Année politique Suisse 1988 : Politique sociale / Groupes sociaux / Politique à l'égard des étrangers
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Initiative xénophobe
Occultés par la lancinante question des demandeurs d'asile, les problèmes liés à l'intégration des étrangers et à l'immigration ont, l'espace d'une votation populaire, à nouveau occupé le devant de la scène politique. Même s'il y a eu unanimité parmi les principaux partis, les syndicats et les associations patronales pour stigmatiser l'initiative "Pour la limitation de l'immigration", déposée par l'Action nationale (AN), il subsistait néanmoins un doute quant à l'issue du scrutin, la démagogie n'étant pas absente du discours politique tenu par les initiants. En effet, profitant d'une dynamique favorable, ils ont prétendu qu'en limitant l'immigration étrangère ils seraient en mesure de répondre aux inquiétudes d'une large partie de la population devant la dégradation de l'environnement, l'afflux de demandeurs d'asile et la pénurie de logements. Ces craintes se sont finalement révélées infondées, le peuple, suivant les recommandations des autorités fédérales, rejetant massivement l'initiative xénophobe [1].
Considérant que le Conseil fédéral avait échoué dans sa politique de stabilisation de la population étrangère, l'AN avait lancé ladite initiative en 1983. Son texte visait à ramener puis à maintenir la population globale de la Suisse au seuil des 6,2 millions d'habitants. Pour y parvenir, le nombre des autorisations de séjour accordées chaque année n'aurait pas dû excéder les deux tiers des étrangers ayant quitté la Suisse au cours de l'année précédente. Au terme d'une durée de 15 ans ou moins si la population atteignait plus rapidement la limite fixée, serait entrée en vigueur une disposition générale postulant l'équilibre entre arrivées et départs. Les auteurs de l'initiative entendaient également abaisser à 100 000 le nombre des saisonniers et à 90 000 celui des frontaliers ainsi que supprimer la possibilité de transformer automatiquement les autorisations de durée limitée en autorisations de séjour de longue durée. Ils exigeaient en outre d'intégrer les réfugiés reconnus dans le contingent total des étrangers. L'Action nationale a fait valoir que la Suisse n'est pas un pays d'immigration et que la présence d'un million d'étrangers crée fatalement des problèmes psychologiques et risque, à terme, de porter atteinte à l'identité nationale [2].
Si les exigences formulées dans l'initiative avaient été appliquées, la Suisse aurait compté 290 000 étrangers titulaires d'un permis d'établissement ou à l'année en moins, dont environ 180 000 exerçant une activité lucrative. Aux initiants qui prétendaient que cette réduction de main-d'oeuvre aurait un effet de cure sur l'économie et favoriserait l'automatisation, les opposants ont répliqué en insistant sur les dramatiques conséquences économiques et sociales. Et ceux-ci de rappeler que ces réductions d'effectifs affecteraient en premier lieu des secteurs dans lesquels le capital humain est prioritaire comme le bâtiment, le tourisme, l'hôtellerie, la santé, la recherche, l'industrie textile et de l'habillement.
En outre, il aurait fallu, selon le message du Conseil fédéral, renoncer en l'espace de quatre ans à 57 000 saisonniers et à 32 000 frontaliers. Une telle ponction aurait indubitablement constitué une menace pour l'économie des cantons périphériques où la main-d'oeuvre frontalière est vitale. Pour les adversaires de l'initiative, les premiers à souffrir d'une telle mesure auraient été les travailleurs indigènes des cantons voisins économiquement faibles, réduits au chômage par l'effondrement probable de leurs entreprises; ils n'auraient alors eu d'autre alternative que l'exode vers les grands centres industriels, contribuant ainsi bien malgré eux à accentuer le déséquilibre entre les régions. Qui plus est, ontils poursuivi, l'impérieux besoin de main-d'oeuvre aurait créé un recours massif aux travailleurs clandestins, entraînant son cortège de passeurs, d'expulsions et de condamnations. D'aucuns ont aussi relevé avec pertinence l'impact favorable de la population étrangère sur la pyramide des âges de la Suisse. En effet, elle compense une natalité indigène trop faible pour assurer un renouvellement des générations et enraie un vieillissement de la population suisse qui, à long terme, pourrait menacer notre système de sécurité sociale [3].
Aux conséquences économiques se serait ajouté un profond malaise moral et politique. D'une part, la cohabitation entre Suisses et étrangers en aurait durablement souffert et des tensions auraient pu naître de cette situation nouvelle. D'autre part, dans la perspective d'une future coopération avec la Communauté européenne, une fermeture des frontières aurait isolé la Suisse sur la scène internationale. Qui plus est, elle aurait peut-être été amenée à dénoncer différents traités et à formuler des réserves à l'égard de la Convention européenne des droits de l'homme. Alors que la législation actuelle sépare clairement les étrangers qui viennent en Suisse pour des raisons économiques des requérants d'asile, le texte de l'initiative liait les deux groupes sociaux en prévoyant de soumettre l'admission définitive des réfugiés au régime de la limitation et de les englober ainsi dans les contingents d'étrangers acceptés. Dans sa prise de position, E. Kopp a déclaré qu'une telle mesure opérait un mélange inadmissible des politiques en matière d'asile et de marché de l'emploi, domaines où les objectifs sont totalement différents. Et la conseillère fédérale de renchérir en faisant remarquer que l'amalgame des deux problématiques était inacceptable et que l'initiative ne réduirait pas d'une unité le nombre des demandeurs d'asile [4].
Tandis que la droite avançait presque essentiellement des arguments économiques pour fonder son réquisitoire, la gauche s'intéressait davantage aux conséquences humaines d'une acceptation de l'initiative, comme une forte limitation du droit des travailleurs étrangers au regroupement familial et la suppression du droit des saisonniers de transformer ultérieurement leur statut en autorisation à l'année [5].
Limitation de l'immigration. Votation du 4 décembre 1988
Participation: 52,8%
Non: 1 506 392 (67,3%) / 23 cantons
Oui: 732 029 (32,7%) / 0 canton

Mots d'ordre:
Non: tous les partis bourgeois et du centre, la gauche, les écologistes, les indépendants ainsi que les associations patronales et syndicales.
Oui: Action nationale et Vigilance.
Malgré le sort réservé par le peuple à l'initiative pour la limitation de l'immigration, il subsiste néanmoins un certain malaise au sein de la population et le spectre d'une rechute xénophobe n'est pas pour autant dissipé. Si le peuple a refusé d'adhérer aux thèses de l'Action nationale et de désigner les étrangers comme bouc émissaire, il manifeste pourtant une inquiétude latente devant les atteintes à l'environnement, l'afflux de réfugiés et la pénurie de logements. Les votations relatives à la politique des étrangers traduisent toujours une certaine protestation de la part de citoyens qui y expriment aussi leur malaise face à des problèmes qui n'ont pas pour cause les étrangers.
 
[1] Le CE a rejeté à l'unanimité l'initiative et le CN par 121 voix contre 3 (membres de l'AN). BO CE, 1988, p. 185 ss. et 425; BO CN, 1988, p. 387 ss. et 971. Arrêté fédéral: FF, 1988, II, p. 110 s. Résultats: FF, 1989,1, p. 226 et presse du 5.12.88. Sur l'initiative cf. aussi JdG, 23.11.88; 24 Heures, 25.11.88; Bund, 28.11.88.
[2] Cf. APS 1987, p. 205.
[3] Position AN: Volk + Heimat, 1988, Nr. 5, 9, 14, 15 et 16; NZZ, 23.8. et 7.11.88; TA, 24.11.88. Position des milieux économiques: RFS, 47, 22.11. et 48, 29.11.88.
[4] Sur les conséquences d'une acceptation: SGT, 2.11.88; BZ, 10.11.88; NZZ, 24.11.88. Interview Kopp: TA, 23.11.88.
[5] Syndicats: USS, 26, 7.9., 28, 24.9. et 34, 9.11.88. Cf. aussi BaZ, 26.11.88.