire d'Etat E. Brunner, afin de ne pas avoir à prendre position sur les aspects ouvertement politiques de cette conférence, n'a pas pleinement satisfait une grande partie de la classe politique et culturelle romande [25]. Marquées les années précédentes par certaines tensions, nos relations avec la France se sont améliorées en 1986, comme l'a prouvé la visite à Berne fin octobre du ministre des affaires étrangères J.-B. Raimond. Reçu par son homologue P. Aubert, ce dernier a relevé la bonne santé des contacts entre les deux pays. Le nouveau gouvernement Chirac avait d'ailleurs déjà démontré ce fait au cours du mois précédent en décidant de ne pas étendre aux ressortissants helvétiques l'obligation de présenter un visa pour pouvoir pénétrer sur le territoire français suite à la vague terroriste qui secouait Paris à ce moment-là [26].
Conformément à la tradition, le nouveau ministre autrichien des affaires étrangères, P. Jankovitsch, a réservé à la Suisse sa première visite à l'étranger. L'élection de K. Waldheim à la tête de l'Etat autrichien a toutefois provoqué certaines réactions. A la veille de l'élection à la présidence de cet ancien officier de la Wehrmacht allemande et accusé d'avoir participé à des crimes de guerre, deux journaux viennois et américain ont révélé au grand public quelques extraits significatifs de sa thèse de doctorat soutenue en 1944 et dans laquelle K. Waldheim vantait l'incorporation de la Suisse et du Benelux dans le «Grand Reich». Le Conseil fédéral, dans l'embarras, a estimé dans une déclaration officielle «qu'il n'avait pas à se prononcer sur une thèse de doctorat rédigée il y a plus de quarante ans par un jeune étudiant autrichien» [27]. Fin mars, le Conseil fédéral a reçu en visite d'Etat le président finlandais M. Koivisto. C'était là la première visite officielle d'un chefd'Etat finlandais dans notre pays [28]. Nos relations avec la Yougoslavie se sont quelque peu refroidies en février en raison de l'expulsion de Suisse d'un diplomate yougoslave qui exerçait des activités de renseignements interdites à l'encontre de l'immigration yougoslave en Suisse. Par mesure de rétorsion, un diplomate helvétique a été expulsé de Belgrade. Tant avec la Pologne qu'avec la Turquie, les contacts politiques, qui avaient été interrompus en raison de la situation intérieure régnant dans ces pays, ont été repris. Pour la première fois, une mission officielle menée par un haut fonctionnaire du DFAE s'est rendue en Albanie [29].
Mis à part son voyage à Moscou, P. Aubert s'est également rendu en visite officielle début avril en Inde et au Pakistan, ainsi qu'en Chine à la mi-novembre, poursuivant par là sa politique d'ouverture aux Etats extra-européens. Outre ses homologues, le chef du DFAE a eu l'occasion de rencontrer les chefs d'Etat et Premiers ministres de ces trois pays. En Inde, P. Aubert s'est entretenu avec le ministre indien des affaires étrangères du problème des réfugiés tamouls qui touche aussi bien l'Inde que la Suisse. Il a d'autre part visité deux projets d'aide au développement soutenus par notre pays. Au Pakistan, les discussions ont également porté sur la coopération suisse au développement, ainsi que sur l'assistance humanitaire apportée aux réfugiés afghans. Présentées comme «excellentes» par P. Aubert, les relations entre la Suisse et la Chine ont encore été renforcées par la signature de deux accords portant sur la coopération dans le domaine de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques et sur la protection des investissements. Le chef du DFAE s'est félicité de la large identité de vues en matière de politique étrangère régnant entre les deux pays [30].
Le Conseil fédéral a interdit l'entrée en Suisse à l'ex-président de Haïti, J.-C. Duvalier, ainsi qu'à l'ancien président des Philippines F. Marcos, tous deux obligés de quitter précipitamment leur pays à la suite de soulèvements populaires. Des démarches ont été entreprises par les deux gouvernements pour récupérer l'argent placé par les deux anciens dictateurs au cours des années précédentes dans les banques suisses [31]. Suite à la réimposition de l'état d'urgence intervenue en juin, un citoyen suisse, ainsi que trois doubles nationaux suisses-sud-africains, ont été arrêtés en Afrique du Sud. Grâce aux efforts du DFAE, trois d'entre eux ont été relâchés dans les semaines suivantes. Le quatrième, le pasteur J.-F. Bill, était cependant toujours détenu en fin d'année. Pretoria accuse celui-ci d'avoir incité la population à participer à des rencontres illégales commémoratives de la révolte des écoliers noirs de Soweto de 1976. A la mi-décembre, deux autres ressortissants helvétiques ont été faits prisonniers au Swaziland et conduits en Afrique du Sud. Accusés par le gouvernement sud-africain d'avoir travaillé pour le Congrès national africain (ANC), ils ont été libérés trois jours plus tard. En Zambie également, cinq touristes suisses, soupçonnés d'espionnage en faveur de l'Afrique du Sud, ont été appréhendés par les autorités provinciales et ont subi de mauvais traitements au cours de leur détention. Leur libération a été obtenue grâce à l'intervention de la représentation autrichienne à Lusaka qui assume les intérêts consulaires de la Suisse en Zambie et aux protestations énergiques de l'ambassadeur de Suisse résidant à Harare (Zimbabwe). Le président zambien a présenté par la suite des excuses formelles au Conseil fédéral [32]. Toujours en ce qui concerne le continent africain, P. Aubert a reçu en visite de travail le président du Sénégal, A. Diouf. Fidèle à son principe de ne pas se lier à des sanctions décidées par un nombre limité d'Etats, le Conseil fédéral n'a pas répondu à la demande officielle des Etats-Unis de s'associer à des sanctions économiques contre la Libye, coupable, selon Washington, d'entretenir la vague terroriste qui déferlait sur le continent européen à cette époque-là. Soucieux de donner une suite concrète à sa tournée entreprise l'année précédente au Proche-Orient, P. Aubert a reçu pour sa part dans le courant de l'année le ministre de la défense israélien Y. Rabin et le secrétaire général de la Ligue arabe C. Klibi. Enfin, le Tribunal fédéral a accepté la demande d'extradition faite par l'Argentine à l'encontre de quatre ressortissants argentins arrêtés en 1981 dans notre pays pour enlèvement [33].
 
[21] JdG, 22.8.86; 6.9.86; NZZ, 4.–8.9.86 ; Suisse, 6.–8.9.86 ; TA, 8.9.86. Cf. également JdG, 21.3.86 ; CdT, 9.9.86 ; L'Hebdo, 37, 11.9.86, ainsi que P. Aubert, «Les relations soviéto-suisses », in Documenta, 1986, no 3, p. 3. Les commissions des affaires étrangères du parlement ont salué cette visite (NZZ, 11.9.86 ; 19.9.86). Le CF Gnägi s'était déjà rendu à Moscou en 1967, mais à titre privé (APS, 1967, p. 39).
[22] Rapp. gest., 1986, p. 17 ; LM, 1.5.86 ; NZZ, 2.5.86. Pour la catastrophe de Tchernobyl, voir infra, part. I, 4c (Lebensmittel) et 6a (Politique énergétique).
[23] Rapp. gest., 1986, p. 17 s. ; NZZ, 4.11.86; 8.11.86. Pour la catastrophe de Schweizerhalle, voir infra, part. I, 6d (Umweltpolitik).
[24] BO CN, 1986, p. 1776; NZZ, 22.1.86; 11.8.86; 2.12.86. Cf. APS, 1985, p. 46.
[25] Ww, 1, 2.1.86 ; 8, 20.2.86 ;NZZ, 3.1.86 ; L'Hebdo, 2-4, 9.-23.1.86 ; 8, 20.2.86 ; 24 Heures, 16.1.86 ; 23.1.86 ; LM, 22.1.86; 15.2.86; Suisse, 23.1.86; 18.2.86; 20.2.86; USS, 4, 29.1.86; Domaine public, 805, 30.1.86; 807, 13.2.86. Cf. APS, 1985, p. 46. Position du CF: BO CN, 1986, p. 479 s. et 966 s. Par 53 voix contre 40, le CN a refusé toute discussion sur ce problème (BO CN, 1986, p. 480). Cf. également infra, part. I, 8b (Sprache).
[26] JdG, 24 Heures et NZZ, 1.11.86. Cf. APS, 1985, p. 45 s. La France a décrété le 14.9.1986 le visa obligatoire pour tous les étrangers désirant pénétrer sur son territoire, à l'exception des pays membres de la CEE et de la Suisse (presse du 15.9.86). Face à ce problème du terrorisme, le CF a renoncé à imposer un visa qu'il projetait pour les ressortissants de certains pays (NZZ, 18.9.86).
[27] NZZ, 11.6.86; 30.6.86; 2.7.86; 3.7.86; 24 Heures, 28.6.86; 2.7.86; 3.7.86; Bund, 3.7.86; L'Hebdo, 27, 3.7.86 ; JdG, 4.7.86. Les premières révélations sur ce travail de doctorat ont été faites le 2.6.1986 par Profil et Newsweek. P. Aubert a répondu à une invitation de K. Waldheim à Vienne lors de la CSCE (24 Heures, 8.11.86).
[28] Bund, 22.3.86; JdG, 24.3.86; NZZ, 25.-27.3.86; 21.8.86. Les Chambres ont adopté une convention de sécurité sociale avec la Finlande, de même qu'un avenant à celle déjà conclue avec le Danemark (FF, 1985, III, p. 471 ss. et 485 ss. ; BO CE, 1986, p. 30 s.; BO CN, 1986, p. 897 s.).
[29] Yougoslavie : 24 Heures, 8.2.86 ; 15.2.86 ; NZZ, 10.2.86 ; 17.2.86. Albanie, Pologne et Turquie : Rapp. gest., 1986, p. 22 ; NZZ, 7.6.86. Une pétition a été déposée à la Chancellerie fédérale pour demander au CF de retirer son accréditation à l'ambassadeur de Turquie en Suisse pour ses activités passées dans son pays (24 Heures, 24.6.86 ; 5.7.86 ; VO, 26, 3.7.86).
[30] Inde: 24 Heures, 29.3.86; 2.4.86; JdG, 3.4.86; 7.4.86. Réfugiés tamouls: P. Aubert a reçu le 4.3.1986 le ministre des affaires étrangères du Sri Lanka pour s'informer sur la situation interne de l'île (24 Heures, 5.3.86 ; cf. infra, part. I, 7d, Réfugiés). Pakistan : JdG, 8.4.86 ; LM, 10.4.86 ; NZZ, 14.4.86. Chine : Suisse, 31.10.86 ;14.11.86 ; JdG, 31.10.86; 14.11.86; 20.11.86; 24 Heures, 12.11.86; 14.11.86; NZZ, 12.-14.11.86; TA, 14.11.86.
[31] Duvalier: 24 Heures, 6.2.86; JdG, 7.2.86. Marcos: 24 Heures, 20.2.86; 20.11.86; NZZ, 21.11.86. Argent placé en Suisse : voir infra, part. I, 4b (Banken). Malgré les protestations du gouvernement tunisien, le CF a autorisé le séjour en Suisse de l'ex-Premier ministre M. Mzali (LM, 1.10.86; NZZ, 2.10.86; 7.10.86).
[32] Afrique du Sud: 24 Heures, 26.6.86; 12.7.86; 25.10.86; BaZ, 3.7.86; Suisse, 24.7.86. Pour d'éventuelles sanctions économiques de la Suisse contre l'Afrique du Sud, cf. supra (Droits de l'homme). Swaziland : 24 Heures, 13.12.86; 15.12.86. Zambie: NZZ, 8.8.86; 12.8.86; 16.8.86; 24 Heures, 9.8.86; 12.8.86; 13.8.86; 16.8.86. Cf. aussi Rapp. gest., 1986, p. 23, ainsi que BO CN, 1986, p. 1191.
[33] Président du Sénégal: Rapp. gest., 1986, p. 23. Libye: NZZ, 8.1.86; 13.1.86; Suisse, 16.1.86. Le CF a renoncé à présenter une demande de réparation pécuniaire aux Etats-Unis pour les dégâts occasionnés à l'ambassade suisse par un raid américain sur Tripoli (JdG, 16.4.86; NZZ, 17.4.86; 18.4.86). Voir également Suisse, 13.2.86 (interview de M. Kadhafi). Proche-Orient: Rapp. gest., 1986, p. 22; cf. APS, 1985, p. 47 et L'Hebdo, 8, 20.2.86. Ressortissants argentins: JdG et 24 Heures, 22.5.86. Une première demande d'extradition, faite en 1983, avait été refusée par le TF qui avait invoqué la protection des droits de l'homme.