Année politique Suisse 1986 : Politique sociale / Groupes sociaux
 
Politique à l'égard des étrangers
La politique à l'égard des étrangers menée par le Conseil fédéral vise en premier lieu à limiter l'admission de nouveaux arrivants de façon à stabiliser la population étrangère résidante et à faciliter l'intégration des étrangers installés de manière durable sur notre territoire. Dans cet esprit, le gouvernement a adopté une nouvelle ordonnance limitant le nombre des étrangers en renforçant la sévérité de certaines conditions d'entrée et de séjour dans notre pays. Toutes les prescriptions qui ont trait à la limitation des admissions, également celles concernant les étrangers sans activité lucrative, sont regroupées dans cette nouvelle ordonnance. Le projet initialement élaboré par le Conseil fédéral prévoyait, pour juguler certains abus, l'introduction de limites d'âge. Les autorisations de séjour n'auraient pu être accordées qu'aux écoliers âgés de moins de 16 ans lorsqu'ils entrent à l'école, et aux étudiants de moins de 22 ans lorsqu'ils entament des études supérieures. Mais face au tollé général et aux critiques réitérées survenus à l'annonce de ces mesures, le Conseil fédéral a jugé plus raisonnable de supprimer les articles incriminés. Les opposants à l'introduction d'une limite d'âge ont indiqué qu'une telle mesure aurait abouti à la fermeture de nombreux instituts, surtout en Suisse romande où l'enseignement privé représente une véritable industrie. Cependant, dans les cas d'espèce, les autorités cantonales veilleront à ce qu'il ne s'agisse pas de prétendues études ou d'études retardées délibérément. L'Union centrale des associations patronales suisses a constaté avec déception que dans le projet qui lui fut soumis pour consultation, aucun de ses amendements n'avait été retenu. Elle a estimé en particulier dangereuse la disposition qui prévoit que les cantons pourront prendre des mesures de limitation à l'égard des frontaliers. Une limitation numérique de cette catégorie de travailleurs pourrait avoir de fâcheuses conséquences pour l'économie des cantons frontaliers. Du côté de l'USS, on juge insatisfaisant sur bien des points importants la nouvelle ordonnance. Si les décisions prises par le Conseil fédéral permettent de réaliser l'objectif de la stabilisation, elles imposent, selon I'USS, des restrictions qui excluent une intégration harmonieuse des étrangers. Et celle-ci de fustiger en particulier la décision de ne pas diminuer le contingent d'autorisations de courte durée. Le seul point positif relevé par l'USS est l'article qui autorise les cantons à restreindre les admissions de frontaliers pour garantir dans les entreprises le maintien d'une présence appropriée de main-d'oeuvre indigène [1].
Le Conseil fédéral a publié le message concernant une modification de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE). Les modifications proposées par le Conseil fédéral ont uniquement trait aux dispositions pénales de la loi précitée. Elles répondent à une motion sur le travail clandestin, adoptée en 1984 par le parlement, demandant d'aggraver les peines infligeables aux employeurs qui occupent des étrangers dépourvus d'autorisation. En vertu de la loi en vigueur et selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la simple occupation d'un étranger sans autorisation ne constitue qu'une contravention punie d'une amende jusqu'à 2000 francs. Le projet de modification de la LSEE prévoit par contre une amende allant de 600 à 5000 francs pour l'employeur occupant illégalement un travailleur, alors que celui qui a agi par négligence peut être passible d'une amende de 100 à 3000 francs. Lorsque l'auteur a agi par cupidité, le juge peut infliger des amendes d'un montant supérieur à ces maximums. Quant au récidiviste, il se verra infliger, en plus d'une amende, une peine d'emprisonnement jusqu'à six mois. Enfin, les passeurs seront punis de l'emprisonnement et d'une amende jusqu'à 100 000 francs. Cette façon de lutter contre le travail au noir a été largement approuvée lors de la procédure de consultation. A l'exception de l'Union suisse des arts et métiers (USAM) et de la Fédération romande des syndicats patronaux, les associations faîtières des employeurs et des travailleurs ont accepté des dispositions complémentaires en matière de travail clandestin. Mais on a constaté que les opinions divergent quant aux mesures à prendre. Pour l'Union centrale des associations patronales, il convient de s'en prendre en premier lieu plus sévèrement aux étrangers entrés illégalement dans notre pays et d'expulser ceux qui ont tourné les prescriptions restrictives sur les travailleurs étrangers et elle s'oppose résolument à la tendance de rendre les chefs d'entreprise responsables du travail au noir. L'USS a jugé opportune l'aggravation des sanctions frappant les employeurs qui occupent sans autorisation des travailleurs étrangers. Pour l'USS, la révision proposée contribuera à mettre plus d'équilibre et de justice entre la manière de traiter l'employeur fautif et celle de traiter le travailleur, actuellement plus fortement pénalisé que le patron. Et l'USS de conclure en souhaitant que les prétentions découlant de la prestation du travailleur clandestin soient reconnues sur le plan juridique. Mais tant la motion de 1984 que le projet gouvernemental ne visent qu'à la suppression de l'injustice qui existait jusqu'ici en matière de répression et n'apportent aucun complément relatif aux droits sociaux du travailleur [2].
Neuf mois après que l'Action nationale eut déposé une initiative demandant une limitation de l'immigration, la section de Winterthour, agissant de son propre chef, a lancé une nouvelle initiative xénophobe encore plus restrictive. Son texte exige de limiter à 500 000 le nombre d'étrangers en Suisse en échelonnant la diminution à raison de 12 000 personnes par an. Elle demande aussi que le délai pour obtenir le permis d'établissement soit inscrit dans la Constitution et fixé à quinze ans au lieu de dix ans en général. Le comité directeur de l'Action nationale s'est empressé de dénoncer cette démarche et de s'en distancer [3].
 
[1] La nouvelle ordonnance, entrée en vigueur le 6.10.1986, regroupe en un seul texte diverses prescriptions. Ainsi, elle prévoit de libérer pour la période du 1.11.1986 au 31.10.1987 le même contingent d'autorisations de séjour à l'année que durant l'exercice en cours. Les contingents cantonaux de saisonniers demeurent inchangés tandis que le nombre des autorisations de courte durée augmente de 1000 unités conformément aux voeux des cantons. Le principe de la priorité accordée aux régions de recrutement traditionnel est désormais expressément fixé dans l'ordonnance. RO, 1986, p. 1791 ss. Réactions en Suisse romande: L'Hebdo, 13, 27.3.86; 33, 14.8.86. Réactions des milieux patronaux: Journal des associations patronales, 43, 23.10.86. Réactions des milieux syndicaux: Revue syndicale suisse, 78/1986, p. 203 s. La population étrangère résidante permanente en Suisse s'élevait à fin 1986 à 955 982 personnes. Elle s'est accrue de 1,7% par rapport à 1985 (Rapp. gest., 1986, p. 182). Cf. aussi P. Kottusch, «Die Niederlassungsbewilligung», in Schweizerisches Zentralblatt für Staats- und Gemeindeverwaltung, 87/1986, p. 513 ss.
[2] FF, III, p. 233 ss. Cf. Journal des associations patronales, 23, 5.6.86; Revue syndicale suisse, 78/1986, p. 203 s. Cf. aussi APS, 1984, p. 148 ; 1985, p. 155. Lors des consultations organisées par le CF sur la modification de la LSEE concernant le travail clandestin et sur la nouvelle ordonnance limitant le nombre des étrangers, la Commission fédérale pour les problèmes des étrangers (CFE) a chaque fois été amenée à faire entendre le langage de l'intégration.
[3] FF, 1986, I, p. 101. Cf. Volk+Heimat, 1986, Nr. 2, Nr. 3 et Nr. 4. Cf. aussi presse du 14.1.86. L'initiative lancée est la septième de l'histoire suisse: a) initiative du Parti démocrate zurichois, déposée en 1965 puis retirée; initiative Schwarzenbach, rejetée en 1970 par 54% des voix. Objectif: réduire la population étrangère à 10%; initiative dite de l'Action nationale, rejetée en 1974 par 66 % des voix. Objectif: réduire avant janvier 1978 la population étrangère à 500 000 résidents plus 150 000 saisonniers et 70 000 frontaliers; d) seconde initiative Schwarzenbach, rejetée en 1977 par 71 % des voix. Objectifs: réduire la population étrangère à 12,5 % en dix ans; initiative de l'AN pour limiter le nombre des naturalisations à 4000 par an, rejetée en 1977 par 66% des voix ; initiative de l'AN pour la limitation de l'immigration, déposée en avril 1985, pas encore soumise au vote. Objectif: à court terme la Suisse ne laisserait entrer que deux tiers du nombre des étrangers qui la quittent. Cf. APS, 1967, p. 104 ss.; 1968, p. 104 s.; 1970, p. 130 ss.; 1974, p. 115 ss.; 1977, p. 119 s.; 1985, p. 154.