Année politique Suisse 1987 : Chronique générale / Politique étrangère suisse / Europe
Au moment où l'adhésion à l'ONU est bloquée et où l'existence de l'AELE est remise en question, le Conseil de l'Europe est l'une des organisations politiques supranationales dont la Suisse fasse pleinement partie. De plus, il joue un rôle, au demeurant particulièrement important pour notre pays, de pont entre la Communauté européenne et les pays non membres de cet organisme. Les Chambres ont adopté le troisième rapport annuel du Conseil fédéral concernant ses activités au sein du Conseil, portant sur l'année 1986. Il traite des conséquences des travaux dudit Conseil pour la Suisse ainsi que des apports spécifiques de notre pays à ces activités. Que ce soit dans les domaines de la culture, de la jeunesse, de l'éducation, de l'environnement ou de l'égalité entre femmes et hommes, la Suisse s'est activement impliquée tant dans les débats que dans des projets concrets
[6]. Par ailleurs, le parlement a également pris acte du rapport de la délégation parlementaire suisse auprès du Conseil de l'Europe traitant notamment des défis se posant à l'Europe concernant la création du marché interne de 1992, de l'intégration des pays d'Europe de l'Est et méridionale et des ressources financières
[7].
Le Conseil de l'Europe est, depuis sa création, l'auteur de deux textes majeurs, la Convention européenne des droits de l'homme et la Charte sociale. La première, ratifiée par la Suisse en 1974, est rigide et instaure des droits directement applicables ainsi que des juridictions supranationales susceptibles de prendre des sanctions en cas d'inobservation. La seconde, beaucoup plus flexible, n'est pas directement applicable, ne crée aucune juridiction supranationale ni sanction. A cet égard, le Conseil fédéral, désireux de participer activement dans cet hémicyclique, doit néanmoins concilier des optiques fort différentes en la matière provenant du Conseil des Etats, du Conseil national et du peuple.
La chambre haute a — comme le Conseil national en 1986 — choisi une attitude résolument positive en ratifiant les protocoles additionnels à la Convention européenne des droits de l'homme
[8]. Ceux-ci concernent l'abolition de la peine de mort (protocole no 6), l'extension des droits civils et politiques (protocole no 7) — mais ratifié avec deux réserves concernant les articles 1 (personnes expulsées au nom de la sûreté intérieure ou extérieure) et 5 (réserve du droit fédéral) — et l'accélération du traitement des requêtes pendantes devant la Commission européenne des droits de l'homme
[9].
La chambre basse a – comme le Conseil des Etats en 1984 – rejette le projet de ratification de la
Charte sociale qui est, paradoxalement, le texte le moins dirigiste. La commission du Conseil national, chargée de traiter ce projet, proposa, mais après bien des hésitations, son acceptation. A ce moment du débat, le problème résidait principalement dans la ratification du "noyau dur" de la Charte
[10]. Chaque pays signataire est tenu d'accepter cinq articles parmi les sept constituant le noyau susmentionné. Ces sept articles, postulant en fait une extension de l'Etat social, sont relatifs au droit du travail, ainsi qu'aux droits syndical, de la famille, des travailleurs migrants et de leur famille (non ratifiable pour la Suisse puisqu'elle ne reconnaît pas le regroupement de ces familles), les droits à la sécurité sociale et à l'assistance sociale et médicale (même au-delà des frontières pour les nationaux). Or, si le Conseil fédéral a prétendu que cinq de ces articles étaient ratifiables, compte tenu de certaines réserves, le Conseil national a conclu différemment et a jugé que les conditions juridiques d'approbation n'étaient pas réunies pour deux des cinq dispositions choisies par le gouvernement. Dans un premier temps, le droit de négociation collective n'est pas admissible, même accompagné d'une réserve, puis-qu'il octroie le droit de grève aux fonctionnaires, strictement prohibé en Suisse. Dans un second temps, le droit à l'assistance sociale et médicale est inacceptable puisque l'égalité de traitement qu'il revendique entre Suisses et étrangers remet en cause le système fédéraliste, ce secteur étant du ressort des cantons.
Mais les arguments des adversaires, parmi lesquels se trouvent le PRD, le PLS, le PDC,l’UDC et l'extrême-droite, n'étaient pas seulement juridiques. Ils objectèrent en sus que la Charte est un document dépassé, datant d'une époque de pleine croissance (1961) où la logique de l'extension de l'Etat social n'était pas remise en question. De plus, la Suisse possède un système social équilibré. Les adversaires l'ont emporté puisque le Conseil national a refusé de ratifier la Charte (par 104 voix contre 82). Mais pour les partisans de ce texte – le PS, les Verts, l'AdI, l'extrême-gauche et quelques démocrates-chrétiens – ce refus, plus qu'un durcissement des fronts sociaux, est une nouvelle manifestation de l'isolationnisme helvétique, de son refus de solidarité avec l'Europe en construction, même si les adversaires de la Charte s'en défendent
[11].
[6] FF, 1987, I, p. 1129 ss. ; BO CN, 1987, p. 1081 ss. ; BO CE, 1987, p. 240.
[7] BO CE, 1987, p. 206 ss.; BO CN, 1987, p. 1081 ss.
[8] Cf. APS, 1986, p. 14 s. et 48 s. et cf. supra, part. I, 1b (Grundrechte).
[9] FF, 1987, I, p. 1005; BO CE, 1987, p. 24 ss. et 169; BO CN, 1987, p. 552.
[10] Cf. APS, 1984, p. 48 et 1986, p. 50.
[11] BO CN, 1987, p. 1560 ss.; presse des 2 et 3.12.87; LNN, 30.11.87; 24 Heures, 5.12.87.
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