Année politique Suisse 1992 : Chronique générale / Politique étrangère suisse / Europe: EEE et CE
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Adhésion à la CE
Durant les mois de février, mars et avril, une large discussion s'est ouverte, aussi bien dans la presse, dans les partis qu'au, sein même du Conseil fédéral, sur la stratégie européenne que devait suivre le gouvernement: devait-il déposer une demande d'ouverture de négociations en vue d'une adhésion à la CE avant ou après le vote du peuple suisse sur le traité EEE? Les opinions étaient très divergentes à ce sujet. Afin d'obtenir de plus amples informations sur la politique d'élargissement de la CE et d'informer leurs partenaires sur le processus de ratification en Suisse, le Conseil fédéral a multiplié les contacts avec les Etats membres de la CE et la Commission européenne. Les conseillers fédéraux en charge du dossier se sont ainsi rendus à Bruxelles, où ils ont rencontré J. Delors, président de la Commission européenne, à Londres, à La Haye et au Portugal, dont le gouvernement assumait la présidence du Conseil des ministres [13].
Les partisans d'une demande rapide, parmi lesquels les chefs du DFAE et du DFEP, ainsi que les principaux hauts fonctionnaires qui avaient participé à la négociation du traité, ont avancé comme principal argument la possibilité de participer en même temps que les trois pays neutres de l'AELE aux futures négociations sur l'élargissement de la CE [14]. La capacité d'influencer la construction européenne a également été mentionnée par les partisans. De plus, en cas de refus populaire du traité EEE, il ne serait plus possible de déposer une candidature d'adhésion, ce qui fermerait les portes à tout rapprochement ultérieur avec la Communauté. Les opposants à une telle demande avançaient essentiellement qu'un dépôt rapide ruinerait les chances d'un vote favorable sur l'EEE.
Lors de la session parlementaire du mois de mars, le Conseil des Etats a adopté par 22 voix contre 15 un postulat Weber (AdI, ZH) qui invitait le Conseil fédéral à examiner le dépôt immédiat d'une demande d'adhésion de la Suisse à la CE et à en informer le parlement avant le début de la session d'été. La majorité des sénateurs a estimé qu'une telle demande clarifierait le débat sur l'Europe et permettrait une plus grande transparence pour les citoyens dans l'orientation de la politique européenne du Conseil fédéral. Par la suite, le groupe de travail parlementaire «Communauté européenne», composé de 45 députés, a fait savoir qu'il était favorable au dépôt immédiat d'une demande d'ouverture de négociation avec la CE. Les partis socialistes des cantons romands ont exprimé la même requête dans une résolution envoyée au Conseil fédéral [15].
Après plusieurs mois d'hésitations et de tergiversations, le Conseil fédéral a décidé, au lendemain du vote positif sur l'adhésion aux institutions de Bretton Woods, à une majorité de 4 – R. Felber, J.P. Delamuraz, A. Ogi et F. Cotti – contre 3 de déposer une demande d'ouverture de négociations en vue d'une adhésion à la CE [16].
Les conseillers fédéraux ont justifié leur décision en soulignant plusieurs raisons. Tout d'abord, il était important pour la Suisse de prendre position avant le sommet de la CE à Lisbonne au mois de juin qui devait traiter de la question de l'élargissement de la CE. D'autre part, cela permettrait de participer avec les trois autres pays de I'AELE aux futures négociations sur l'adhésion à la Communauté. Enfin, en adhérant à la CE en 1996, il serait possible d'influencer la redéfinition des structures communautaires qui devrait intervenir à cette période. A la fin du mois de mai, la lettre de candidature de la Suisse a été officiellement transmise au Conseil des ministres de la Communauté.
La décision du Conseil fédéral a suscité des réactions très partagées. Les dirigeants des partis radical et démocrate-chrétien se sont montrés très critiques et ont qualifié la décision du Conseil fédéral d'erreur tactique car elle risquerait de créer une certaine confusion parmi la population entre la participation à l'EEE et l'adhésion à la CE. Certains ont également reproché la précipitation dont a fait preuve le gouvernement. A l'inverse le PS, l'USS et le Vorort ont salué la décision du Conseil fédéral en soulignant qu'elle clarifiait l'orientation de la politique européenne. Estimant que cette décision levait le voile sur les intentions du Conseil fédéral, certains adversaires à toute forme d'intégration ont également exprimé leur satisfaction [17].
 
[13] NQ, 24.2. et 3.3.92; presse des 31.3., 28.4., 29.4. et 30.4.92: L'Hebdo. 9.4.92.
[14] Après l'Autriche en 1989 et la Suède en 1990, la Finlande a déposé une demande d'adhésion au mois de mars: presse du 19.3.92.
[15] BO CE, 1992, p. 141 ss.; presse des 11.3., 5.5. (groupe parlementaire) et 15.5.92 (PS romands); voir aussi BO CN, 1992, p. 330.
[16] Presse du 19.5.92. La révélation par les médias de la décision du CF de déposer une demande d'ouverture de négociations avec la CE, sans que les députés en aient été informés, a donné lieu à de nombreuses critiques des parlementaires à l'égard de la politique d'information du gouvernement. A l'occasion de la discussion sur le programme de législature 1992-95, le CE a largement abordé ce sujet et ce qui a été appelé l'«exercice raté» du 18 mai: BO CE, 1992, p. 336 ss.; voir aussi BO CN, 1992, p. 845. Par ailleurs, le CN a transmis le postulat Vollmer (ps, BE) qui invite le Conseil fédéral à examiner la possibilité de créer des structures complémentaires d'information et de participation afin d'améliorer la communication entre le gouvernement et le parlement durant les négociations en vue d'une adhésion: BO CN, 1992, p. 2174.
[17] Presse des 19 au 21.5.92; L'Hebdo, 21.5.92.; DP, 21.5.92; presse du 27.5.92 (dépôt de la demande à Bruxelles). En ce qui concerne le rapport sur la question de l'adhésion à la CE, voir plus loin.