Année politique Suisse 1986 : Chronique générale / Défense nationale
 
Défense nationale et société
L'aboutissement de l'initiative populaire «Pour une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix», le rejet par les Chambres d'une autre initiative du peuple exigeant le droit de référendum en matière de dépenses militaires, ainsi que les difficultés rencontrées par l'Office central de la défense, se sont avérés comme les seuls faits marquants durant cette année 1986 dans le domaine de la défense nationale. Tous trois n'ont cependant en rien altéré la marche en avant de la politique de défense de la Confédération qui, comme l'année précédente, n'a rencontré aucun problème majeur dans la poursuite de sa tâche.
Un sondage réalisé en 1985 à la demande du DMF a cependant laissé apparaître des relations un peu moins bonnes que les années passées entre notre système de défense nationale et la société. Les résultats de cette analyse indiquent que, si le niveau de connaissance de la chose militaire au sein de la population s'est légèrement amélioré, l'image globale de l'armée s'est par contre affaiblie. Sa popularité a ainsi chuté de 12 points entre 1982 et 1985. Quarante-huit pour cent des personnes interrogées gardent tout de même une image positive de l'armée. Le chef du service d'information du DMF a tenu à préciser à cet égard la relativité d'un tel sondage par rapport au moment où il est réalisé. De manière étonnante, les Romands sont apparus plus proches de l'armée que les Suisses alémaniques. Si la majorité des sondés a reconnu les qualités de l'armement, de l'organisation militaire et de l'instruction, beaucoup également ont critiqué les trop grandes dépenses militaires et la relative impuissance de l'armée suisse. Quant aux femmes, elles ont exprimé une réserve prononcée, sinon une franche hostilité, face à leur plus large intégration éventuelle dans le système de défense [1].
E. Lüthy, le nouveau chef de l'état-major général de l'armée, a relevé, face à ce problème relationnel entre armée et société, la nécessité d'entretenir dans notre pays un climat de confiance face à la défense nationale. Celui-ci, selon E. Lüthy, constitue en effet la meilleure carte de visite à l'égard des pays étrangers, censés être impressionnés par notre «inébranlable volonté de défense». Evoquant le sujet spécifique des relations entre la jeunesse et l'armée, E. Lüthy a relevé le manque flagrant d'information et d'intérêt existant chez les moins de 20 ans. Il s'est dit convaincu que seule une meilleure éducation de la part tant des autorités parentales que scolaires pourrait éliminer ce désintérêt ambiant [2]. Les trois grands défilés militaires organisés à Neuchâtel, Berne et Dübendorf dans le courant de l'année l'ont d'ailleurs été dans le but de rapprocher le citoyen de la défense nationale [3].
Comme l'on pouvait s'y attendre, le Conseil national a rejeté l'initiative parlementaire déposée en 1984 par le socialiste argovien M. Chopard. Celle-ci exigeait que le rôle de l'armée se limite à l'avenir à la défense extérieure et à la lutte contre les catastrophes naturelles. Elle aurait ainsi empêché tout recours à celle-ci pour assurer l'ordre intérieur. A l'instant du vote, seuls la gauche, l'extrême-gauche, les indépendants-évangéliques et les écologistes l'ont soutenue face à la coalition bourgeoise. Les opposants, renforcés dans leur position par la série d'attentats terroristes qui se déroulait à cette époque à Paris, ont justifié leur refus par le fait que lâ menace pesant sur la Suisse s'était modifiée au cours de ces dernières années, étant devenue aussi bien intérieure qu'extérieure par l'apparition du terrorisme et des prises d'otages. A l'inverse, ceux qui ont appuyé l'initiative n'ont pas caché qu'ils le faisaient dans le but d'éviter, par exemple, que l'armée puisse être engagée contre une population opposée à la construction d'une centrale nucléaire comme celle prévue à Kaiseraugst. La chambre du peuple a par contre accepté une motion de sa commission demandant au Conseil fédéral une révision des dispositions sur le service d'ordre de la loi fédérale sur l'organisation militaire afin de mieux préciser la tâche de l'armée en matière de lutte antiterroriste [4].
Lancée en mars 1985, l'initiative populaire «Pour une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix» a abouti. Déposée à la Chancellerie fédérale munie de 111 300 signatures valables, elle a suscité dans divers endroits du pays de vives réactions ainsi que quelques incidents. Certains militants ont ainsi été inquiétés par la police lors de leur récolte, alors que la commune de Vezio (TI) a tout simplement refusé de valider les signatures envoyées par le Parti socialiste ouvrier. Mise en route par le «Groupement pour une Suisse sans armée» (GSsA) et soutenue officiellement par le seul Parti socialiste ouvrier, ainsi que par une partie des Organisations progressistes (POCH), cette initiative, qui demande la suppression de l'armée dans un délai de dix ans à partir de son acceptation éventuelle, a obtenu un certain succès en regard des faibles moyens mis en oeuvre. S'il apparaît comme pratiquement sûr qu'elle échouera devant le verdict du peuple et des cantons, elle n'en a pas moins démontré une rupture certaine entre les pacifistes et les citoyens qui ont confiance en l'armée. Certains milieux proches de l'armée voient, non sans raison, dans cette initiative l'opportunité pour notre système de défense de renforcer encore plus sa légitimité au moment du vote [5].
La période de flottement à la tête de l'Office central de la défense s'est poursuivie tout au cours de l'année. A la suite de la démission de l'ancien directeur A. Wyser et des nombreux remous engendrés par celle-ci, le Conseil fédéral avait chargé à la fin de l'année 1985 un groupe d'experts, présidé par le conseiller aux Etats F. Muheim (pdc, UR), de passer au peigne fin la structure et l'organisation de cet office et de lui proposer un nouveau directeur. Le gouvernement a cependant tenu à préciser en début d'année que ce réexamen avait été rendu nécessaire non pas en raison de «l'affaire Wyser», mais en raison des difficultés de coordination constatées en 1984 lors de l'exercice de défense générale. Fin décembre, le Conseil fédéral a rendu publique la conclusion des experts: selon eux, la défense générale, impliquant la collaboration entre civils et militaires en temps de guerre, reste essentielle pour notre pays. Le moyen primordial de celle-ci, l'Office central de la défense, garde donc toute son utilité et il serait faux de vouloir le supprimer comme le préconisent certains. Les experts, en prônant des relations plus étroites entre le chef du DMF, le chancelier de la Confédération et le directeur de l'office, ont en outre insisté sur la nécessité de mieux définir les rapports entre ces différents organes. Le Conseil fédéral a ainsi décidé de laisser l'Office central de la défense rattaché administrativement au DMF et de mener à bien les mesures de réorganisation préconisées par le groupe d'experts. Il a nommé le conseiller d'Etat radical uranais H. Dahinden nouveau directeur de l'office [6].
 
[1] Sondage: presse du 11.7.86. La réputation de l'armée est très bonne chez 8% des personnes interrogées, bonne chez 40%, moyenne chez 35%, mauvaise chez 10% et très mauvaise chez 7%. Cf. Sozialistische Arbeiterpartei, Armee und Landesverteidigung, Militarismus und Heimat: Diskussionsbeiträge, Zürich 1986; H.-R. Kurz, « Sicherheit, Verteidigung, Neutralität : das Beispiel der Schweiz », in Strategiefür den Frieden, 1986, p. 257 ss. Voir aussi Friedenszeitung, 55, März 1986; ASMZ, 152/1986, p. 403 ss.
[2] Bund, 25.4.86; Suisse, 9.11.86. Voir à ce sujet E. Leutenegger, Jugend und Armee. Die Entwicklung der Einstellungen zur Armee während der Rekrutenschule, St. Gallen 1986, ainsi que R. Steiger, Werden junge Menschen im Militärdienst überfordert?, Frauenfeld 1986.
[3] 24 Heures, 16.6.86; FAN et LM, 20.6.86 (défilé de la division de campagne 2 à Neuchâtel); Bund, 20.6.86 (défilé du régiment d'infanterie 14 sur la Place fédérale à Berne); TA, 22.11.86 (défilé organisé au terme de l'exercice de défense générale «Trident» à Dübendorf).
[4] BO CN, 1986, p. 1166 ss. et 1176 ss. L'initiative Chopard a été refusée par 87 voix contre 45 ; la motion de la commission a été acceptée par 69 voix contre 39. Voir Suisse, 4.7.86 (le thème du CR 86 du bataillon II d'infanterie neuchâteloise était une manifestation pacifiste et antinucléaire à Berne). Cf. APS, 1985, p. 51.
[5] FF, 1986, p. 836 ss. ; LM, 12.8.86 ; JdG, 13.8.86; 24 Heures et TA, 13.9.86; BaZ, 15.9.86. Cf. R. Brodmann / A. Gross / M. Spescha, Unterwegs zu einer Schweiz ohne Armee : der freie Gang aus der Festung, Basel 1986 ; TAM, 6, 8.2.86; WoZ, 13, 26.3.86 ; Friedenszeitung, 56, April 1986 ; ASMZ, 152/1986, p. 685 s., ainsi que APS, 1985, p. 51 s.
[6] NZZ, 23.1.86; 19.12.86; 23.12.86; 24 Heures, 23.1.86; 29.11.86; 23.12.86; LNN, 20.12.86. Voir également Ww, 1, 2.1.86. A. Wyser a déclaré qu'il avait été la victime d'un complot (Bund et BaZ, 7.6.86). L'OCD a été dirigé ad interim en 1986 par J. Dübi (LM, 23.1.86). Cf. APS, 1985, p. 53. Défense générale: voir ASMZ, 152/1986, p. 397 ss.