Année politique Suisse 1988 : Politique sociale / Population et travail / Temps de travail
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Initiative pour la réduction de la durée du temps de travail
Déposée en 1984 par l'Union syndicale suisse (USS), l'initiative pour la réduction de la durée du temps de travail a été repoussée par le souverain. En effet, c'est par 1 475 536 non contre 769 264 oui qu'il a signifié son refus de voir progressivement entrer en vigueur la semaine de 40 heures. Le peuple a ainsi suivi les recommandations du Conseil fédéral et des Chambres qui avaient proposé le rejet d'une initiative qui visait à abaisser par étapes la durée hebdomadaire du travail à 40 heures, sans diminution de salaire, et entendait faire bénéficier les travailleurs d'une partie de l'accroissement de la productivité dû au progrès technique, tout en créant les conditions du plein emploi [5].
Initiative pour la réduction de la durée du temps de travail. Votation du 4 décembre 1988
Participation: 52,9%
Non: 1 475 536 (65,7%) / 21 cantons
Oui: 769 264 (34,3%) / 2 cantons (JU et TI)

Mots d'ordre:
Non: PRD, PDC*, UDC, PLS, PEP; Vorort, UCAP, USAM, USP.
Oui: PSS, PES, POCH, PdT, PSO, Alliance Verte; USS, CSCS.
Liberté de vote: AdI*, AN', PA; Association suisse des employés.
Recommandations différentes des partis cantonaux
A l'instar de celle du Conseil des Etats en 1987, la majorité bourgeoise du Conseil national, soutenue pour l'occasion par les indépendants et certains écologistes, a invoqué des motifs économiques et juridiques traditionnels pour justifier son opposition à l'initiative. Elle a davantage stigmatisé la forme, à savoir l'ancrage constitutionnel, que le fond, c'est-à-dire la réduction de la durée du temps de travail. L'argument le plus fréquemment avancé par les opposants avait trait aux conventions collectives de travail. En effet, selon eux, une réglementation de la durée du travail par la Constitution et la loi les viderait de leur substance. Mais les partisans de l'initiative ont réfuté cette affirmation en relevant que les conventions collectives ne se limitent pas à la seule réglementation de la durée du travail. Les représentants de la droite ont fustigé en particulier la formulation de l'initiative jugée trop rigide et empêchant, selon eux, tout aménagement ultérieur du temps de travail et des loisirs. Et ceux-ci de poursuivre en insistant sur le fait que toute réglementation légale serait incompatible avec les conditions différentes qui règnent d'une branche économique à une autre.
Quant aux partis de gauche, ils ont tenu à souligner l'esprit de l'initiative qui, selon eux, marque un tournant en matière de priorités sociales. Ils ont défendu le principe suivant lequel la généralisation de la semaine de 40 heures s'inscrit dans l'objectif de protection de la santé des travailleurs et permet de réparer certaines injustices liées à la durée du travail entre différents secteurs d'activité. Aux prévisions alarmistes de la droite quant à l'aptitude de l'économie suisse à faire face à la concurrence étrangère en cas de succès de l'initiative, la gauche a souligné que la Suisse, avec une moyenne de 42,5 heures de travail hebdomadaire, accusait un retard en comparaison avec ses voisins européens. Et d'ajouter que les secteurs les plus exposés à la concurrence, la chimie et l'horlogerie, connaissent déjà la semaine de 40 heures sans pour autant constater une baisse de compétitivité. Finalement le Conseil national a recommandé le rejet de l'initiative par 115 voix contre 51 [6].
Les associations économiques se sont penchées presque exclusivement sur l'analyse et l'évaluation d'une réduction du temps de travail sous l'angle des coûts salariaux. Une diminution du temps de travail imposée par la Constitution représenterait, selon elles, des coûts supplémentaires pour des branches économiques qui éprouvent déjà des difficultés à maintenir leur capacité concurrentielle et affaiblirait l'économie suisse au niveau de sa compétitivité. Elles ont également ajouté que nombre d'entreprises et secteurs économiques ont déjà introduit la semaine de 40 heures ou le feront dans les années à venir. D'une façon générale, tant le patronat que la droite politique ont stigmatisé l'intervention du législateur dans un domaine qu'ils considèrent comme du ressort des partenaires sociaux [7].
Pour les syndicats, l'initiative visait à protéger la santé physique, psychique et social du travailleur qui, selon eux, est de plus en plus exposé aux maladies et aux accidents du travail. Ils cherchaient également à diffuser dans l'ensemble de l'économie les acquis des négociations collectives obtenus dans certaines branches [8].
Le rejet par plus de 65% des votants de l'initiative pour la semaine de 40 heures nous rappelle s'il en était besoin, l'attachement presque mythique que porte une majorité de Suisses à la valeur travail. Ce sont principalement des arguments d'ordre économique qui ont motivé leur choix. En effet, nombre d'entre eux ont ressenti l'initiative comme une menace pour la prospérité économique de la Suisse. D'autres ont étayé leur refus en estimant que la réglementation légale de la durée du travail constituait une atteinte grave au système de partenariat social en se substituant aux conventions collectives. Quant aux citoyens ayant apporté leur soutien à l'initiative, ils ont été d'avis qu'une réduction de la durée du travail aurait eu des répercussions individuelles positives, comme une amélioration de la qualité de vie ou une baisse du surmenage, aurait permis de favoriser une restructuration sociale et d'atteindre un équilibre entre les divers secteurs économiques. L'analyse Vox a également démontré que l'attitude des votants à l'égard de l'initiative s'est caractérisée par une polarisation partisane et que les mots d'ordre des partis ont été largement suivis, tant à gauche qu'à droite [9].
 
[5] Résultats: FF, 1989, I, p. 226 ss.; presse du 5.12.88. Cf. aussi APS 1987, p. 183 s. Généralités sur l'initiative: DP, 17.3. et 24.11.88; L'Hebdo, 24.11.88. Campagne précédent le scrutin populaire: cf. presse du mois de novembre 1988.
[6] BO CN, 1988, p. 120 ss. et 473; BO CE, 1988,p.121; FF, 1988, I, p. 1371 s. Cf. aussi APS 1987, p. 183 s.
[7] RFS, 13.9., 20.9. et 1.11.88; SAZ, 24.11. et 8.12.88.
[8] USS, 3.2., 2.3., 7.9. et 7.12.88. Cf. aussi presse du 29.1.88.
[9] Vox, Analyse des votations fédérales du 4 décembre 1988, Genève 1989.