Année politique Suisse 1991 : Chronique générale / Politique étrangère suisse / Politique économique extérieure
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Armes
Après l'éclatement de la guerre du Golfe, le Conseil fédéral a interdit, comme il l'avait déjà fait pour les autres pays de la région, l'exportation de matériel de guerre vers la Turquie. Cela n'a pas manqué de susciter les critiques de la part du ministère turc des affaires étrangères. Par contre, les entreprises suisses ont été autorisées à continuer à livrer du matériel militaire aux pays engagés dans la guerre mais extérieurs à la région du Golfe, comme la France ou les Etats-Unis, à condition que ceux-ci garantissent qu'ils n'utiliseront pas ces armes dans le conflit.
L'interdiction d'exportation de matériel de guerre vers la Turquie a été levée au mois de juin par le Conseil fédéral; mais face aux opérations menées par l'armée turque contre les combattants kurdes à la frontière de l'Irak, les autorités fédérales ont décidé de bloquer toutes les exportations d'armes jusqu'à ce qu'il soit procédé à une clarification du droit international. Après l'adoption de cette mesure, les autorités turques n'ont pas caché leur intention de renoncer aux commandes d'armes suisses et de s'adresser à d'autres fournisseurs au cas où l'embargo se prolongerait [84].
Plusieurs entreprises suisses sont soupçonnées d'avoir aidé l'Irak à développer son potentiel militaire et notamment des armes chimiques et bactériologiques. La commission des affaires étrangères du Sénat américain a publié une liste recensant les noms de onze entreprises suisses ayant au cours de l'année 1990 livré à l'Irak des technologies de pointe. Sur les trois entreprises (Von Roll, Schmiedmeccanica et Schäublin) présumées avoir contrevenu à la loi fédérale sur le matériel de guerre et qui étaient soumises à une enquête du ministère public, le Conseil fédéral a autorisé l'ouverture de poursuites pénales contre les responsables de Von Roll. Les pièces envoyées en Irak par cette entreprise saisies à Francfort et à Berne présentaient des caractéristiques ne correspondant pas à l'utilisation indiquée dans la déclaration de douane; il s'agissait bien de matériel pouvant servir à la construction d'un "supercanon", et non de presses à forger. Les responsables de Von Roll ont fait savoir qu'ils n'étaient pas au courant que leur client allait utiliser ces pièces pour fabriquer des armes. L'enquête a été étendue à une entreprise vaudoise qui a joué le rôle d'intermédiaire lors de la transaction [85].
D'autre part, l'enquête sur les deux autres entreprises a mis en évidence certaines lacunes dans l'ordonnance sur l'énergie atomique. Ces investigations ont ainsi incité le Conseil fédéral à modifier ce texte au niveau des définitions et des autorisations dans le domaine de l'énergie atomique [86].
Suite à l'implication de certaines entreprises suisses dans le développement du potentiel militaire de l'Irak, le Conseil fédéral a décidé de renforcer le contrôle dés exportations des technologies de pointe utilisables à des fins militaires (matériel à double usage). Ces mesures vont dans le sens d'une extension de la notion de matériel de guerre. Plutôt que de proposer une nouvelle loi, dont les procédures d'adoption devraient durer deux à trois ans, le Conseil fédéral s'est contenté pour l'instant de préparer une ordonnance qui devrait entrer en vigueur au début de l'année 1992 [87].
Le PS a lancé une initiative populaire demandant l'interdiction de l'exportation de matériel de guerre. Son texte prévoit notamment d'interdire la possibilité aux entreprises suisses de recourir à des firmes étrangères pour exporter leur matériel [88].
Le postulat Braunschweig (ps, ZH), demandant au Conseil fédéral de mettre au point des procédures de vérification de l'application du traité sur les armes biologiquès et toxiques, a été refusé par le Conseil national [89].
Suivant l'avis de sa commission, la même Chambre a rejeté une initiative parlementaire Borel (ps, NE) proposant l'interdiction d'importer du matériel de guerre provenant des pays où la Suisse n'est pas autorisée à exporter des armes, ainsi que trois initiatives parlementaires — Seiler (pdc, ZH), groupe socialiste, et Spielmann (pdt, GE) —, visant à interdire toute exportation suisse de matériel de guerre. Le débat a donné lieu au clivage traditionnel entre les partis bourgeois et la gauche, soutenue par les écologistes. Toutefois, le postulat proposé par la commission, qui invite le Conseil fédéral à renforcer les règles d'exportation de tout équipement militaire, a été accepté par la chambre basse. Il prévoit d'étendre la loi au matériel civil susceptible de servir à des fins militaires et d'examiner la question de l'élargissement du champ d'application de la loi au matériel de guerre qui ne touche pas le sol suisse [90].
Au cours de l'année 1990, le Ministère public de la Confédération a ouvert 153 enquêtes pour infraction à la loi sur le matériel de guerre, le nombre le plus élevé depuis dix ans. Cette brusque augmentation des délits est due principalement aux armes semi-automatiques, autorisées à la vente mais souvent transformables en armes automatiques interdites [91].
Pour les mesures urgentes contre la vente d'armes prises par le Conseil fédéral et les propositions du parlement en faveur d'une réglementation fédérale de la vente des armes: Cf. supra., part. I, 1b (Strafrecht).
 
[84] Presse du 18.1. (interdiction d'exporter du matériel de guerre), 21.1. (critiques de la Turquie) et 28.6.91 (levée de l'interdiction); TA, 10.8.91; Suisse. 21.11.91.
[85] Presse du 29.1. et 19.3.91 (Von Roll). Voir aussi APS 1990, p. 80.
[86] Presse du 3.7.91.
[87] Bund, 30.7.91; Suisse, 31.7.91; presse du 8.8.91.
[88] FF, 1991, II, p. 438 ss.; Vr, 28.1.91; Suisse, 4.3.91.
[89] BO CN, 1991, p. 1511 ss.
[90] BO CN, 1991, p. 2416 ss.; presse du 13.12.91.
[91] 24 Heures et Lib., 8.1.91.