Année politique Suisse 1991 : Chronique générale / Défense nationale / Organisation militaire
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Réformes de l'armée
K. Villiger a précisé les grandes lignes du projet du plan directeur "Armée 95", qui devrait être publié en 1992, à l'occasion d'un bilan intermédiaire et d'une séance d'information sur l'état des travaux. Cette réforme, déjà dévoilée en partie en 1989, tient désormais compte des conclusions du groupe de travail Schoch, de la fin de la guerre froide et du résultat de la votation pour une Suisse sans armée [25]. Elle devrait pouvoir être soumise au parlement en 1993-1994 et réalisée dès 1995, mais de façon progressive, en plusieurs étapes. Si elle ne remet pas en cause les principes de l'armée de milice, elle entend mettre l'accent sur la formation, la mobilité, la maîtrise technique, ainsi que sur une adaptation aux nouvelles hypothèses stratégiques. A cet effet, elle prévoit de diminuer l'effectif de l'armée de 630 000 à 400 000 hommes, d'abaisser la limite d'âge pour l'obligation de servir à 40 ans pour les soldats et sous-officiers (contre 50 aujourd'hui), de diminuer les jours de service à 300 (contre 331), de ramener la durée de l'école de recrue à 15 semaines (contre 17) et de donner aux cours de répétition (au nombre de dix) un rythme bisannuel ainsi qu'une durée de 19 jours (contre 20) [26]. De plus, il ne subsistera plus qu'une seule classe d'âge, la landwehr et le landsturm étant supprimés.
Cette armée de plus petite taille devra se conformer à une nouvelle doctrine en matière d'engagement; une plus grande mobilité devra lui permettre de mener son action défensive décisive en des points précis, et non plus de viser à la défense de tout le territoire et à une guerre d'usure. Cela doit permettre aux forces suisses, même inférieures en nombre, de pouvoir obtenir une supériorité locale temporaire. D'autre part, les missions de l'armée seront diversifiées et des actions en faveur de la paix (observateurs de l'ONU, Casques bleus) sont prévues. Toutefois, rien n'a été décidé en ce qui concerne la participation à un futur système de sécurité collective en Europe. L'idée du groupe de travail Schoch de créer un poste de médiateur au sein de l'armée a été reprise. Par contre, en ce qui concerne la liberté de choix entre service armé et service civil, le DMF s'est prononcé pour une évolution par étape [27]. De même, les propositions de remplacement des tribunaux militaires par des tribunaux cantonaux, de limitation des tirs obligatoires, de suppression de l'uniforme de sortie ou d'accroissement des compétences du chef de l'instruction n'ont pas été suivies.
En matière de finances, cette armée nouveau modèle ne permettra pas de substantielles économies; le besoin d'un armement moderne et de qualité compensera la diminution des coûts provenant des diverses réformes engagées. De plus, les dépenses militaires étant plafonnées pour 1991-1994 avec un taux d'augmentation de 2% (ce qui signifie une diminution en termes réels), le chef du DMF a exigé qu'une pleine compensation du renchérissement soit versée dès 1995 [28].
Par ailleurs, cette réforme se traduira par une réduction des commandes à l'économie privée et des emplois dans les entreprises d'armement, les arsenaux, et l'administration. K. Villiger a déclaré que 1000 emplois devaient disparaître dans l'administration militaire et 1000 dans les fabriques d'armement d'ici 1994, ce qui représente au total un dixième des effectifs du DMF. Les cantons les plus touchés seraient ceux de Berne et d'Uri [29].
A ce sujet, les Chambres ont transmis un postulat Ziegler (pdc, UR) et une motion Hari (udc, BE), transformée en postulat, demandant au gouvernement de prendre des mesures afin de compenser, dans les régions concernées, la réduction des emplois du DMF qu'entraîne la réforme de l'armée ainsi que les mesures d'économie de la Confédération, notamment en ce qui concerne les entreprises d'armement et d'entretien [30].
Les réactions à ce projet allèrent de la satisfaction à la déception. Si le PDC, I'UDC et le PRD ont estimé que les plans d’„Armée 95" sont positifs, le premier voudrait voir réorganisés d'autres domaines de la politique de sécurité et le second regrette le plafonnement des dépenses militaires, alors que la nouvelle doctrine exige un armement sophistiqué. Pour la gauche et les écologistes, le projet du DMF ne constitue qu'une réforme de surface qui n'aborde pas les vrais problèmes [31].
Le Conseil national a transmis, sous forme de postulat, une motion du groupe démocrate-chrétien qui demande un réexamen d'urgence de la politique de sécurité. Parmi les mesures proposées figurent notamment la réorganisation du DMF, des entreprises d'armement et de la structure de direction de l'armée, ainsi que la réduction de la durée du service militaire et la mise en place d'un médiateur [32]. La même Chambre a encore transmis la motion du conseiller aux Etats Uhlmann (udc, TG) demandant au Conseil fédéral un rapport sur une nouvelle conception de la défense nationale [33]. Elle a également accepté le postulat Ledergerber (ps, ZH) invitant le gouvernement à concevoir et rédiger le plan directeur "Armée 95" de façon que le parlement puisse choisir entre plusieurs variantes relatives au nombre de soldats, à leur organisation ou à leur armement [34].
 
[25] Voir APS 1989, p. 86 s. et 1990, p. 90 s.
[26] Plusieurs cantons, dont celui de Fribourg, ont réagi très négativement à l'annonce de la suppression de leurs régiments qui sont des unités traditionnelles ayant des identités régionales très marquées (Suisse, 26.12.91; AT, 28.12.91).
[27] A ce sujet, cf. infra, objecteurs de conscience.
[28] NZZ et JdG, 15.11.91.
[29] Presse du 13.9.91. Le DMF a annoncé qu'une centaine d'emplois supplémentaires seraient supprimés en 1992 dans les fabriques de munitions de Thoune et d'Altdorf (presse du 4.12.91). Après une étude sur les conséquences d'"Armée 95" sur le canton de Berne, il a pu être conclu que 1 500 à 2000 emplois liés directement au DMF seront supprimés dans les prochaines années et environ le même nombre dans l'économie privée. Le gouvernement cantonal entend, pour faire face à cela, mettre sur pied un plan de sauvetage économique (Suisse et TW, 20.12.91).
[30] BO CE, 1991, p. 972 ss. (Ziegler); BO CN, 1991, p. 2481 s. (Hari); Bund et LZ, 28.11.91.
[31] Presse du 15.5. et 4.9.91; JdG, 16.5.91; CdT, 18.5. et 10.6.91; Ww, 23.5.91; NZZ, 27.8.91; BaZ, 19.9.91; SHZ, 26.9.91. Ces projets de réformes ont provoqué des prises de position négatives de la part de certains officiers (presse du 12.6.91; NQ, 24.9.91). Débats sur la réforme de l'armée: Bund, 8.2. et 15.4.91; NZZ, 11.2., 13.3., 12.4. et 1.10.91; Blick, 22.2.91; AT, 9.3. et 10.4.91; CdT, 12.3. et 22.4.91; Vr., 12.3.91; TA, 20.3., 2.4. et 20.11.91; BaZ, 21.3.91; 24 Heures, 26.3. et 4.6.91; Suisse et Lib., 15.4.91; presse du 10.6.91; NQ, 15.12.91.
[32] BO CN, 1991, p. 1332 s.
[33] BO CN, 1991, p. 1780. Cf. APS 1990, p. 88.
[34] BO CN, 1991, p. 2502.