Année politique Suisse 1991 : Chronique générale / Défense nationale / Objecteurs de conscience
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Le problème de l'objection de conscience et de la création d'un service civil n'est cependant pas réglé puisque plusieurs textes sont, à ce propos, pendants.
Ainsi, dans son rapport final, le groupe de travail Schoch avait recommandé au gouvernement d'établir un concept général d'un service à la communauté, dans lequel le service militaire serait remplacé par une obligation générale de servir. La Société suisse des officiers est allée dans le même sens, tout en étendant cette obligation aux femmes. En novembre 1989, le député socialiste bâlois Hubacher déposait une initiative parlementaire demandant l'instauration d'un véritable service civil. Bien que la commission des pétitions du Conseil national ait décidé, en novembre 1990, de ne pas lui donner suite, la question de principe soulevée par ce texte — le parlement doit-il entreprendre lui-même une modification de la Constitution fédérale afin d'introduire le service civil? — fut retenue. En vertu de cette décision, le député Hubacher (ps, BS) retira son initiative en mars [69].
De fait, une sous-commission fut créée afin de rédiger le texte d'une initiative parlementaire de la commission. Sa majorité a proposé une modification de l'article 18 de la Constitution fédérale introduisant un service civil, tout en maintenant l'obligation de servir. Le service civil doit donc demeurer une exception, comprendre les mêmes exigences que le service armé, être d'intérêt public et fondé sur la preuve par l'acte; il en résulte le rejet du principe du libre choix entre les deux formes de service. Le texte constitutionnel proposé par la majorité de la commission évite cependant de régler certains points très délicats, comme la nature des motifs donnant accès au service civil (éthiques, religieux), l'autorité chargée d'entreprendre cet examen de conscience et la durée du service. Cette démarche repose sur une volonté de ne fixer ces différents points qu'au niveau de la loi d'application [70]. La proposition de la minorité de la commission, émanant de groupes bourgeois, était moins contraignante, puisqu'elle énonçait de façon potestative la création d'un service civil [71].
Dans son avis de mai 1991 sur ce texte, le Cónseil fédéral a reconnu la nécessité de régler le problème posé par l'objection de conscience. C'est pourquoi il s'est déclaré en faveur de l'idée générique exprimée par l'initiative de la commission, dont la formulation permettrait, selon lui, de tenir compte des nombreuses propositions faites pour réglementer concrètement le service civil [72].
Au Conseil national, le projet d'article constitutionnel de la majorité de la commission a été très largement accepté. En outre, tous les groupes parlementaires lui ont apporté leur soutien, soulignant qu'instaurer un tel service civil correspondait bien à l'évolution sociale et historique du pays vis-à-vis des objecteurs de conscience, sujet qui fut longtemps le lieu de très forts blocages. Le Conseil des Etats suivit la décision de la grande chambre. Cependant, certains observateurs n'ont pas manqué de noter que si le consensus avait été si facile à trouver au parlement, c'était parce que le vrai débat n'aurait lieu que lors de l'élaboration de la loi, où les adversaires du service civil pourront faire valoir leurs arguments d'autant mieux que la formule choisie laisse place à moult interprétations [73].
Auparavant, le Conseil des Etats avait transmis comme postulat la motion Rhinow (prd, BL) demandant au gouvernement de proposer un article constitutionnel instaurant un service à la communauté se divisant en un service armé et en un service civil, le principe du libre choix entre ces deux options étant garanti [74].
Par ailleurs, le groupe de travail Napf, composé essentiellement de juristes, d'enseignants et d'étudiants bernois, a présenté une initiative populaire sur le même sujet intitulée "pour une obligation générale de servir en faveur de la communauté". Ce texte propose une révision de l'art. 18 de la Constitution consistant à astreindre tout Suisse à un service en faveur de la communauté, qu'il soit militaire, civil ou de protection civile. Si le service militaire garde la primauté par rapport aux autres, chaque appelé aurait néanmoins la possibilité de choisir librement entre les diverses options [75].
En outre, les cantons du Jura et de Genève ont déposé deux nouvelles initiatives souhaitant la création d'un véritable statut de l'objecteur de conscience. Le parlement, considérant que l'initiative parlementaire sur le service civil répondait à cette exigence ne leur a pas donné suite [76]. Le Conseil national a également rejeté l'initiative parlementaire de la députée Leutenegger Oberholzer (pes, BL), qui demandait une amnistie en faveur des objecteurssusqu'à la mise en place d'un service civil [77]. De même, la petite chambre a repoussé une motion de la conseillère aux Etats Jaggi (ps, VD) sollicitant une telle amnistie à l'occasion du 700e anniversaire de la Confédération [78].
Le canton de Genève, suivant en cela celui du Tessin, a décidé d'instaurer un moratoire de quatre ans sur les peines de prisons des objecteurs de conscience. Les autorités espèrent ainsi que, durant ce laps de temps, un service civil aura été mis sur pied par la Confédération. Ainsi, les objecteurs condamnés, voyant l'exécution de leur peine reportée, pourraient changer de statut et se voir astreint à effectuer un service civil plutôt qu'un séjour en prison [79].
En 1991, le nombre de réfractaires au service militaire a singulièrement baissé par rapport à l'année précédente, puisqu'il s'est monté à 475 contre 581 en 1990. Ce chiffre est le plus bas depuis dix ans. Une centaine d'objecteurs, jugés selon le nouveau droit en la matière (réforme Barras) et ayant pu faire valoir des "valeurs éthiques fondamentales", ont été condamnés à effectuer des travaux d'intérêt général [80].
 
[69] Délib. Ass. féd., 1991, I/II, p. 31.
[70] FF, 1991, II, p. 427 ss.
[71] Délib. Ass. féd., 1991, I/II, p. 39; presse du 2.2.91; NZZ, 23.3.91.
[72] FF, 1991, II, p. 901 s.
[73] BO CN, 1991. p. 1438; BO CE, 1991, p. 962 ss. et 1102; FF, 1991, IV, p. 1043; presse des 17.9. et 28.11.91; NZZ, 6.11.91.
[74] BO CE, 1991, p. 970 ss.
[75] Presse des 15.2. et 16.3.91; JdG, 22.2.91. Voir aussi APS 1990, p. 95. Le groupe de travail Napf semblait connaître, en fin d'année, de graves problèmes financiers (presse du 10.10.91).
[76] BO CN, 1991, p. 1453; BO CE, 1991, p. 968 s.
[77] Au vote nominal, l'initiative parlementaire a été rejetée par 115 voix contre 56. Elle fut soutenue par le groupe socialiste et les écologistes, mais repoussée par les groupes bourgeois ainsi que par les indépendants-évangéliques (BO CN, 1991, p. 370 ss.; presse du 12.3.91).
[78] BO CE, 1991, p. 598 ss.; NZZ et JdG, 25.1.91; Vat., 21.6.91.
[79] Presse du 5.4.91; NZZ et Bund, 6.4.91; Ww, 2.5.91. Des demandes allant dans ce sens ont été faites dans d'autres cantons, notamment dans celui de Vaud (24 heures, 8.5.91). Le GSsA a, quant à lui, lancé un appel au refus de servir appuyé par 1300 signatures. Il exige, de plus, une amnistie pour tous les objecteurs ainsi qu'un service civil en attendant la disparition de l'armée (presse du 18.1.91).
[80] Presse du 21.2.92.