Année politique Suisse 1986 : Chronique générale / Défense nationale
 
Organisation militaire
Après avoir été débattu en 1985 au Conseil des Etats, le plan directeur de l'armée n'a guère suscité de remous au sein de la chambre du peuple. Soucieux de garantir à l'armée suisse son caractère de milice, le Genevois A. Magnin (pdt) s'est dit préoccupé de la sophistication toujours plus grande de l'armement. Cette question, d'actualité au regard de la transformation subie par notre société, s'est vue à plusieurs reprises évoquée dans le courant de l'année dans la perspective de la défense militaire. La guerre dite «moderne» exige en effet à présent une préparation spécifique et poussée au combat avec les armes nouvelles qu'elle requiert. La question de savoir si l'armée de milice était vraiment toujours à la hauteur face à la guerre électronique s'est posée à nouveau. A cet égard, tant le chef du DMF, J.-P. Delamuraz, que le divisionnaire G. Däniker ont affirmé leur volonté de ne pas affaiblir le système de milice. Tous deux ont cependant ajouté que l'engagement de professionnels devrait à l'avenir être rendu possible là où ceux-ci sont à présent indispensables en raison de la complexité des armes et des techniques. L'aviation est le principal domaine touché.
En relation avec ce problème du professionnalisme au sein de l'armée suisse, E. Lüthy a lancé l'idée de la création d'un corps d'intervention permanent. Celui-ci serait en effet particulièrement important lors des périodes creuses, soit en été et lors des grandes fêtes religieuses. Il serait prêt à riposter rapidement à une attaque surprise dans l'attente que la mobilisation de l'armée soit achevée. Le DMF, à l'instar du chef de l'état-major général, a précisé que la concrétisation de ce corps d'intervention serait réalisable dans le cadre de l'armée de milice, écartant ainsi, momentanément du moins, l'idée d'une troupe professionnelle. Cette force serait formée de conscrits accomplissant toutes leurs périodes militaires en une seule année [7].
Le service complémentaire féminin est devenu officiellement au début de l'année, dans le cadre de l'organisation militaire, le service féminin à l'armée (SFA), faisant ainsi de ses membres les égaux des autres militaires. Fin février a débuté, pour une période de quatre semaines, la première école de recrues de ce nouveau service à Winterthour. L'armée suisse manque cependant toujours autant de femmes volontaires. Alors qu'elles étaient encore 644 à s'être annoncées en 1981, elles n'étaient plus que 221 en 1985. C'est pourquoi le DMF a décidé de réagir en lançant une campagne de publicité intensive à la mi-mars par le biais notamment de la télévision et de la presse écrite. Chiffrée à près d'un million de francs, cette opération n'a toutefois obtenu qu'un succès bien mitigé: seules 261 volontaires se sont en effet engagées dans le SFA en 1986, soit une quarantaine de plus seulement que l'année précédente. Ce sont 2900 femmes qui effectuaient du service dans l'armée suisse en 1986 [8].
L'organisation militaire a en outre subi, tout au cours de l'année, quelques changements importants appelés à entrer en vigueur dès 1987. Les Chambres ont ainsi adopté une modification de l'organisation des troupes qui datait de 1951. Conséquence logique d'une adaptation constante à l'évolution dans les domaines humain, technique et tactique, celle-ci porte sur trois points essentiels: suppression de la disposition selon laquelle les unités doivent, en principe, comprendre uniquement des militaires d'une seule classe de l'armée, intégration complète des chars suisses 61 et 68 aux bataillons de chars des divisions de campagne (suite à l'achat du Leopard 2 pour les régiments de chars des divisions mécanisées) et création de trois groupes d'obusiers blindés supplémentaires dans l'artillerie, enfin instauration d'un cours de répétition prolongé pour le premier bataillon appelé à se former sur le Leopard 2 [9]. Une nouvelle ordonnance sur le Corps des gardes-fortifications doit permettre à celui-ci d'entrer plus rapidement en action lors des périodes de tension. Le Conseil fédéral a en outre réglé le problème des contrôles militaires en adoptant le système électronique PISA qui permet d'avoir une vue globale sur tous les hommes astreints au service et sur l'accomplissement de leurs obligations militaires. Des principes stricts sur la protection et la sécurité des données ont été prises à cet effet. Le gouvernement a également annoncé que l'exemption du service pour le personnel hospitalier, les employés fédéraux des PTT et des CFF, les policiers et les ecclésiastiques serait à l'avenir sensiblement réduite [10].
Trois mois après le Conseil national, le Conseil des Etats a décidé lors de sa session de printemps le relèvement de la solde pour les recrues, soldats et sous-officiers dans le cadre d'une révision partielle du règlement de l'administration de l'armée. Du même coup, le Conseil fédéral s'est vu attribuer la compétence de délivrer, non plus seulement aux seules recrues, mais à l'ensemble de la troupe, le billet de train au prix unique de cinq francs pour les congés [11]. Deux nouveaux commandants de corps ont été nommés par le Conseil fédéral en 1986: J.-R. Christen a succédé à E. Stettler à la tête du corps d'armée de campagne 1 et W. Dürig a remplacé E. Wyler au sein des troupes d'aviation et de défense contre avions [12].
Conséquence directe de la dénatalité, l'armée verra dans les années nonante une baisse sensible de ses effectifs. Pour pallier à ce manque futur de soldats, l'état-major général a fait connaître en fin d'année son intention de prolonger la durée de l'instruction. Concrètement, celui-ci envisage de rendre obligatoires un ou deux cours de répétition supplémentaires. La limite d'âge pour remplir ses devoirs militaires en «élite» passerait ainsi de 32 à 34, voire à 36 ans. Le porte-parole du DMF a cependant précisé que cette mesure énoncée n'en était qu'une parmi d'autres possibles. Parallèlement en effet, E. Lüthy a dévoilé un plan visant à supprimer le service complémentaire. Selon celui-ci, les troupes complémentaires devraient intégrer le service régulier à partir de 1991. Pour rendre ce projet réalisable, ce ne sont plus uniquement les capacités physiques, mais également les qualités manuelles et techniques, qui seraient prises en compte pour sauvegarder l'idée d'une incorporation différenciée [13].
Mis sur pied au cours du mois de novembre en Suisse orientale, l'exercice de défense générale nommé «Trident» a permis de tester l'efficacité de la collaboration entre les troupes de combat, l'organisation territoriale et les organes de la défense civile. L'engagement de la Division presse et radio et la diffusion par celle-ci d'émissions radiodiffusées et télévisées sur les ondes civiles a cependant suscité de vives critiques de la part de l'Association suisse des journalistes qui a vu dans cette opération une atteinte à l'indépendance de la radio et la télévision [14]. Après une première expérience positive menée l'année précédente par des membres du cadre des instructeurs, la flotte aérienne a délégué pour la seconde année consécutive un groupe d'une trentaine de pilotes à la base de Decimomannu (Sardaigne). Parmi ceux-ci se trouvaient pour la première fois sept pilotes de milice. Ces camps d'entraînement permettent d'exercer les combats aériens à la vitesse supersonique qui sont interdits dans notre pays en dessous de l'altitude de 10 000 mètres [15].
Suite à deux accidents particulièrement graves survenus en 1985, le DMF a décidé au printemps de prescrire au moins quatre heures de sommeil consécutives aux conducteurs rentrant d'un congé général. Il a toutefois tenu à rappeler que seuls 2% des accidents militaires étaient dus à une fatigue excessive, les causes les plus fréquentes engageant la responsabilité totale ou partielle des chauffeurs eux-mêmes. Le Conseil fédéral a quant à lui précisé que, contrairement aux apparences, le nombre des accidents dans les écoles de recrues n'avait pas tendance à augmenter [16].
 
[7] Plan directeur de l'armée: BO CN, 1986, p. 183 ss. Cf. APS, 1985, p. 53. Professionnels: L'Hebdo, 8, 20.2.86; 24 Heures, 13.3.86 ; 17.4.86. Cf. APS, 1985, p. 51. Mis à part 1565 instructeurs (chiffre de 1984), l'armée suisse ne compte pas de professionnels. Les Etats-Unis en ont 2 117 000, la RFA 266 000, la France 238 000, la Suède 17 400 et l'Autriche 15 000 (L'Hebdo, 8, 20.2.86). Corps d'intervention permanent: NZZ, 11.1.86; 16.5.86; Lib., 11.1.86; TA, 20.1.86; Domaine public, 807, 13.2.86. Voir également Suisse, 11.9.86; ASMZ, 152/1986, p. 609 ss. et 765 ss.; W. Wittmann, Landesverteidigung 2010, Frauenfeld 1986.
[8] Suisse, 19.2.86 ; BaZ, 8.3.86 ; BZ, 27.1.87. Cf. APS, 1985, p. 54. Voir également question orale B. Gurtner (poch, BE) au CN (BO CN, 1986, p. 667 s.). La Société suisse des officiers du SFA a suspendu de ses fonctions au sein du comité le capitaine Mariette Paschoud qui a mis en doute l'existence des chambres à gaz nazies (24 Heures, 18.11.86).
[9] FF, 1986, II, p. 1137 ss. ; BO CN, 1986, p. 1166; BO CE, 1986, p. 772 s. et 841 ; RO, 1987, p. 50 s.; NZZ, 29.5.86. Dans les deux Chambres, aucune opposition ne s'est manifestée.
[10] Gardes-fortifications: RO, 1986, p. 2492 ss. ; NZZ, 2.12.86. PISA: RO, 1986, p. 2353 ss. ; NZZ, 30.10.86. Exemption du service: RO, 1987, p. 33 ss.; NZZ, 23.12.86. Toutes ces ordonnances sont entrées en vigueur le 1.1.1987 ; l'arrêté voté par les Chambres en 1985 sur le service militaire des Suisses de l'étranger également (RO, 1986, p. 696 s.; NZZ, 27.3.86; cf. APS, 1985, p. 57).
[11] BO CE, 1986, p. 38 s. et 214 ; RO, 1986, p. 1716 ss. ; BaZ, 6.3.86 ; NZZ, 13.8.86. Cf. APS, 1985, p. 54. Dès le 1.1.1987, une recrue touche 4 francs, un soldat 5 francs et un caporal 7 francs. Le commandant de corps est le mieux payé avec 30 francs.
[12] J.-R. Christen et W. Dürig ont pris leurs fonctions le 1.1.1987 (NZZ et 24 Heures, 3.7.86).
[13] Ww, 52, 30.12.86 ; NZZ et 24 Heures, 31.12.86. En 1991, tous les soldats complémentaires âgés de moins de 28 ans seraient astreints à accomplir une école de recrues. Voir aussi ASMZ, 152/1986, p. 603 ss.
[14] Exercice «Trident»: NZZ, 5.11.86; 21.11.86; TA, 18.11.86; BZ, 20.11.86; WoZ, 47, 21.11.86. Division presse et radio: NZZ, 12.8.86; TA, 17.11.86 ; 24.11.86; cf. BO CN, 1986, p. 1318 ; ASMZ, 152/1986, p. 427 ss.; Klartext, 6/1986, no 5, p. 18 ss.; Friedenszeitung, 62-64, Oktober-Dezember 1986, ainsi qu'infra, part. I, 8c (Information).
[15] TA, 13.2.86 ;NZZ, 12.8.86 ; 2.9.86 ; cf. APS, 1985, p. 55. Dès 1987, les sous-officiers ne sont plus autorisés à devenir pilotes de combat ; l'âge maximum pour les pilotes de milice a d'autre part été ramené de 55 à 50 ans (RO, 1986, p. 2458 ss.; NZZ, 20.11.86; TA, 27.12.86).
[16] NZZ, 29.3.86. Voir aussi BO CN, 1986, p. 1531. Une pétition de deux soldats demandant une amélioration du contrôle de la durée du repos des conducteurs militaires a été adressée aux Chambres (BO CN, 1986, p. 2025 s.).