Année politique Suisse 1988 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie / Energie nucléaire
Une première
présentation publique des scénarios énergétiques s'est déroulée en février. L'on se souvient que le groupe d'experts chargé de leur élaboration avait connu quelques difficultés en 1987 lorsque certains de ses membres démissionèrent
[21]. Son mandat stipulait qu'il ne devait pas prendre position mais élaborer un rapport sur les prémisses, les possibilités et les conséquences du non-développement de l'énergie nucléaire, voire de son abandon
[22]. Les scénarios, plus d'une quinzaine au total, reposent sur un ensemble de conditions-cadre communes telles que des normes sur les émissions, le non-épuisement du potentiel de production hydraulique, la stagnation de la consommation d'énergies fossiles et le non-accroissement des importations d'électricité
[23]. Ce sont des plans d'action qui décrivent, outre les perspectives de l'offre et de la demande, l'évolution des conditions socio-économiques. Ils indiquent les mesures à prendre et leurs incidences sur les systèmes économique, écologique, politique et social. Les trois options principales sont celles de référence, de moratoire et d'abandon.
Le scénario de référence, d'un coût de 7 milliards de francs, prévoit une croissance soutenue et le renforcement de la politique énergétique de la Confédération et des cantons (article constitutionnel, loi sur l'énergie et taxe de 4%). Il prône principalement un développement de l'énergie nucléaire. Ce scénario serait à la fois facile et difficile à réaliser: facile car il demande peu de changements politiques institutionnels, difficile parce qu'il suppose un soutien populaire à l'énergie nucléaire.
Le scénario de moratoire permet le maintien des centrales nucléaires aujourd'hui en fonction mais interdit toute nouvelle construction d'installation nucléaire. Afin de compenser cette perte énergétique, il prévoit un renforcement de la politique d'économie d'énergie (loi sur l'électricité, loi sur l'énergie mais aussi article constitutionnel et taxe de 10%) ainsi que des tarifs basés sur les coûts marginaux. Une somme de 36 milliards de francs serait indispensable à sa réalisation.
Le
scénario d'abandon a pour but de délaisser toute forme de production nucléaire d'ici l'an 2025. Une renonciation dans un délai plus bref serait nuisible principalement à l'environnement, en raison du recours obligatoire aux énergies fossiles. Pour combler à terme la perte du courant nucléaire, il prévoit des prescriptions strictes en matière d'économies ainsi qu'une forte promotion des énergies renouvelables et du couplage chaleur-force. L'article constitutionnel, la loi sur l'énergie, la loi sur l'électricité, une taxe de 10% ainsi que des subventions d'orientation de la consommation complètent les mesures indispensables à sa réalisation. Sa mise en oeuvre nécessiterait 86 milliards de francs. Les scénarios du moratoire et de l'abandon supposent des normes juridiques sévères alors que l'interventionnisme étatique est aujourd'hui une idée compromise. Selon le groupe d'experts sur les scénarios énergétiques (GESE), l'abandon du nucléaire en Suisse serait techniquement possible mais politiquement, socialement et économiquement irréalisable à moins d'envisager un véritable changement de société
[24].
Ce rapport, attendu avec impatience, devait contribuer à l'apaisement de la scène énergétique suisse. De fait, il n'en est rien puisqu'il a déjà été fatal à la Commission fédérale de l'énergie. Selon ses attributions, elle aurait dû prendre position sur les scénarios. Or, aucun consensus réel ne s'est dégagé de ses travaux, même si une courte majorité s'est esquissée en faveur du scénario de référence modifié
[25]. N'étant plus considérée comme consensuelle par le Conseil fédéral, elle a été dissoute le 18 novembre. Ce n'est certes pas la seule raison de son éviction mais cette absence de plate-forme commune a probablement précipité sa chute. Par la même occasion, le groupe d'experts sur les scénarios énergétiques a également été dissous. Désormais, l'administration sera conseillée ponctuellement par des mandataires indépendants
[26].
Ces scénarios ont donné lieu à certaines dissensions dans l'arène politique. Pour les adversaires du nucléaire, preuve est donnée que l'abandon est possible. Pour ses partisans, parmi lesquels l'Union des centrales suisses d'électricité, l'association suisse pour l'énergie atomique et le Vorort, le rapport est peu sérieux, lacunaire et ne peut en aucun cas servir de fondement à la discussion énergétique
[27]. Le PES et le WWF les approuvent sans réserve; le PS et I'USS font de même tout en étant plus nuancés, désireux qu'ils sont d'un article constitutionnel plus contraignant. Pour le PDC, l'UDC et le PRD, ce rapport constitue une base partielle de travail; néanmoins, ils restent réservés sur l'abandon
[28]. Le Conseil fédéral, après l'avoir attendu pour orientèr sa conception énergétique, n'est guère enthousiaste et ne choisit aucun des scénarios présentés; ceux-ci seraient politiquement dépassés. Selon Adolf Ogi, la voie gouvernementale se situe "quelque part entre le scénario de référence et le moratoire"
[29].
[21] Cf. APS 1987, p. 134 s.
[22] JdG, 16.1.88; DP, 18.2.88; GESE (Groupe d'experts pour les scénarios énergétiques), Scénarios énergétiques, Berne 1988, p. 2.
[23] GESE, Scénarios énergétiques, Berne 1988, p. 6 s.; cf. aussi DP, 18.2.88.
[24] JdG, 26.1., 5.2., 13.2. et 18.6.88; Lib., 24 Heures et Suisse, 5.2.88.
[25] Six membres étaient partisans de l'abandon dont Elmar Ledergerber, six en faveur du moratoire de "l'alternative active" dont Peter Tschopp et huit en faveur du scénario de référence dont Michael Kohn. Cf. Suisse, 18.1.88; 24 Heures, 23.4.88; L'Hebdo, 17, 28.4.88.
[26] Suisse, 18.1.88; JdG et NZZ, 19.11.88.
[27] RFS, 6, 9.2. et 19, 10.5.88; SAZ, 8, 25.2.88.
[28] Bund et Suisse, 5.2.88; SGB, 6, 11.2.88.
[29] JdG et Suisse, 18.6.88.
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