Année politique Suisse 1991 : Chronique générale / Défense nationale / Défense nationale et société
En décembre 1990, suite aux révélations de la commission d'enquête parlementaire (CEP DMF), les Chambres chargèrent, par le biais d'une motion, le Conseil fédéral d'enquêter sur d'éventuelles relations entre l'organisation suisse P-26 et d'autres organismes similaires fonctionnant ou ayant fonctionné dans certains pays européens
[3]. Le gouvernement demanda alors au juge instructeur neuchâtelois Pierre Cornu de mener une enquête administrative. Celle-ci conclut à la réalité de l'existence d'entités de résistance (dites "
stay behind organizations") dans divers pays européens, dont les représentants se réunissaient au sein de comités internationaux; ces derniers n'étaient cependant pas liés organiquement à l'OTAN, comme certaines rumeurs médiatiques le firent initialement croire. L'organisation
secrète de résistance suisse P-26 et le
service spécial P-27 ne participèrent pas à ces comités et n'entretinrent aucun contact avec eux. Par contre, ils eurent des relations bilatérales relativement étroites avec les services officiels britanniques. Ces contacts consistaient en la participation réciproque de cadres à des exercices et cours organisés dans les deux pays et auraient notablement influencé la structuration des organismes helvétiques.
D'autre part, la Suisse acquit, à la fin des années quatre-vingts et après approbation du chef de l'Etat-major général, du président de la délégation parlementaire des finances et du directeur du contrôle fédéral des finances, des moyens de communication appartenant au système Harpoon. Il était prévu d'installer une centrale de transmission de ce type en Grande-Bretagne, mais cette idée ne fut pas concrétisée. A ce propos, les conclusions de l'enquête mettent en doute la pertinence d'un tel achat en regard de la neutralité suisse, le système Harpoon devant être, à terme, employé par l'ensemble des organismes "stay behind" du continent.
L'investigation précise par ailleurs que, subjectivement, il n'y a pas eu violation de secrets militaires et de fonction puisque, si les cadres des P-26 et 27 ont communiqué aux services britanniques des informations confidentielles, ils n'ont pas voulu agir à l'encontre des intérêts de l'Etat
[4].
Cependant, certaines sources journalistiques ont continué de s'interroger sur l'indépendance réelle des deux organismes suisses; en effet, il semblerait que les analogies entre le P-26 et les structures "Stay behind" européennes soient fort nombreuses, notamment en ce qui concerne les fondements idéologico-politiques, le mode de recrutement, l'organisation, les procédés d'instruction, les scénarios d'action et les moyens techniques (Harpoon)
[5].
La
réaction des partis a été unanime. Ils ont tous désapprouvé les agissements des organisations secrètes et ont émis le souhait qu'à l'avenir les services helvétiques de ce type soient en permanence placés sous contrôle politique
[6].
En fin d'année, le
gouvernement a présenté son rapport sur le sujet, qui reprenait dans les grandes lignes les conclusions du juge Cornu, et a proposé le classement de la motion qui lui avait donné naissance. La CEP DMF a tenu à souligner que les résultats de l'enquête ne devaient pas être considérés comme définitifs, l'impossibilité de mener des investigations à l'étranger pouvant limiter certaines connaissances. Cependant, elle a indiqué qu'elle parvenait à une même appréciation des faits que le gouvernement et recommanda au parlement de prendre acte du rapport, ce qui fut fait. Le Conseil national dut toutefois surmonter une proposition de renvoi de la part du groupe socialiste. Ce dernier désirait que la CEP DMF complète ces travaux en appréciant le rôle joué par la CIA dans l'organisation du P-26 et par le P-26 dans le réseau d'organisations de résistance d'Europe occidentale, ainsi qu'en évaluant les problèmes liés à la neutralité au vu du degré de dépendance du P-26 envers les services secrets étrangers
[7].
Par ailleurs, les Chambres ont pris connaissance du rapport de la CEP DMF sur la démobilisation du P-26; la CEP a ainsi pu attester que les locaux du P-26 avaient été mis sous scellés, les contrats de bail résiliés, les armes, les munitions et autres objets inventoriés et remis à l'armée et les documents détruits ou archivés à des fins historiques par les soins du DMF. Le personnel, quant à lui, doit se voir attribuer de nouvelles fonctions au sein du DMF
[8].
Le Conseil national a encore pris connaissance du rapport de la commission de gestion sur le suivi relatif à la CEP DMF. Selon ce document, le
service de renseignement P-27 devrait être liquidé au début de l'année 1992 et transféré dans le groupement de l'Etat-major général, opération qui a semblé se dérouler de manière satisfaisante. D'autre part, certaines sources du P-27 pourraient être utilisées désormais par le Groupement renseignement et sécurité. La surveillance financière des services de renseignements devrait être renforcée afin d'éviter que ne se constitue un organisme à caractère privé. La commission demande, en outre, que les services de renseignements militaires renoncent à collecter des informations à l'intérieur du territoire suisse et que ses contacts avec le Ministère public soient limités
[9].
Dans le contexte plus spécifique du seul P-26, la conseillère aux Etats Bührer (ps, SH) a souhaité, par le biais d'un postulat, que certains points liés aux finances ainsi qu'au personnel de l'organisation secrète de résistance soient éclaircis. Il s'agit plus particulièrement du montant total des dépenses faites, du degré d'implication de fonctionnaires fédéraux, de leur éventuelle indemnisation et de leur nom. La petite chambre a cependant rejeté ce texte après que K. Villiger eut demandé de ne plus revenir sur cet épisode passé
[10].
Pour sa part, le Conseil fédéral a pris acte du
rapport du DMF sur la liquidation du P-26. Celui-ci révèle que, de 1979 à 1990, l'organisation secrète a coûté environ 53 millions de francs. Le gouvernement a par ailleurs demandé aux Chambres de partager également le "trésor de guerre" de la P-26 (3,4 millions) entre le CICR et la Croix-Rouge suisse, ce qui fut fait
[11].
[3] Organisations mises au grand jour par plusieurs enquêtes et révélations journalistiques, par exemple le réseau Gladio; Délib. Ass. féd., 1991, I/II, p. 19.
[4] DMF, Rapport final de l'enquête administrative portant sur les relations entre l'organisation P-26 et des organisations analogues à l'étranger. Résumé à l'intention du public, Berne 1991; TA, 25.1.91; presse du 14.8. et 20 9.91.
[6] Presse du 20.9.91; VO, 39, 26.9.91.
[7] FF, 1992, I, p. 18 ss.; BO CN, 1991, p. 2431 ss.; BO CE, 1991, p. 1054 s.; presse du 13.12.91.
[8] BO CN, 1991, p. 2429 s.; BO CE, 1991, p. 1052 ss.; presse du 5.12.91. Voir aussi APS 1990, p. 86 ss.
[9] BO CN, 1991, p. 2435 ss.; NQ, 23.11.91.
[10] BO CE, 1991, p. 764 ss.; presse du 25.9.91.
[11] BO CN, 1991, p. 892 ss.; BO CE, 1991, p. 540 ss.; Suisse, 18.2. et 19.2.91; BZ, 23.2.91; presse du 18.4. et 5.6.91; TA, 24.5.91.
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