Année politique Suisse 1992 : Chronique générale / Politique étrangère suisse / Europe: EEE et CE
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Eurolex
Quelques semaines après le message relatif à l'approbation de l'accord EEE, le Conseil fédéral a publié son message sur l'adaptation du droit fédéral au droit de I'EEE, élaboré sous la direction du DFJP dans le cadre du programme Eurolex. Dans ce message, composé de deux «paquets législatifs», 51 arrêtés fédéraux de portée générale étaient soumis aux Chambres qui prévoyaient la modification de 61 lois existantes et l'introduction de 9 actes législatifs nouveaux (voir tableau ci-dessous) [18]. Les autorités fédérales se sont limitées aux seules modifications juridiques indispensables, à savoir, d'une part, celles qui étaient destinées à supprimer des dispositions législatives ou à les rendre conformes au traité EEE lorsque elles contredisaient le droit de l'EEE directement applicable et, d'autre part, celles nécessaires à la transposition du droit de l'EEE non directement applicable. La marge d'appréciation dont disposait le législateur helvétique et la portée politique des projets législatifs variaient considérablement d'un projet à l'autre. Etant donné le délai très court pour l'introduction de ces modifications, il n'a pas été possible de suivre la procédure de consultation habituelle: il a fallu renoncer à la consultation écrite et se contenter d'informer les cantons, partis et organisations intéressées [19].
La ratification du traité EEE et l'adaptation du droit fédéral par le parlement ont eu lieu dans le cadre de deux sessions parlementaires spéciales à la fin du mois d'août et du mois de septembre. Parmi les groupes parlementaires du Conseil national opposés à la ratification du traité EEE se trouvaient les groupes DS/Lega dei Ticinesi, PA, UDC – par 18 voix contre 7 – et le groupe écologiste; du côté des partisans, on pouvait distinguer les groupes des trois principaux partis gouvernementaux, le groupe libéral et celui de l'AdI/PEP. Le point de vue des fractions parlementaires n'a toutefois pas été suivi à l'unanimité par leurs membres; que ce soit du côté des partisans ou des adversaires, de nombreuses dissidences ont été constatées [20]. Lors de l'ouverture de la première session, plus de 126 orateurs individuels, en plus des portes-paroles des groupes, se sont expri més au Conseil national. Après trois jours de débats, la chambre basse a finalement adopté à une large majorité, par 128 voix contre 57 et trois abstentions, l'arrêté fédéral d'approbation tout en y apportant quelques modifications. Seuls trois Romands — Sandoz (pl, VD), Rohrbasser (udc, FR) et W. Schmied (udc, BE) — se sont prononcés négativement. Au Conseil des Etats, l'arrêté d'approbation a également été accepté par une très large majorité (38 voix contre 2).
Eurolex - Liste des lois modifiées et des nouveaux actes législatifs:
1. Etat - Peuple - Autorités:
- LF du 26.3.1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers
- LF du 21.3.1986 sur les recueils de lois et la Feuille fédérale
- LF du 20.12.1968 sur la procédure administrative
- Statut des fonctionnaires du 30.6.1927
- LF d'organisation judiciaire du 16.12.1943
- Arrêté Fédéral (AF) sur l'égalité entre femmes et hommes
2. Droit privé - Procédure civile - Exécution:
- LF du 16.12.1983 sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger
- LF du 25.6.1930 sur l'émission de lettres de gage
- LF du 30.3.1911 complétant le Code civil suisse:
Première partie: dispositions générales (art. 40 a ss. CO)
Arrêté fédéral sur la responsabilité du fait des produits
AF sur le crédit à la consommation
Contrat de travail (art. 319 ss. CO)
Droit des sociétés (art. 530 ss. CO)
Emprunts par obligations (art. 1156 ss. CO)
- LF du 2.4.1908 sur le contrat d'assurance
- LF du 7.12.1922 concernant le droit d'auteur sur les oeuvres littéraires et artistiques
- AF sur la protection des topographies des circuits intégrés
- LF du 26.9.1890 concernant la protection des marques de fabrique et de commerce, des indications de provenance et des mentions de récompenses industrielles
- LF du 19.12.1986 contre la concurrence déloyale
- LF du 20.12.1985 sur les cartels et organisations analogues
3. Droit pénal - procédure pénale - exécution:
- LF du 15.6.1934 sur la procédure pénale
4. Ecole - science - culture:
- LF du 23.7.1870 concernant les relevés officiels statistiques en Suisse
- LF du 1.7.1966 sur la protection de la nature et du paysage
5. Finances:
- LF du 1.10.1925 sur les douanes
- LF du 13.12.1974 sur l'importation et l'exportation de produits agricoles transformés
- LF du 21.6.1932 sur l'alcool
6. Travaux publics - Enérgie - Transports et communication:
- LF du 4.10.1985 sur les chemins pour piétons et les chemins de randonnée pédestre
- LF du 23.12.1959 sur l'utilisation pacifique de l'énergie atomique et la protection contre les radiations
- LF du 18.3.1983 sur la responsabilité civile en matière nucléaire
- LF du 19.12.1958 sur la circulation routière
- LF du 23.6.1944 sur les chemins de fer fédéraux
- LF du 4.10.1985 sur le transport public
- LF du 20.12.1957 sur les chemins de fer
- LF du 4.10.1963 sur les installations de transport par conduites de combustibles ou carburants liquides ou gazeux
- LF 23.9.1953 sur la navigation maritime sous pavillon suisse
- LF du 3.10.1975 sur la navigation intérieure
- LF du 21.12.1948 sur la navigation aérienne
- LF du 2.10.1924 sur le Service des postes
- LF du 21.6.1991 sur la radio-télévision
7. Santé - Travail - Sécurité sociale:
- LF du 19.12.1877 concernant l'exercice des professions de médecin, pharmacien et de vétérinaire dans la Confédération suisse
- LF du 7.10.1983 sur la protection de l'environnement
- LF du 8.10.1971 sur la protection des eaux contre la pollution
- LF du 21.3.1969 sur le commerce des toxiques
- LF du 8.12.1905 sur le commerce des denrées alimentaires et de divers objets usuels
- Nouvelle loi sur les marchés publics
- LF du 18.12.1970 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme
- LF du 19.3.1976 sur la sécurité des installations et appareils techniques
- LF du 13.3.1964 sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce
- AF sur l'information et la participation des travailleurs dans les entreprises
- LF du 6.10.1989 sur les services de l'emploi et la location des services
- LF du 20.12.1946 sur l'assurance-vieillesse et survivants
- AF du 4.10.1962 concernant le statut des réfugiés et des apatrides dans l'assurance-vieillesse et survivants et dans l'assurance-invalidité
- LF du 19.6.1959 sur l'assurance-invalidité
- LF du 19.3.1965 sur les prestations complémentaires à l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité
- LF du 25.6.1985 sur la prévoyance professionnelle, vieillesse, survivants et invalidité
- LF du 13.6.1911 sur l'assurance-maladie
- LF du 20.3.1981 sur l'assurance-accidents
- LF du 20.6.1952 sur les allocations familiales dans l'agriculture
8. Economie - Coopération technique:
- LF du 3.10.1951 sur l'amélioration de l'agriculture et le maintien de la population paysanne
- LF du 1.7.1966 sur les épizooties
- LF du 21.6.1991 sur la pèche
- LF du 9.6.1977 sur la métrologie
- LF du 5.10.1990 sur l'information des consommatrices et consommateurs
- LF du 1.7.1966 sur les fonds de placement
- LF du 8.11.1934 sur les banques et les caisses d'épargne
- AF instituant un système transitoire d'échange d'informations en matière boursière
- LF du 23.6.1978 sur la surveillance des institutions d'assurances privées
- LF du 4.2.1919 sur les cautionnements des sociétés d'assurances
- LF du 25.6.1930 sur la garantie des obligations assumées par les sociétés suisses d'assurances sur la vie
- AF sur l'assurance-vie directe
- AF sur l'assurance directe à l'exclusion de l'assurance-vie
- LF du 2.5.1992 sur l'assurance-dommage
- AF sur les produits de construction
Durant les délibérations aux Chambres et auparavant'dans les commissions, la question du maintien du droit de référendum lors de l'adaptation du droit fédéral au droit de l'EEE suscita un large débat. Le Conseil fédéral avait opté en faveur d'une procédure législative spécifique qui prévoyait la délégation des compétences au parlement pour toutes les modifications législatives qui devaient entrer en.vigueur le 1e janvier 1993. Plusieurs motifs ont été avancés par le gouvernement pour justifier une telle procédure: tout d'abord, celle-ci permettait de respecter les obligations internationales de la Suisse — entrée en vigueur de l'EEE le 1.1.1993. —; ensuite, elle constituait une procédure simple et transparente qui ne donnait pas l'illusion aux citoyens qu'ils auraient la possibilité de s'opposer sur le fond aux modifications législatives et, enfin, elle garantissait la cohérence et la sécurité du droit [21]. Dès les premières séances des commissions parlementaires, un accord s'est dessiné entre les représentants des partis gouvernementaux pour s'opposer à la ligne restrictive du Conseil fédéral et maintenir dans une plus large mesure le droit de référendum. Estimant que la marge de manoeuvre du législateur dans la procédure d'adaptation était plus large que prévue, la commission du Conseil des Etats, à laquelle s'est ralliée sa consoeur de la chambre basse, a proposé d'introduire un nouveau type de référendum, le référendum a posteriori. Son lancement n'aurait pas eu d'effet suspensif et la loi contestée serait entrée en vigueur; si la loi avait été rejetée en votation populaire, celle-ci aurait immédiatement cessé d'être en vigueur et c'est le droit de I'EEE qui aurait primé; par la suite, une nouvelle loi fédérale eurocompatible aurait dû être adoptée.
Aux Chambres, les députés ont suivi les propositions des commissions parlementaires; l'article 20 des dispositions transitoires de la Constitution prévu dans l'arrêté d'approbation a ainsi été modifié par l'adjonction d'un alinéa prévoyant le maintien du droit de référendum contre les adaptations législatives. Pour des raisons de transparence et d'honnêteté vis-à-vis des citoyens et afin d'éviter certains litiges entre le droit européen et le droit fédéral, la chambre haute avait proposé une disposition qui exprimait clairement la primauté du droit de I'EEE en cas de référendum, ce qui était une façon d'indiquer la portée limitée du référendum a posteriori. Estimant que ce principe allait de soi et qu'il était pas indispensable de le mentionner explicitement, le Conseil national a refusé, par 91 voix contre 80, de se rallier à la solution des sénateurs, ce à quoi se rallia la chambre des cantons. La commission des institutions politiques de la chambre basse a également donné suite, sous la forme d'une initiative parlementaire, à la proposition socialiste d'introduire un référendum constructif qui consisterait en la possibilité de présenter une contre-proposition lors d'une demande de référendum. En raison de la portée de cette réforme, qui dépassait le cadre des adaptations législatives dues à la reprise du droit de I'EEE et afin d'examiner cette question de manière approfondie, les députés ont décidé de renvoyer ce texte à la commission.
Par ailleurs, la chambre haute, sur une proposition du libéral vaudois Reymond, a modifié l'article de l'arrêté d'approbation relatif à la participation des cantons lors de la mise en oeuvre et du développement futur du droit de l'EEE de telle manière que le respect des compétences des autorités cantonales soit renforcé, notamment par la participation de celles-ci à la formation des mandats des négociateurs helvétiques [22].
Suite au retard de la signature du traité EEE en raison de la seconde consultation de la CJCE, le Conseil fédéral avait annoncé que la votation populaire sur le traité, initialement prévue pour la fin de l'année 1992, était reportée au début de l'année 1993. Cette déclaration suscita les protestations du premier ministre suédois, qui déclara que la Suisse exerçait un frein à la ratification du traité EEE. Les autorités fédérales ont réagi en déclarant que ces propos étaient inacceptables et constituaient une ingérence dans les affaires intérieures [23].
Consécutivement à la signature du traité à Porto au début du mois de mai, les autorités fédérales sont revenues sur leurs déclarations des mois précédents pour annoncer que le peuple se prononcerait malgré tout le 6 décembre 1992 afin de ne pas retarder l'entrée en vigueur du traité EEE [24].
 
[18] Ces textes législatifs ne devaient entrer en vigueur qu'en cas d'approbation du traité EEE par le peuple et les cantons.
[19] FF, 1992, IV, p. 1 ss. (message relatif à l'approbation de l'accord sur l'EEE). Le Conseil fédéral avait prévu d'englober dans un même arrêté fédéral d'approbation la ratification du traité et, sous la forme d'une disposition constitutionnelle transitoire, la délégation au parlement de la compétence d'adopter les modifications du droit fédéral sans les soumettre à référendum facultatif (presse du 21.5.92. FF, 1992, V, p. 1 ss. et V, p. 506 ss.; presse des 2.6. et 20.6.92 (adaptation du droit fédéral)).
[20] BO CN et BO CE, 1992, IV et V; pour une présentation des adaptations législatives et des débats parlementaires sur les différents sujets concernés, voir les chapitres correspondants de la chronique.
[21] FF, 1992, IV, p. 92 ss.
[22] BO CN, 1992, p. 1290 ss., 1836 ss. et 2231; BO CE, 1992, 781 ss., 883 ss., 941 et 1080; NQ, 3.6.92; DP, 18.6.92 (délégation de compétences); presse des 27.6. (proposition du PS en faveur d'un référendum constructif), 9.7. (proposition de la commission des institutions politiques du CE), 11.7.92 (commission des institutions politiques du CN); pour une réflexion plus générale: O. Jacot-Guillarmod, «Les perspectives de relations avec la CE sous l'angle de la politique intérieure», in Lit. Riklin et al. (éd.), p. 513 ss.
[23] Presse des 9.3. et 10.3.92 (protestations suédoises); cf. aussi BO CN, 1992, p. 471 et presse des 24.3. et 25.3.92 (visite d'A. Ogi en Suède).
[24] Presse des 20.2., 21.5., 5.8., 16.8., 25.8. et 10.9.92.