Année politique Suisse 1990 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie / Energie nucléaire
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Initiatives antiatomiques
Cette assertion paraît être démontrée par l'histoire du nucléaire en Suisse. Si, en 1963/64, le Conseil fédéral s'exprima en faveur de l'atome, si Beznau I fut mise en service en 1969, si cette même année vit l'octroi de l'autorisation de site à Motor Columbus pour la centrale de Kaiseraugst, une première faille dans l'unité de la doctrine apparut en 1975 lors de l'occupation, pendant près de deux mois, du site argovien susmentionné. Par la suite, deux initiatives anti-nucléaires furent rejetées par le peuple en 1979 et 1984 [19] . L'accident nucléaire de Tchernobyl, en 1986, contribua à nuancer le crédit dont jouit cette forme d'énergie et conduisit au dépôt, en 1987, de deux nouvelles initiatives (moratoire et abandon) [20]. Le rapport du GESE qui, en 1988, envisagea les conditions préalables au possible abandon du nucléaire, contribua aussi à déstabiliser la position de l'atome en Helvétie. Ce sentiment fut encore renforcé par l'abandon, définitif en 1989, de la construction de la centrale nucléaire de Kaiseraugst [21].
Cette tendance s'est confirmée en 1990 puisque le souverain, s'il a rejeté de justesse (par 53% des voix) un abandon total de l'énergie nucléaire, a accepté d'instaurer (par 55% des suffrages) un moratoire de dix ans en la matière, période durant laquelle aucune autorisation générale de construire, de mettre en service ou d'exploiter une centrale ne doit être accordée [22] .
En entérinant ce texte, le peuple et les cantons n'ont pas totalement suivi leurs autorités puisque le gouvernement et le parlement recommandèrent, sans contre-projet, le rejet des deux initiatives. Pour l'exécutif, les deux projets représentent un saut dans l'inconnu et induisent, de ce fait, de grands risques économiques. Pour A. Ogi, un abandon du nucléaire est irréalisable, la Suisse ne disposant d'aucune possibilité de substitution. Les arguments des partisans du nucléaire, que ce soit aux Chambres ou dans le public, tournèrent principalement autour de quatre thèmes. Premièrement, la protection de l'environnement: ne dégageant pas de CO2, le nucléaire est une énergie "propre". Deuxièmement, la dépendance face à l'étranger: l'abandon d'une production annuelle indigène de 40% d'électricité se répercuterait sur les importations et la sécurité de l'approvisionnement. Troisièmement, l'économie: l'industrie helvétique se compose et produit de hautes technologies, nécessitant un apport énergétique conséquent. La suppression du nucléaire aurait, à ce niveau, des répercussions négatives. Quatrièmement, l'électricité: difficilement remplaçable dans certains secteurs, les besoins en cette dernière vont, de surcroît, aller en s'accroissant.
Les partis bourgeois gouvernementaux et libéral ainsi que les milieux patronaux soutinrent ces positions contre la gauche, l'extrême-gauche, les écologistes, les indépendants, les syndicalistes et les démocrates suisses. Pour ceux-ci, le maintien du nucléaire conduit à une erreur de développement économique et écologique, d'autant plus que les scénarios du GESE ont prouvé la possibilité de son abandon. Ce dernier activerait l'innovation pouvant répondre à une limitation des ressources énergétiques. Une représentation de celles-ci comme étant illimitées est, selon les opposants à l'atome, illusoire. De surcroît, les risques liés à la sécurité des centrales les rendent économiquement non concurrentielles. A cela s'ajoutent le problème non résolu du stockage des déchets radioactifs et l'impossibilité d'utiliser le nucléaire afin de pallier l'effet de serre [23].
Initiative "Halte à la construction de centrales nucléaires" (Moratoire). Votation du 23 septembre 1990
Participation: 40,4%
Oui: 946 077 (54,6%) / 19 1/2 cantons.
Non: 789 209 (45,4%) / 3 1/2 cantons.

Mots d'ordre:
Oui: PS, PES, AdI (1*), PEP (1*), Alliance verte, PdT, DS; USS, CSCS, Ligue suisse pour la protection de la nature, WWF, Fédération suisse pour l'énergie.
Non: PRD (1*), PDC (4*), UDC (1*), PLS, PA; USP, Vorort, USAM, UCAP, Union des centrales suisses d'électricité, Redressement national, Forum suisse de l'énergie, Association suisse pour l'énergie atomique.
*Recommandations différentes des partis cantonaux.
Initiative "Pour un abandon progressif de l'énergie atomique". Votation du 23 septembre 1990.
Participation: 40,4%
Non: 915 739 (52,9%) / 16 cantons.
Oui: 816 289 (47,1%) / 7 cantons.

Mots d'ordre:
Non: PRD, PDC, UDC, PLS, PEP, PA; USP, Vorort, USAM, UCAP, Union des centrales suisses d'électricité, Redressement national, Forum suisse de l'énergie, Association suisse pour l'énergie atomique.
Oui: PS, PES, AdI (1*), Alliance verte, PdT, DS, USS, CSCS, Ligue suisse pour la protection de la nature, WWF, Fédération suisse pour l'énergie.
* Recommandations différentes des partis cantonaux.
Tous les cantons qui votèrent l'abandon en 1984 l'ont à nouveau approuvé en 1990, rejoint par ceux d'Uri et de Vaud [24]. L'âge semble jouer un rôle non négligeable puisque, selon les analyses Vox, 64% des votants entre 20 et 29 ans et 57% de ceux entre 30 et 39 ans se sont prononcés en faveur de l'abandon. Ces résultats, ainsi que celui relatif à l'article constitutionnel énergétique, matérialiseraient une tendance allant dans le sens d'un changement des valeurs sociétales, qui s'orienteraient de plus en plus vers des notions post-matérialistes [25] .
Le canton de Vaud ne sera pas doté de dispositions stipulant le devoir d'opposition des autorités à tout projet nucléaire puisque son corps électoral a rejeté, en juin, deux initiatives antiatomiques, l'une constitutionnelle, l'autre législative [26] .
 
[19] Cf. APS 1979, p. 103 s. et 1984, p. 98 ss. En 1979, celle "pour la sauvegarde des droits populaires et de la sécurité lors de la construction et de l'exploitation d'installations atomiques" (mais par une faible majorité) et, en 1984, celle "pour un avenir sans nouvelles centrales atomiques".
[20] Cf. APS 1986, p. 107 ss. (Tchernobyl) et 1987, p. 135. (initiatives).
[21] Cf. APS 1988, p. 130 s. et /989, p. 131; LNN, 3.2.90 (historique); TA, 14.8.90; BüZ, 22.8.90.
[22] FF, 1991, 1, p. 275 ss. (résultats des votations du 23.9.90); presse du 24.9.90.
[23] En votation finale, initiative du moratoire rejetée, au CE, par 33 voix contre 7, et, au CN, par 85 voix contre 59; initiative de l'abandon refusée par 39 voix contre 5 par la chambre des cantons et par 89 voix contre 52 par celle du peuple. BO CE, 1990, p. 23 ss. et 276; BO CN, 1990, p. 92 ss. et 760. Sur les arguments: presse des 8.2. et 17.9.90; JdG, 11.9.90; USS, 25, 22.8.90; RFS, 35, 28.8. et 37, 11.9.90.
[24] On pourrait y voir une influence des sondages de la Cedra à I'Oberbauenstock (UR) et à 011on (VD). TA, 24.9.90.
[25] VOX, Analyse der eidg. Abstimmung vom 23. September 1990, Zürich 1991; TW, 16.1.91.
[26] BaZ, 19.2.90; 24 Heures, 6.6.90; LM, 11.6.90; DP, 999, 14.6.90.