Année politique Suisse 1988 : Chronique générale / Politique étrangère suisse / Institutions mondiales
L'Uruguay-Round, lancé en 1986 à Punta del Este (Uruguay), est la huitième négociation commerciale multilatérale depuis la fondation du GATT en 1947. A la différence des sept premières, elle se caractérise par son objet même, le système global du commerce et ses mécanismes. L'objectif de ce cycle est triple. Dans un premier temps, il vise la consolidation, voire la réforme, des règles multilatérales du commerce international et ce afin de lutter contre les nouvelles formes de protectionnisme. Dans un second temps, il recherche l'extension de ces règles à des secteurs inédits des échanges mondiaux tels que les services et la propriété intellectuelle. Dans un troisième temps, il souhaite le renforcement de la coordination entre le secteur commercial figuré par le GATT et celui monétaire, financier et de développement concrétisé par les organisations de Bretton Woods et ce afin d'intégrer les pays du Tiers Monde au système international.
La Suisse réalise 50% de son PNB par le biais des domaines exportateurs de son économie. Ceux-ci dépendent d'une économie mondiale dynamique et ouverte ainsi que du bon fonctionnement d'un système commercial multilatéral. C'est pourquoi la Suisse a tout intérêt à la réussite de l'Uruguay-Round, dont les négociations devraient s'achever en 1990. De surcroît, elle est confrontée, pour la première fois de son histoire, à deux négociations interdépendantes et simultanées qui vont forger son avenir: le cycle Uruguay et l'intégration européenne. Si tout progrès au GATT peut améliorer l'accès au marché de la CE et atténuer ainsi l'avantage du libre-échange européen (par exemple dans les discussions sur l'élimination des obstacles non tarifaires), il peut aussi y avoir parallélisme des deux processus (exemple des services ou des achats publics). En raison de ce principe de vases communicants, la pierre angulaire de la stratégie européenne de la Suisse doit être, selon l'ambassadeur délégué aux négociations commerciales David de Puryi, la réussite de l'UruguayRound
[82].
En 1988, ce cycle a vécu une importante échéance avec la conférence ministérielle de Montréal dont le but était de donner une impulsion politique nouvelle à ces négociations, deux ans avant leur terme. Dans ce contexte la délégation suisse, emmenée par Jean-Pascal Delamuraz, a joué sur le "multilatéralisme" et la définition de normes claires, ordonnées et contrôlables dans tous les secteurs commerciaux. A ce stade des discussions, la position de la Suisse est cependant devenue difficile car si elle encourage le libre-échange commercial, la Confédération helvétique refuse de l'appliquer dans le domaine agricole. Comme l'agriculture constitue l'un des points de convergence des efforts de réforme de ce huitième cycle, l'éventualité de la recherche à terme, par la Suisse, de nouvelles voies de réglementation de son commerce agricole n'est pas à exclure. Cependant, elle a disposé d'un sursis puisque, en raison des divergences subsistant entre les Etats-Unis et la CE, aucun compromis dans ce domaine n'a pu être trouvé à Montréal. Cet échec aurait probablement causé celui de l'ensemble de la conférence si une suspension des travaux jusqu'en avril 1989 n'avait été décidée.
Un tel échec aurait été fort dommageable en raison des consensus établis dans onze des quinze secteurs débattus au Canada, dont notamment les tarifs, les produits tropicaux et ceux provenant de ressources naturelles, les subventions, les articles du GATT, le règlement des différends et le commerce des services. En dehors de l'agriculture, trois autres domaines sont restés dans l'impasse: la clause de sauve-garde, les textiles et la propriété intellectuelle, laquelle est prioritaire pour la Suisse en raison de la protection des brevets et de la lutte contre les contrefaçons horlogères
[83].
Lors de son voyage à Singapour, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Argentine, Jean-Pascal Delamuraz a principalement défendu la politique agricole suisse dans le cadre du cycle Uruguay, l'Australie (membre du Groupe de Cairns des principaux exportateurs de produits agricoles) et la Nouvelle-Zélande étant favorables à une libéralisation de ce secteur ainsi qu'à la suppression des subventions à l'agriculture
[84]. Il a de même plaidé pour les options agricoles helvétiques au sein du GATT lors de sa visite aux Etats-Unis. Mais le chef du DFEP a également évoqué les inquiétudes helvétiques face au protectionnisme grandissant de ce pays
[85].
[82] La Vie économique, 62/1989, no 6, p. 11. Cf. aussi Lit. Eberhard, de Pury et Wasescha.
[83] FF, 1989, I, p. 305 ss.; Rapp. gest. 1988, p. 325 ss.; La Vie économique, 62/1989, no 6, p. 9 ss. et 16 ss.; Bund, 12.2.88 et L'Hebdo, 26.5.88 (politique agricole suisse); JdG, 24.11., 8.12. et 10.12.88; Suisse, 8.12. et 10.12.88; 24 Heures, 9.12.88. Cf. aussi infra, part. I, 4c (Agrarpolitik).
[84] Voyage effectué afin de représenter le Conseil fédéral lors de la journée suisse de l'exposition universelle de Brisbane (Australie). JdG, 8.7., 21.7., 29.7. et 4.8.88; NZZ, 21.7.88; 24 Heures, 25.7.88; Lib., 26.7.88.
[85] NZZ, 27.1. et 6.2.88; BaZ, 5.2.88; presse du 12.2.88. Pour la politique agricole suisse au sein du GATT, cf. infra, part. I, 4c (Agrarpolitik) et APS 1987, p. 80 et 108 s.
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