Année politique Suisse 1987 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie
 
Politique énergétique
La principale question se posant actuellement dans le domaine de la politique énergétique réside dans l'interrogation suivante: veut-on ou ne veut-on pas d'une politique énergétique nationale? Par extension, quelle serait l'étendue des compétences de la Confédération si, d'aventure, la réponse à la première interrogation était positive?
Dans un premier temps, l'orientation semblait clairement définie puisque le Parlement approuvait la construction de la centrale de Kaiseraugst. Mais le réveil fut brutal en 1986 lorsque la catastrophe de Tchernobyl remis sérieusement en question l'optique du nucléaire. L'impact fut tel dans les consciences qu'il provoqua la résurgence d'une volonté de politique nationale en matière d'énergie. Par ailleurs, il devenait quasiment impossible pour le Conseil fédéral de poursuivre la construction de Kaiseraugst sans courir le risque d'avoir à affronter une crise étatique majeure.
L'exécutif créa donc un groupe de travail dont le mandat était clairement établi: élaborer un rapport sur les préalables, les possibilités et les conséquences du maintien de l'énergie nucléaire ainsi que sur son abandon. En ayant une analyse scientifique sur laquelle se baser, le gouvernement pensait pouvoir renforcer sa position en faveur d'une politique énergétique nationale, somme toute déjà entamée par les travaux concernant une nouvelle version de l'article énergétique. Une même volonté semblait animer le Conseil national puisqu'il avait adopté, en 1986 lors de sa session extraordinaire, les motions Nebiker (udc, BL) et Schmidhalter (pdc, VS) demandant l'élaboration d'un article constitutionnel sur l'énergie [1].
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Article constitutionnel énergétique
Ce nouvel article constitutionnel 24 octies concrétiserait une politique énergétique nationale puisqu'il doterait la Confédération de compétences lui permettant d'édicter des prescriptions sur la consommation d'énergie des installations, des véhicules et des appareils. En sus, l'Etat aurait pour tâche de favoriser les économies d'énergie ainsi que de développer des techniques énergétiques nouvelles. L'avant-projet comporte trois innovations par rapport à l'article constitutionnel refusé en 1983: il désire renforcer la collaboration avec les cantons; il prévoit que la Confédération obtienne une compétence en matière d'établissement des principes applicables à la fourniture et à l'emploi de l'énergie, ce qui lui permettrait non pas d'imposer des prix mais, par exemple, d'interdire les tarifs dégressifs; il veut instituer une taxe non affectée sur l'énergie. La principale nouveauté réside dans ce dernier point. Trois versions de cet impôt ont été étudiées: elles s'établiraient à 2, 4 ou 10% et permettraient progressivement, outre le financement spécifique de la politique énergétique, des dépenses dans le domaine de la protection de l'environnement, des mesures connexes touchant les transports publics et une incitation accrue à des économies d'énergie [2].
Si l'on se réfère au résultat de la procédure de consultation, on remarque que tous les partis — excepté le Parti libéral suisse — les syndicats et tous les cantons — sauf Vaud et le Jura — approuvent l'idée d'un article constitutionnel. Les opposants se recrutent principalement parmi les organisations d'employeurs (USAM notamment), des transports privés routiers (dont le TCS, l'ACS, l'ASTAG) et du secteur de l'énergie. Remarquons néanmoins que l'Union des centrales suisses d'électricité a recommandé à ses membres d'abandonner les tarifs dégressifs d'énergie électrique, ceux-ci encourageant les consommateurs à ne pas économiser. Selon lesdits adversaires, les dispositions actuelles suffiraient pour permettre à la Confédération d'agir; de plus, un article constitutionnel permettrait une politique fédérale trop dirigiste. Le principe d'un impôt énergétique est encore plus controversé. Les partis bourgeois gouvernementaux ainsi qu'une minorité de cantons le refusent. Les milieux patronaux, le secteur de la production énergétique et les organisations faîtières des transports (sauf l'AST) sont opposés à tout principe de taxation. Pour eux, seule une énergie très chère conduirait à de véritables économies d'énergie mais une taxe élevée nuirait à la compétitivité de notre industrie. Pour dix-neuf cantons, les syndicats, le Parti socialiste suisse, les consommateurs, les milieux écologiques, la Conférence des directeurs cantonaux de l'énergie, une telle taxe est souhaitable, voire indispensable [3].
Dans le projet finalement adopté par le Conseil fédéral, résultant de la procédure de consultation, la Confédération se trouve dotée d'un devoir ("doit" agir) alors que, dans l'avant-projet, la formulation était plus suggestive ("peut" agir). Par contre l'exécutif renonce à l'insertion, dans le nouvel article, de l'impôt énergétique, suite aux nombreuses oppositions émises à son encontre lors de la consultation, notamment de la part des milieux patronaux et énergétiques. Le gouvernement n'abandonne pas pour autant une telle taxation; celle-ci fera l'objet d'une réglementation séparée, discutée par le parlement dans le cadre du nouveau régime des finances fédérales. A ce titre, le DFF a demandé à un groupe d'économistes bâlois un rapport en vue de la suppression de la taxe occulte; il en résulte que celle-ci n'est envisageable que dans le cadre d'une compensation par l'imposition de tous les agents énergétiques [4].
En 1987, le Conseil des Etats a traité les interventions issues de la session extraordinaire du Conseil national [5], dont les motions Nebiker (udc, BL), Schmidhalter (pdc, VS) et Carobbio (psa, TI) demandant un article constitutionnel en matière d'énergie. L'acceptation de ces motions par les sénateurs présage de l'optique prise par le projet final de message adopté par le gouvernement puisque les trois textes demandent des économies d'énergie, une intensification de la recherche dans le domaine des énergies de substitution ainsi qu'une collaboration accrue entre la Confédération et les cantons [6]. Le rejet de la motion Jaeger (adi, SG), qui aurait doté l'Etat fédéral de mesures d'incitation et qui aurait été interprétée par la chambre haute comme une porte ouverte à une taxe énergétique, traduit les hésitations, voire le refus, du principe d'un impôt en matière d'énergie [7]. Les tergiversations de certains milieux face à toute restriction dans le domaine du prix de l'énergie se retrouvent dans la transformation en un postulat de la seconde partie d'une motion émanant de la minorité de la commission de l'énergie du Conseil national demandant l'établissement de principes en matière de tarification et de raccordement. La première fraction, prévoyant une utilisation économique de l'énergie et un encouragement des énergies nouvelles, a été acceptée telle quelle [8]. L'exonération de l'ICHA pour les investissements conduisant à des économies d'énergie, proposée par la motion Schmid (pdc, AI), est également acceptée par le Conseil des Etats [9].
Le Conseil national ne s'est pas démarqué profondément de la chambre haute. Après la session extraordinaire d'automne 1986, l'activité de la chambre basse, dans le domaine de la politique énergétique globale, s'est quelque peu restreinte. Deux motions ayant trait à des mesures d'économie d'énergie, émanant du conseiller national Bundi (ps, GR) et du groupe AdI/PEP, ont été déposées en 1987 [10]. Le conseiller national Jaeger (adi, SG) a présenté une motion pour une taxe sur les agents énergétiques non renouvelables; elle a été transformée en postulat [11].
Deux initiatives cantonales ont été déposées dans le courant de l'année. La première - de Bâle-Ville - exige un article énergétique qui permettrait d'envisager l'abandon du nucléaire [12]. La seconde provient du canton du Jura et demande la création d'une loi sur l'électricité [13].
En 1987, la consommation suisse d'énergie a atteint un niveau record, en progression de 3,1% par rapport à 1986. Cette hausse est due à plusieurs facteurs parmi lesquels signalons le prix des carburants - qui n'ont jamais été aussi bas en termes réels (-4,5% sur le prix moyen de l'essence par rapport à 1986) - ainsi que l'extension du parc automobile, l'augmentation de 2,5% du PIB, des températures plus fraîches, l'accroissement de la population (+ 0,7%) et l'augmentation du nombre de logements [14].
 
[1] Cf. infra, Energie nucléaire et APS, 1986, p. 109.
[2] Presse du 12.2.87.
[3] Presse du 22.10.87.
[4] FF, 1988, 1, p. 297 ss. Cf. supra, part. I, 5 (Einnahmenordnung).
[5] Cf. aussi APS, 1986, p. 109.
[6] BO CE, 1987, p. 114 et 117 ss.
[7] BO CE, 1987, p. 115 ss.
[8] BO CE, 1987, p. 115.
[9] BO CE, 1987, p. 96 ss.
[10] Délib. Ass. féd., 1987, I, p. 56 (Bundi) et III, p. 34 (Adl/PEP).
[11] BO CN, 1987, p. 440.
[12] Délib. Ass. féd., 1987, I, p. 17.
[13] Délib. Ass. féd., 1987, III, p. 14 s.
[14] LM, 12.2.88; JdG, 22.4.88.