Année politique Suisse 1992 : Chronique générale / Politique étrangère suisse / Principes directeurs
La fin de la guerre froide, l'accélération de la construction européenne et, plus récemment, la position de la Suisse lors de la guerre du Golfe ont relancé le débat sur la politique extérieure de la Suisse et, plus particulièrement, sur la question de sa neutralité. L'année dernière, le Conseil fédéral, à la demande de la majorité des parlementaires, mandatait un groupe d'étude afin d'établir un rapport sur le rôle futur de la neutralité pour la Suisse. Sa publication était attendue avec impatience car ses conclusions devraient inspirer les grandes lignes de la politique extérieure de la Suis se de ces prochaines années, notamment en ce qui concerne le rapprochement avec la CE. Tout en réaffirmant l'attachement au noyau dur de la neutralité, les auteurs du rapport estiment que pour faire face aux changements fondamentaux de l'environnement international il est devenu nécessaire de donner une nouvelle orientation à la politique étrangère de la Suisse sous l'angle de la neutralité.
Les auteurs du rapport relèvent que dans un contexte européen où le spectre d'une guerre entre grandes puissances s'est considérablement éloigné, l'importance et la signification de la neutralité ont diminué; celle-ci ne constitue qu'un instrument parmi d'autres servant à promouvoir les intérêts de la Suisse. La probabilité de conflits armés classiques entre Etats s'est nettement atténuée; la nature des dangers a changé. La neutralité n'offre que peu de protection face à de nouvelles menaces, telles que l'utilisation d'armes A, B ou C, les migrations, la destruction de l'environnement ou les catastrophes. En raison de leur dimension internationale et de l'interdépendance accrue entre les Etats, la sécurité reposera davantage que par le passé sur la coopération internationale. Pour la Suisse, cela signifie que la meilleure façon de défendre ses intérêts consiste à participer de manière constructive à la mise en place de nouvelles structures de sécurité.
Selon le rapport, la Suisse doit
concentrer sa neutralité à la stricte définition du droit international public, à savoir la non-participation militaire à un conflit armé entre Etats tiers. Cela doit permettre à la Confédération, tout en maintenant son statut de neutralité permanente – maintien de la neutralité en cas de conflit indépendamment des parties engagées –, de faire preuve d'une plus grande flexibilité dans l'application de sa politique de neutralité. Concrètement, lorsque des sanctions non-militaires – en particulier économiques – sont prises par la communauté internationale au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, la Suisse, pour des raisons de solidarité, devrait y participer. De même, elle ne devrait pas entraver les actions militaires menées au nom de la communauté internationale; elle pourrait donc autoriser le transit ou le survol du territoire helvétique par des forces armées, ce que le Conseil fédéral n'avait pas fait lors de la guerre du Golfe. Par ailleurs, le statut de neutralité ne constituerait pas un obstacle à l'adhésion à la CE et à l'Union européenne du traité de Maastricht, tant que ses Etats membres n'ont pas conclu d'alliance militaire. En ce qui concerne les liens entre la Suisse et le CICR, la renonciation à la neutralité n'entraverait pas les activités de ce dernier, étant donné l'indépendance acquise par cette institution
[3].
La publication du rapport du groupe d'étude avait été précédée par
différentes prises de position sur ce sujet. Ainsi, au début de l'année, un groupe de travail du parti radical-démocratique a rendu public un rapport, dans lequel il se déclarait favorable à une définition plus flexible du concept de neutralité. Les principales conclusions du groupe d'étude mandaté par le Conseil fédéral rejoignent celles du PRD. Afin d'adapter la politique de neutralité aux bouleversements récents de la société internationale, les auteurs préconisent de la limiter à son noyau dur – non-participation militaire à une confrontation armée – afin que le gouvernement puisse disposer d'une plus grande marge de manoeuvre dans ses relations extérieures sur les plans politique, idéologique et économique. Selon eux, le Conseil fédéral aurait dû autoriser le survol du territoire helvétique par l'aviation militaire de la coalition internationale lors de la guerre du Golfe en 1991
[4].
S'opposant à toute redéfinition du statut de neutralité, un groupe de conseillers nationaux – Hafner (pep, BE), Bircher (pdc, AG), Mauch (prp, AG) et Fischer (udc, AG) – a remis au DFAE une expertise effectuée par le professeur W. von Wartburg de l'université de Bâle. Ces parlementaires considèrent qu'une adhésion à la CE ou à l'ONU serait incompatible avec la neutralité de la Suisse; une telle adhé nuirait en particulier à l'efficacité des actions de la Suisse en faveur de la paix par l'exercice des bons offices, de même qu'au travail du CICR
[5].
Le chef du DMF a également exposé à plusieurs reprises sa conception de la neutralité dans le nouveau contexte de l'après-guerre froide; elle diffère quelque peu des conclusions du rapport du groupe d'étude. En préconisant une neutralité différenciée, K. Villiger est favorable à l'abandon de la neutralité dans l'éventualité de certains types de conflits. Pour ce qui concerne les conflits intra-européens ou extra-européens, la Confédération devrait maintenir sa neutralité; par contre, lorsque un conflit mettrait au prise les Etats européens à un ennemi commun, la Suisse devrait se montrer solidaire de l'Europe en contribuant à une défense commune
[6].
[3] APS 1991, p. 72; SHZ, 27.2.92; BZ, 26.3.92; DP, 30.4.92; presse du 27.3.92; JdG, 16.5.92; M. Krafft, «La notion de neutralité évolue», in La Suisse et le monde, 1992, no 2, p. 40 ss.; Lit. groupe d'étude; voir aussi, A. Riklin, «Die Neutralität der Schweiz», in Lit. Riklin et al. (éd.), p. 191 ss.
[4] Presse du 5.2.92; Revue politique du PRD, 1992 no 3.
[6] L'Hebdo. 6.2. et 19.3.92; Bund et NZZ, 9.4.92; LZ, 6.6.92.
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