Année politique Suisse 1988 : Politique sociale / Santé, assistance sociale, sport / Produits engendrant la dépendance
Face au constat d'échec de l'actuelle politique menée à l'encontre des toxicomanes, le nombre des décès dus à l'abus de stupéfiants et la fréquence des délits liés à l'acquisition de substances illégales ne cessent d'augmenter, le débat entre tenants d'un renforcement de la répression pénale et partisans d'une éventuelle
libéralisation de la consommation et du commerce des drogues douces a connu une nouvelle impulsion
[21]. Convaincu que la répression ne peut constituer un allié efficace pour enrayer le fléau de la drogue, le gouvernement bernois a adressé une lettre au Conseil fédéral dans laquelle il demande une révision de la loi fédérale sur les stupéfiants qui aille dans le sens d'une légalisation des drogues douces comme le haschisch et la marijuana et d'une abrogation du caractère punissable de la consommation de drogues. Quant à la criminalité liée à l'approvisionnement, il pense qu'elle pourrait être considérablement réduite si la consommation et l'achat destiné à l'usage personnel n'étaient plus punissables. En préconisant d'aider les drogués à ne pas sombrer dans une déchéance économique et sociale en leur procurant du travail et en les plaçant dans un environnement social humain, le Conseil d'Etat bernois cherche à éveiller davantage leur sens des responsabilités. A l'origine de cette démarche, un postulat adopté par le Grand Conseil en 1987. Le Conseil fédéral s'est montré très sceptique et a mis en garde contre des prises de position aussi tranchées qui risqueraient d'isoler la Suisse sur le plan de la lutte internationale contre le trafic de drogue. Et de rappeler que l'actuelle loi sur les stupéfiants laisse déjà une grande marge d'appréciation au juge puisque celui-ci peut, dans les cas de peu de gravité comme la simple consommation, choisir entre l'impunité, une amende ou l'emprisonnement
[22].
Une majorité de Suisses semble se ranger derrière l'avis du gouvernement et ne pas partager les vues de l'exécutif bernois. En effet, selon un sondage, 60% des personnes interrogées désapprouvent une éventuelle décriminalisation des drogues douces. La résistance à la dépénalisation peut s'expliquer par la crainte d'assister à une escalade potentielle qui pourrait conduire à la consommation de drogues dures. Qui plus est, une libéralisation susciterait la convoitise des acheteurs et consommateurs étrangers
[23].
Dénonçant les pratiques actuelles, le Cartel suisse des associations de jeunesse a présenté un rapport de travail préconisant l'abandon de la criminalisation de l'acquisition et de la détention de drogue destinée à la consommation personnelle et exigeant des mesures d'aide aux toxicomanes ainsi qu'une action sur les causes sociales qui poussent les jeunes à s'adonner à la drogue
[24].
Les directeurs cantonaux de justice et police, interrogés par la sous-commission pour les questions de drogue de la commission fédérale sur les stupéfiants, ont approuvé dans une large majorité une révision de la loi fédérale sur les stupéfiants qui aille dans le sens d'une différenciation entre drogues douces et drogues dures et considèrent qu'il est souhaitable de substituer la prophylaxie à la répression
[25].
Avant de.définir l'orientation de la nouvelle politique menée à l'encontre de la drogue, il faut s'interroger sur les causes qui poussent les jeunes à s'adonner à la consommation de stupéfiants. Si, comme l'affirment les personnes confrontées à ce drame, l'éclatement du noyau familial, un isolement affectif et la peur d'un monde où le succès est érigé en valeur sont, entreautres, à l'origine de cette dépendance, force est alors de constater que l'Etat se trouve bien démuni face à ce problème de société. Après le Conseil national en 1986, le Conseil des Etats a à son tour refusé de donner suite à une pétition déposée par l'Association suisse des intervenants en toxicomanie qui demandait une
amnistie en faveur des délinquants drogués. Il a cependant approuvé un postulat de la commission des pétitions invitant le Conseil fédéral à analyser les effets d'une éventuelle libéralisation et surtout à accélérer la révision de la loi sur les stupéfiants. Le postulat tient en.quatre points: révision du système des peines prononcées contre les toxicomanes, répression plus sévère du grand trafic, différenciation des condamnations selon qu'il s'agit de drogues douces ou dures et enfin remise de médicaments de substitution aux drogués
[26].
[21] Statistique: presse du 7.1.89. (210 décès contre 196 en 1987). Cf. aussi SGT, 24.3.88; TA, 25.3. et 2.11.88.
[22] Presse du 4.10.88. CF: Bund et NZZ, 6.12.88.
[23] Suisse, 16.10.88. Sondage MIS et réalisé auprès d'un échantillon de 1009 personnes en Suisse romande et alémanique âgées de 18 à 75 ans.
[26] BO CE, 1988, p. 105 ss.; cf. aussi APS 1986, p. 158.
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