Année politique Suisse 1991 : Economie / Agriculture / Politique agricole
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GATT et intégration européenne
Dès le début de l'année, après l'échec de la réunion finale de l'Uruguay round en décembre 1990 en raison avant tout de dissensions sur le dossier agricole, le secrétaire général du GATT, A. Dunkel, a entamé une tournée mondiale pour tenter de renouer les fils de la négociation en créant une "plateforme sur l'agriculture". Cela a été rendu possible grâce à certains changements d'attitude de la CE et des Etats-Unis, principaux adversaires sur ce dossier. En premier lieu, les Américains ont revu à la baisse leurs exigences initiales en ne demandant plus qu'une réduction de 35% des subventions à l'exportation pour les cinq prochaines années. Il est apparu que le rapprochement se confirmait, puis-qu'un "accord" aurait été conclu entre les deux protagonistes, prévoyant la réduction de 30% en six ans des soutiens à la production de lait, de céréales panifiables et de betteraves sucrières, ainsi que la baisse de 35%, dans le même temps, des subventions à l'exportation.
Parallèlement, pour tenter de créer un consensus en ce domaine, A. Dunkel a proposé que toutes les protections non-tarifaires à l'importation soient converties en équivalents tarifaires. La Suisse, suivie du Japon, du Canada, de la Corée et de quelques autres pays, a rejeté catégoriquement cette dernière possibilité et, pour le reste, a campé sur ses positions en maintenant ses propositions de 1990. Ces Etats ont néanmoins entrepris des démarches auprès du secrétaire général et des pays producteurs afin d'obtenir des exceptions dans le cadre de la tarification intégrale des barrières à l'importation.
A la fin du mois de décembre, A. Dunkel a remis aux délégations un texte de compromis, comportant un projet d'Acte final, qui devrait être discuté en janvier 1992. Sa proposition consiste, outre la tarification des barrières douanières, en une diminution des subventions à l'exportation de 36% en dépenses budgétaires (et 24% en volume) entre 1993 et 1999 ainsi qu'une réduction des soutiens internes de 20% entre les mêmes dates, les soutiens représentant moins de 5% de la production d'un produit n'étant pas touchés, de même que ceux n'ayant pas d'influence sur le marché (programmes de recherche, paiements directs, indemnisations lors de catastrophes, ajustements structurels ou protection de l'environnement). La Suisse a immédiatement déclaré que, concernant le dossier agricole, le compromis n'était pas acceptable pour elle, notamment au sujet de la transformation en droits de douane des barrières à l'importation. Par ailleurs, le désaccord CE-Etats-Unis ne semblait malgré tout pas entièrement résolu [1].
L'Union suisse des paysans (USP) s'est inquiétée des conséquences de ces négociations, et a critiqué l'attitude de la délégation suisse qui, à ses yeux, serait prête à de trop grandes concessions. Par ailleurs, son assemblée des délégués s'est montrée particulièrement soucieuse des impacts sociaux et économiques de l'EEE et, surtout, du GATT. Les mesures prévues par la Confédération pour pallier la baisse des revenus agricoles et la disparition de nombreuses exploitations du fait de la déréglementation et de la baisse des prix sont jugées insuffisantes, des moyens supplémentaires étant exigés. La centrale paysanne a également accusé J.-P. Delamuraz de ne pas tenir ses promesses et de laisser tomber la classe paysanne. Des agriculteurs ont d'ailleurs manifesté devant le siège du GATT à Genève contre le sort qui leur sera fait selon les résulats de l'Uruguay round. D'autre part, la contestation contre ces négociations a vu se former une alliance entre ogranisations paysannnes, de protection de l'environnement et d'aide au développement contre leurs conséquences sociales et environnementales [2].
L'Office fédéral de l'agriculture (OFAG) a présenté l'étude sur la politique agricole et les répercussions du GATT du groupe de travail mis en place par J.-P. Delamuraz en 1989 et placé sous la direction de J.-Cl. Piot, directeur de cet office [3]. Devant les défis que représentent les demandes de libéralisation du GATT, le rapprochement avec la CE et les nécessités internes, la commission a voulu proposer une "réforme raisonnable" de la politique agricole. En premier lieu, l'agriculture helvétique devrait adopter certains principes, tels un meilleur respect des lois du marché, des paiements directs pour les services rendus à la collectivité (environnement), la diminution des interventions étatiques, un volume de production suffisant, la baisse des coûts de production, une ouverture du marché suisse aux importations ainsi qu'une réduction des subventions à l'exportation.
Pour ce faire, la commission a envisagé l'emploi de divers instruments, tels le maintien d'aides et de prix suffisants pour assurer le revenu paysan, la compétitivité et la multifonctionnalité des exploitations, des paiements directs complémentaires, le renforcement de la protection de l'environnement (entre autres par une agriculture extensive) et le maintien d'une vie rurale par des aides en direction des zones défavorisées. D'autre part, la réduction des aides, subventions et autres protections qu'entraînera l'Uruguay round provoquant un manque à gagner pour l'agriculture, le rapport a proposé un certain nombre de variantes pour les années quatre-vingt dix, selon les résultats possibles des négociations du GATT; la compensation des baisses de revenus prévues par le biais de paiements directs pourra, suivant les cas, coûter plusieurs milliards à la Confédération. Ainsi, à court ou moyen terme, il semble peu probable que la charge totale de l'agriculture sur le budget fédéral diminue, la réduction des divers soutiens actuels étant compensés par l'extension des paiements directs [4].
Dans le cadre des négociations sur la création d'un Espace économique européen (EEE), l'agriculture ne constitue pas, en principe, un volet du traité, notamment en raison des trop grandes divergences de politiques agricoles entre les pays de la CE et ceux de l'AELE. Cependant, ce dossier doit faire l'objet de discussions bilatérales. Faisant peser un poids supplémentaire sur l'agriculture helvétique, la CE a proposé un démantèlement symétrique et progressif des droits de douane et des restrictions quantitatives en matière d'importations. La Suisse, de même que les autres pays de l'AELE, n'envisage pas d'aller trop loin dans ce sens, les barrières non-tarifaires constituant un des fondements de sa politique agricole [5].
 
[1] LM, 9.1., 17.1., 10.10. et 23.11.91; NQ, 12.11., 27.11., 28.11., 15.12., 21.12. et 22.12.91; Suisse, 25.11. et 27.11.91; presse du 17.12.91; BZ, 18.12.91. Voir aussi APS 1989, p. 105 et 1990, p. 112 s. Sur le GATT, voir encore supra, part. I, 2 (Organisations internationales) ainsi que BaZ, 16.1.91; VO, 3, 17.1.91; JdG, 21.1. et 7.6.91; SHZ, 28.3.91; NQ, 20.11.91; LID-Pressedienst, 1692, 15.3.91 et 1693, 22.3.91; La vie économique, 64/1991, no 7, p. 18 ss. Par ailleurs, dans une étude du secrétariat du GATT sur la politique commerciale de la Suisse, la politique agricole helvétique a été dénoncée pour son trop grand protectionnisme (Suisse et BZ, 27.9.91).
[2] Presse du. 13.11. et 17.12.91; NQ, 8.11.91; BZ, 21.12.91; LID-Pressedienst, 1732, 20.12.91. Alliance: TA, 20.7.91.
[3] Voir APS 1989, p. 109. Par ailleurs, J.-Cl. Piot a annoncé sa retraite après 23 ans de service et son poste a été mis au concours (Bund, 7.12.91; 24 Heures, 12.12.91).
[4] Presse du 16.7.91 ; NZZ, 17.7.91 (réactions des organisations paysannnes).
[5] LM, 3.4. et 6.4.91. Voir encore SN, 3.4.91; Ww, 16.5.91; LNN, 24.7.91; SHZ, 31.7.91; Bund, 28.8.91. D'autre part, la CE a entamé la préparation d'un projet de réforme de l'Europe agricole (limitation de la production, paiements directs, soutien aux petites exploitations, protection de l'environnement) qui pourrait permettre de relancer les discussions du GATT et qui, accessoirement, rapprocherait la politique européenne de celle de la Suisse (Suisse, 24.1.91; LM, 2.2.91; LID-Pressedienst, 1682, 4.1.91 et 1686, 1.2.91).