Année politique Suisse 1991 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
Principes directeurs
Après l'échec des pourparlers de paix entre les ministres des affaires étrangères américain et irakien qui se sont tenus à Genève au début du mois de janvier, le
déclenchement d'un conflit armé dans le Golfe était devenu quasiment inévitable. Le Conseil fédéral a proposé en vain aux deux protagonistes de jouer le rôle de médiateur ou d'intermédiaire en offrant ses services si l'une des parties l'estimait utile. R. Felber a encore eu un entretien avec le secrétaire général des Nations Unies peu avant que celui-ci ne s'envole vers Bagdad pour une mission de la dernière chance. Quelques jours avant l'expiration de l'ultimatum du 15 janvier posé par le Conseil de sécurité de l'ONU pour le retrait des troupes irakiennes du Koweit, les diplomates suisses en poste à Bagdad ont quitté l'Irak
[1].
La guerre du Golfe a
relancé les débats sur la politique de neutralité de la Suisse. Après avoir participé pleinement, mais de manière autonome, aux sanctions économiques décrétées par l'ONU, la question s'est alors posée de savoir si le Conseil fédéral n'allait pas poursuivre son action dans la même logique en autorisant le survol du territoire helvétique par des avions militaires de la coalition internationale. Lors d'une émission à la radio alémanique, le secrétaire d'Etat, K. Jacobi, s'est même déclaré favorable à une telle autorisation. Selon lui, la guerre du Golfe revêtait un caractère particulier car elle ne mettait pas au prise deux Etats, mais un seul, l'Irak, face à l'ensemble de la communauté internationale; il se serait donc agi d'une action de police de l'ONU, raison pour laquelle la Suisse aurait pu soutenir la coalition en permettant le survol de son territoire, à l'instar de l'Autriche, autre pays neutre
[2].
Quelques jours plus tard, après plusieurs séances extraordinaires consacrées à la crise du Golfe, le
Conseil fédéral a pris le contre-pied des déclarations de son secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et
s'est prononcé pour une neutralité stricte, exprimant ainsi sa fidélité à une application traditionnelle du droit de neutralité, codifié dans le traité de la Haye (1907). Le Conseil fédéral a justifié sa décision comme suit: il faut distinguer sanctions économiques et autorisation de survol; le conflit du Golfe peut toujours se transformer en un conflit entre deux Etats; le maintien de la stricte neutralité réduit les risques de terrorisme; une telle position de la Suisse augmente ses chances de pouvoir jouer un rôle d'intermédiaire et, enfin, le cas de l'Autriche est différent car elle est membre de l'ONU. Tous les partis gouvernementaux ont approuvé la position du Conseil fédéral; cependant le porte-parole du Parti radical a estimé que la position de stricte neutralité était en contradiction avec l'adoption des sanctions économiques contre l'Irak
[3].
Lors de la session spéciale des Chambres fédérales du mois de janvier, la
déclaration du Conseil fédéral sur la guerre du Golfe, prononcée par le président de la Confédération, F. Cotti, a été relativement bien accueillie. Le gouvernement a mis l'accent sur la tenue d'une conférence internationale sur le Moyen-Orient après la fin du conflit qui pourrait se tenir sur sol helvétique. Par la même occasion, il a également condamné l'intervention violente des troupes soviétiques dans les républiques baltes. La grande majorité des députés s'est montrée, dans l'ensemble, satisfaite de la position du Conseil fédéral durant la crise du Golfe. Cependant, quelques parlementaires ont reproché un certain manque de cohérence du Conseil fédéral dans l'application de la politique de neutralité
[4].
Plusieurs députés ont demandé au Conseil fédéral de
contribuer au processus de paix au Moyen-Orient. La motion Bäumlin (ps, BE), demandant la création d'un groupe de travail ayant pour tâche d'élaborer une nouvelle politique pour le Moyen-Orient (transmise comme postulat) et le postulat Dietrich (pdc, BE), signé par 101 parlementaires, priant le gouvernement d'inviter les représentants des peuples du Moyen-Orient à tenir une conférence en Suisse, ont été acceptés par le Conseil national. Suite à un postulat de la commission des affaires étrangères sur la contribution de la Suisse aux efforts de paix au Moyen-Orient, le Conseil fédéral a indiqué que l'offre d'accueillir des conférences internationales a été faite à plusieurs reprises. Il a aussi mentionné le soutien de la Confédération à différentes opérations de paix de l'ONU
[5].
Les Chambres fédérales ont voté un
crédit de 130 millions de francs pour financer une action internationale, sous la direction de la Banque mondiale, en faveur des pays les plus touchés par les retombées de la crise du Golfe, à savoir la Jordanie, la Turquie et l'Egypte. En effet, l'invasion du Koweit et l'embargo décrété par les Nations Unies à l'encontre de l'Irak ont eu de graves conséquences économiques sur ces trois pays: arrêt des exportations, interruption des transferts financiers de leurs ressortissants travaillant au Koweit ou en Irak et afflux de réfugiés. Plusieurs députés se sont opposés à l'aide en faveur de la Turquie, en raison des violations des droits de l'homme qui se produisent régulièrement dans ce pays; d'autres ont critiqué celle en faveur de la Jordanie en raison de son attitude favorable à l'Irak lors de la crise du Golfe. Une proposition socialiste demandant l'exclusion de la Turquie de l'aide a été rejetée à une large majorité par le Conseil national. D'autres membres de la commission ont demandé qu'Israël bénéficie aussi de l'aide suisse, étant donné qu'il a aussi été touché par la guerre. Mais, après que O. Stich a précisé qu'Israël n'avait pas souffert de l'embargo vis-à-vis de l'Irak, cette proposition a été retirée. De toute manière, en raison du caractère international de l'action sous l'égide de la Banque mondiale, il n'était pas possible de lier la contribution de la Suisse à certaines conditions particulières
[6].
De retour d'une visite officielle en Iran et en Turquie afin de d'évaluer les possibilités de venir en aide aux réfugiés kurdes d'Irak affluant dans ces deux pays, le chef du DFAE s'est montré indigné par le traitement infligé par le régime de Saddam Hussein à sa minorité kurde. Le Conseil fédéral a décidé d'accorder une aide d'urgence de 12 millions de francs
[7].
Le Conseil national a adopté un postulat de sa commission :des affaires étrangères qui demande au Conseil fédéral d'établir un rapport exhaustif sur la guerre du Golfe et ses implications pour la politique de sécurité de la Suisse
[8].
Le problème de la participation aux
sanctions économiques de l'ONU vis-à-vis de l'Irak et celui du survol du territoire suisse par les avions militaires de la coalition, ainsi d'ailleurs que le processus d'intégration européenne ont incité plusieurs parlementaires — postulats Hubacher (ps, BS) et Hafner (pe, BE), motion Baerlocher (poch, BS) et Ledergerber (ps, ZH), transmises comme postulats — à demander au Conseil fédéral une clarification, voire une redéfinition de la conception de la neutralité helvétique. Dans le même ordre d'idée, le Conseil des Etats a transmis comme postulat la motion Onken (ps, TG), qui invite le Conseil fédéral à élaborer un programme substantiel en faveur d'une politique de paix active de la Suisse. Répondant à ces interventions et à différentes interrogations soulevées dans la presse, le DFAE a mis sur pied un groupe de travail, présidé par l'ambassadeur M. Krafft et composé d'une quinzaine de personnalités, dont plusieurs hauts fonctionnaires et experts extérieurs. Ce groupe est chargé de procéder à une analyse détaillée des problèmes que soulève, dans un contexte international nouveau, la politique de neutralité de la Suisse, ainsi que de présenter un rapport sur sa politique étrangère pour la décennie à venir. Ce rapport devrait aussi répondre à la question des éventuelles conséquences d'un changement ou d'un abandon de la neutralité suisse pour le Comité international de la Croix rouge
[9].
La complexité croissante de la société internationale exige une définition claire des futures relations de la Suisse avec l'étranger. Sur la base de cette constatation, la commission des affaires étrangères du Conseil national a déposé une motion demandant un
renforcement constitutionnel de la politique étrangère — par une coopération accrue de la Suisse à la construction de l'Europe et une nouvelle délimitation des compétences entre le Conseil fédéral et le parlement — et un rapport au sujet de ces nouvelles dispositions. Une telle révision concernerait les articles 9 et 102, chiffre 8 et 9, de la Constitution. Bien que le Conseil fédéral ait jugé qu'une modification de la Constitution ne s'avérait pas nécessaire dans un proche avenir, le Conseil national a adopté à une petite majorité (52 voix contre 49) la première partie de la motion et transmis comme postulat le second point. Dans sa réponse écrite, le gouvernement a estimé que l'ordre constitutionnel existant assure à l'Assemblée fédérale une marge d'influence efficace sur la politique étrangère. D'autre part, les autorités fédérales, les cantons et le peuple auront à prendre prochainement plusieurs décisions importantes en matière de politique étrangère (adhésion au FMI, traité de l'EEE), il ne serait donc pas opportun de modifier la Constitution dans ce domaine
[10]. Peu auparavant, la chambre basse avait pourtant rejeté la motion Portmann (pdc, GR) qui chargeait le Conseil fédéral de présenter une nouvelle version des articles 85, chiffre 6 et 7, et 102, chiffre 8 et 9, de la Constitution, de telle sorte qu'ils stipulent que l'Assemblée fédérale participe dès le début à la formulation de la volonté de l'Etat en matière de traités internationaux lorsqu'il y va de la sécurité de la Suisse et de sa position en Europe
[11]. Dans le cadre de la réforme du parlement, de nouveaux mécanismes de participation et de contrôle parlementaire ont été decidés en matière de politique étrangère
[12].
Contre l'avis du chef du DFAE, le Conseil des Etats a adopté à une large majorité la motion Zimmerli (udc, BE) demandant un nouvel article 2 de la Constitution définissant de façon plus détaillée les
objectifs et les moyens de la politique étrangère de la Suisse. Contrairement à la motion de la commission des affaires étrangères du Conseil national mentionnée plus haut, celle de Zimmerli ne prévoit pas un réaménagement des compétences entre le Conseil fédéral et le parlement, mais exige une redéfinition claire des grands axes de l'action de la Confédération face aux transformations que connaît la société internationale. Cette nouvelle disposition constitutionnelle devrait déterminer l'indépendance de la Suisse, mentionner la politique active en faveur de la paix et des droits de l'homme, proclamer la foi en la solidarité internationale. Pour le député bernois, une telle modification de la Constitution aurait pour effet de dynamiser la politique extérieure et de lui donner une plus grande transparence. De plus, cela permettrait de susciter un débat public de fond sur l'avenir des relations de la Suisse avec l'étranger et ainsi de clarifier auprès de la population les grandes lignes de la politique étrangère. Dans sa réponse, le chef du DFAE a déclaré qu'il redoutait que l'on fige ainsi la politique extérieure de la Suisse alors que le monde est en rapide mutation
[13].
Les deux Chambres ont approuvé à la quasi-unanimité la ratification de
deux pactes internationaux des Nations Unies, datant de 1966, consacrés aux droits de l'homme, l'un relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et l'autre aux droits civils et politiques. Ces deux pactes n'auront toutefois que peu d'influence sur la situation à l'intérieur du pays, mais ils permettront à la Suisse d'être plus active pour la promotion des droits de l'homme au niveau mondial
[14].
Suite à une initiative parlementaire Spielmann (pdt, GE) et à une pétition des églises suisses ayant recueilli 15 000 signatures, demandant au parlement de ratifier la convention de l'ONU relative aux
droits de l'enfant, la commission des pétitions a déposé une motion priant le Conseil fédéral de présenter aux Chambres les révisions législatives nécessaires pour permettre une ratification sans réserve du texte de l'ONU. La proposition de la commission a été adoptée à une large majorité
[15].
La chambre basse a transmis comme postulat la motion Stocker (pe, ZH) qui demande au Conseil fédéral de soumettre pour ratification au parlement la convention de l'ONU visant à éliminer toutes les formes de
discrimination à l'égard des femmes. Elle a fait de même pour le postulat Columberg (pdc, GR) invitant le Conseil fédéral à élaborer un rapport sur le premier protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme et sur les avantages et inconvénients de sa ratification par la Suisse
[16].
[1] Presse du 8.-10.1.91; voir aussi APS 1990, p. 60 (début de la crise du Golfe).
[2] LNN et NZZ, 14.1.91; Bund, 16.1.91.
[3] Presse du 17.1.91; Vr, 18.1.91 (prise de position des 4 partis).
[4] BO CN, 1991, p.2 ss. et 193 ss. ; BO CE, 1991, p. 1 ss.; presse du 22.1. et 24.1.91.
[5] BO CN, 1991, p. 1322 s. et 1342 ss. L'imminence de la guerre du Golfe, puis son déclenchement, ont donné lieu à travers tout le pays à de nombreuses manifestations pacifistes contre la guerre. Voir presse de la deuxième moitié du mois de janvier et supra, part. I, 1b (Politische Manifestationen).
[6] FF, 1991, I, p. 887 ss.; BO CE, 1991, p. 121 ss.; BO CN, 1991, p. 572 ss.
[7] Presse du 9.4. et 10.4.91.
[8] BO CN, 1991, p. 937. .
[9] BO CN, 1991, p. 1322 (Ledergerber), 1323 (Baerlocher), 1341 (Hubacher) et 1510 (Hafner); BO CE, 1991, p. 759 (Onken); presse du 16.3.91 (création du groupe de travail).
[10] BO CN, 1991, p. 1610 ss.;JdGetNZZ, 18.5.91; BaZ, 24.9.91.
[11] BO CN, 1991, p. 1508 s.
[12] Cf. supra, part. I, 1c (Parlament).
[13] BO CE, 1991, p. 979 ss.; presse du 29.11.91; BZ, 18.12.91.
[14] FF, 1991, I, p. 1129 ss.; BO CN, 1991, p. 1494 ss.; BO CE, 1991, p. 930 ss.; BaZ, 19.9. et 26.11.91.
[15] BO CN, 1991, p. 1931 ss.; cf. infra, part. I, 7d (Familienpolitik/Kinder).
[16] BO CN, 1991, p. 1503 (postulat Columberg) et 1961 s. (motion Stocker); cf. infra, part. I, 7d (Stellung der Frau).
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