Année politique Suisse 1991 : Chronique générale
Résumé
Bien que la Confédération helvétique ait fété ses 700 ans d'existence, la vie politique suisse en 1991 n'a donné aucun signe de repli sur soi ou de stagnation. Les changements rapides de la société internationale, en tête desquels se situent la dissolution de l'Union soviétique suite au putsch manqué du mois d'août et le rôle croissant de la CE dans le processus d'intégration européenne, ont ébranlé les piliers séculaires de la politique helvétique, telles la neutralité et la liberté d'alliance. En politique intérieure également, l'image d'une Suisse stable s'est effritée: pendant que le chômage et l'inflation atteignaient des taux inhabituels, les partis gouvernementaux, lors des élections au Conseil national, perdaient de nombreux électeurs au profit des partis populistes de droite.
Durant la campagne pour les élections nationales du 20 octobre, les deux grands partis gouvernementaux bourgeois (PRD et PDC) ont tenté d'éviter de prendre une position claire sur des thèmes controversés comme l'Europe ou la politique d'asile. Malgré – ou à cause de? – cette stratégie, ils ont vu se poursuivre l'effritement de leur base électorale et ont atteint leur niveau le plus bas depuis l'introduction du système proportionnel. Les socialistes également n'ont guère connu de réussite, mais ils sont au moins parvenus à stopper l'hémorragie qui les minait depuis 1975. Le processus d'érosion des partis gouvernementaux bourgeois n'a par contre pas atteint l'UDC; même si cette dernière n'a pas gagné de siège supplémentaire, elle n'en a pas moins réalisé son meilleur résultat des vingt dernières années. Il s'agit cependant de faire ici une observation importante; des gains n'ont été enregistrés que là ou l'UDC s'est profilée comme un parti bourgeois situé très à droite.
Les bénéficiaires de cette évolution furent les partis non-gouvernementaux de gauche et de droite. Ainsi, les verts ont encore plus profité que le PS du processus de dissolution des petits partis de gauche et ont pu consolider leur position de parti non gouvernemental le plus puissant. Mais plus spectaculaires encore furent les victoires des partis très fortement marqués à droite. Leurs discours, contre la participation de la Suisse au processus d'intégration européenne et contre les politiques, considérées comme trop laxistes, d'asile et de drogue, ne se sont manifestement pas seulement adressés à de nouveaux électeurs, mais également à des personnes qui avaient jusque-là donné leurs voix aux partis gouvernementaux.
Sur la question européenne, les choses ont également bougé. Au mois d'octobre, les négociations sur l'Espace économique européen (EEE), entamées il y a près de trois ans entre la CE et l'AELE, ont abouti. Le traité de l'EEE – après ratification par les Etats signataires – élargit aux Etats de l'AELE les dispositions du marché commun de la CE par l'introduction de la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes ainsi que d'une bonne part des mesures d'accompagnement. Pour cela, la Suisse et les autres pays de ]'AELE doivent non seulement adapter leurs lois au droit communautaire actuel, mais se voient également contraints de reprendre les législations futures de la CE, pour peu qu'elles concernent un sujet contenu dans le traité de l'EEE. La Suisse a dû, au cours des négociations, faire quelques concessions importantes dans le domaine matériel (politique des étrangers et protection de l'environnement, p. ex.). Compte tenu du fait que le traité de l'EEE conjure tout risque de discrimination pour les exportations helvétiques et que la politique agricole n'y est pas incluse, celles-ci paraissent cependant acceptables. Toutefois, l'approbation populaire des règles institutionnelles pour l'évolution future du droit de I'EEE sera plus difficile à recueillir. En effet, l'espoir, également entretenu à l'origine par le président de la Commission européenne J. Delors, d'obtenir plus qu'un simple droit de consultation pour les Etats de l'AELE ne s'est pas réalisé.
En bonne partie à cause des résultats peu satisfaisants des négociations dans le domaine institutionnel, le Conseil fédéral a pris l'Offensive au mois d'octobre; à l'occasion de la signature du traité, il a déclaré que l'adhésion complète à la CE était devenu l'objectif de la politique européenne de la Suisse. Ce changement d'orientation – le Conseil fédéral s'était encore exprimé en 1988 contre une adhésion à la CE – n'a rencontré l'approbation que des socialistes, ceux-ci s'étant déjà prononcés en ce sens au début de l'année. Les radicaux et les démocrates-chrétiens, sans position précise sur le sujet, ont critiqué l'empressement du gouvernement. L'UDC, malgré la présence dans ses rangs d'un conseiller fédéral ardemment pro-européen, s'est rapidement profilée comme une opposante à l'adhésion.
La politique des transports a également été marquée par la politique européenne. La Suisse fut ainsi mise sous pression par la CE lorsque celle-ci posa, comme condition à l'aboutissement du traité de I'EEE, la conclusion d'un accord sur le transit. Malgré cette situation, le résultat des négociations a été jugé de façon très positive par les autorités helvétiques. A condition qu'elle offre suffisamment de capacités de transport par le rail, la Suisse pourra largement conserver ses restrictions à l'égard de la circulation des poids lourds. Cela suppose bien sûr qu'elle développe son réseau de chemins de fer; le parlement s'y est montré favorable en approuvant la construction de deux nouveaux tunnels ferroviaires au Gothard et au Lötschberg. Toutefois, suite à l'aboutissement du référendum lancé par le parti écologiste, le peuple aura le dernier mot sur cette question.
Bien que le remplacement de l'impôt sur le chiffre d'affaire par une taxe sur la valeur ajoutée conforme à celle pratiquée au sein de la CE ait été au centre de la réforme des finances fédérales, son rejet lors de la votation populaire ne fut guère dû à des motifs de politique européenne. Selon certains sondages d'opinion, c'est beaucoup plus un malaise général au sujet des charges fiscales qui fit pencher la balance dans le sens du rejet de la troisième tentative en 14 ans d'instaurer une base constitutionnelle définitive pour les impôts fédéraux.
Le rejet du nouveau régime des finances de la Confédération a mis en lumière certaines faiblesses de la démocratie semi-directe. Une fois de plus, il s'est avéré difficile de trouver une majorité populaire pour un projet de loi complexe et basé sur de nombreux compromis. Aussi bien les parlementaires participant directement aux débats que les directions nationales des partis sont conscients des compromis nécessaires dans de tels cas. Pourtant, lors de l'élaboration des mots d'ordre des partis cantonaux, cet aspect semble 'disparaître. Les positions divergentes des partis qui en résultent ouvrent la voie aux associations qui – c'est leur tâche et on ne peut lé leur reprocher – représentent des intérêts particuliers. Il n'est pas rare que la somme des opposants mobilisés, dont les motivations sont souvent contradictoires, suffise à faire échouer un projet judicieux et équilibré. Aujourd'hui, le fonctionnement des droits de la démocratie semi-directe doit être revu dans le cadre de la politique européenne de la Suisse, quelle que soit la direction qu'elle prenne; le même processus doit être engagé pour les autres institutions politiques. Si la Suisse ne veut pas, à l'avenir, se limiter à exécuter les décisions de Bruxelles, mais qu'elle aspire à jouer un rôle actif dans la nouvelle configuration européenne, elle ne peut se permettre ni un parlement, ni un gouvernement souffrant de manque de temps ou d'infrastructures insuffisantes.
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H. H.