Année politique Suisse 1992 : Chronique générale / Politique étrangère suisse / Europe: EEE et CE
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Campagne référendaire
Le Conseil fédéral avait annoncé au mois de février qu'un crédit de 5,9 millions de francs serait consacré à une vaste campagne d'information sur l'intégration européenne; cette opération a été conduite par le Bureau de l'intégration DFAE/DFEP, complétée par la participation d'une agence de relations publiques. Répondant à différentes interventions parlementaires, le Conseil fédéral avait déclaré qu'il entendait fournir une information objective et exhaustive sur les différentes questions relatives à la participation à l'EEE. Les principaux axes de cette campagne d'information furent la publication de différentes brochures, générales ou thématiques, la mise à disposition d'une ligne téléphonique gratuite et l'organisation de nombreuses conférences. Le gouvernement a finalement renoncé à financer des affiches et des annonces payantes insérées dans la presse, comme il en avait été question dans un avant-projet au début de l'année. Au mois de juin, le débat parlementaire au sujet de l'octroi du crédit de 3,4 millions de francs consacrés à la campagne d'information – les 2,5 millions restant étant à la charge de la Chancellerie fédérale – donna lieu à une première confrontation entre partisans et adversaires d'une participation à l'EEE. Alors que les socialistes, démocrates-chrétiens, libéraux et indépendants soutenaient la proposition du Conseil fédéral, les démocrates du centre, les démocrates suisses, la Lega dei Ticinesi et les automobilistes, craignant la «propagande» des autorités fédérales, s'y opposaient vigoureusement, les radicaux et les écologistes restant pour leur part divisés [25].
Tout au long de l'année, la question de la participation de la Suisse à I'EEE a suscité un large débat dans les médias et la population. Les opinions au sein des partis et des associations économiques se sont affinées et cristallisées au fur et à mesure que l'échéance de la votation populaire se rapprochait. De nombreux sondages sur l'opinion des Suisses à l'égard de l’EEE ont été publiés durant l'année. Outre la campagne d'information menée par le bureau d'intégration, les conseillers fédéraux, O. Stich excepté, sont intervenus à de nombreuses reprises dans les médias ou lors de conférences publiques pour soutenir et exposer le point de vue du gouvernement durant les mois précédant la votation. Quelques semaines avant la date du 6 décembre, face aux craintes de la population et au ton virulent, voire même intolérant, de la campagne, le Conseil fédéral est intervenu solennellement lors d'une conférence de presse pour demander aux citoyens un plus grand respect de la diversité des opinions. A cette occasion, il a réaffirmé que l'accord EEE ne mettait pas en danger l'identité et les particularités culturelles et politiques de la Suisse. Par ailleurs, 23 des 26 exécutifs cantonaux, de même que la Conférence des chefs des départements cantonaux de l'économie publique, ont formellement souhaité la participation de la Suisse à l'EEE, alors que les trois autres – Thurgovie, Zurich et Glaris – ont manifesté leur approbation mais sans évaluer le traité. Plusieurs Grands Conseils cantonaux ont également pris position en faveur du traité [26].
Outre le parti des automobilistes, la Lega dei Ticinesi et les Démocrates suisses qui ont clairement rejeté le traité EEE, l'UDC, lors de son assemblée des délégués, s'est également prononcée négativement, par 289 voix contre 119. Il est à noter que l'UDC zurichoise, emmenée par Ch. Blocher, figure centrale du front de l'opposition à I'EEE durant toute la campagne, avait déjà pris position au début du mois de juillet. Par la suite, les sections bernoise, à, une courte majorité, et vaudoise se sont démarquées du parti national en optant pour le oui [27].
A coté des partis et des associations économiques, de nombreux comités, en faveur ou contre le traité EEE, réunissant des personnalités publiques, ont vu le jour aux niveaux national et cantonal [28]. Au début de l'été a eu lieu la fondation du principal comité d'opposition: le «Comité d'action contre la tutelle de I'EEE et de la CE – pour une Suisse ouverte au monde», présidé par W. Frey (udc, ZH) et J.P. Bonny (prd, BE) et composé d'une quarantaine de députés nationaux, dont seulement trois romands – 20 démocrates du centre, huit radicaux, sept automobilistes, cinq démocrates suisses, 3 membres de la Lega dei Ticinesi, 1 libéral et le représentant de l'Union démocratique fédérale –, et de représentants du monde économique [29].
Comme lors de la votation sur l'adhésion à l'ONU, l'Association pour une Suisse Indépendante et Neutre (ASIN) fut l'un des animateurs principaux de la campagne des opposants. Ses arguments rejoignirent dans les grandes lignes ceux du comité national d'opposition. Tous deux ont mis l'accent sur les pertes de souveraineté qu'entraînerait I'EEE et sur ses atteintes à la démocratie directe et à la neutralité. D'autre part, ils ont insisté sur la baisse des salaires et l'augmentation du chômage qui découleraient d'une immigration accrue des travailleurs en provenance des autres pays européens. De plus, ils ont constamment affirmé que l'adoption du traité était indissociable d'une adhésion à la CE, ce qui leur paraissait inacceptable. Par ailleurs, selon eux, la Suisse n'aurait rien à craindre de ne pas participer à l'EEE [30].
Après que le comité directeur, puis le comité de l'Union Suisse des Paysans – par 58 voix contre 27 – se sont déclarés favorables au traité EEE, tout en rejettant l'idée qu'il s'agisse d'une étape transitoire vers l'adhésion à la CE, l'assemblée des délégués s'est prononcée contre la participation à l'EEE par 287 voix contre et 253 pour [31].
L'autre principal camp d'opposition à l'EEE émanait des rangs écologistes et de certaines personnalités de gauche. Par 82 voix contre 30, les délégués du PES ont clairement pris position contre le traité EEE; comme souvent au sujet de l'intégration européenne, un clivage entre romands et alémaniques a pu être observé. Au début du mois d'octobre s'est formé un comité d'orientation écologiste et sociale, composé de 17 parlementaires fédéraux écologistes et de gauche, contre le traité EEE. Selon les membres du comité, ce dernier aurait eu des conséquences néfastes sur le plan de l'environnement, de la démocratie et de la solidarité. D'autre part, ils ont également insisté sur le fait que le non à l'EEE ne devait pas être monopolisé par l'extrême droite [32].
Les deux principaux courants en faveur de I'EEE se sont réunis au sein de deux comités nationaux: d'une part, le comité d'action suisse «Oui à l'EEE», composé de parlementaires issus de tous les partis gouvernementaux, sauf le PSS, ainsi que de nombreuses personnalités des milieux économiques; d'autre part, un comité rouge-vert «pour un oui critique à l'EEE», comprenant des députés du PSS, du PdT, du PES, des syndicalistes et des défenseurs des locataires. Dans le premier comité, les membres se sont entendus sur un accord minimum pour soutenir l'EEE; par contre, de nombreuses divergences persistaient quant à la vision à plus long terme au sujet d'une éventuelle adhésion à la CE. Le second considérait I'EEE comme une étape intermédiaire avant une adhésion à la CE et s'est déclaré favorable à «une Suisse sociale dans une Europe sociale» [33].
Que ce soit le PRD, le PDC, le parti libéral ou l'AdI, tous se sont prononcés à une large majorité en faveur de I'EEE, même si certains de leurs membres ont adopté des positons divergentes. Cependant, ils sont restés divisés sur la question de l'adhésion à la CE, sauf l'AdI qui s'y est déclaré favorable [34].
Quant à eux, les délégués du PSS ont approuvé dans une proportion de 10 contre 1 le traité EEE, tout en soulignant qu'il ne constituait pour eux qu'une étape transitoire vers l'adhésion à la CE. La préservation du droit de référendum pour les adaptations législatives et l'obtention de certaines garanties sociales lors des débats parlementaires expliquent en bonne partie un résultat si net. Les opposants socialistes ont surtout dénoncé le caractère purement économique du traité et le peu de respect des droits démocratiques [35].
Le Vorort a avancé 6 raisons pour motiver son soutien au traité EEE: 1) ce dernier permet à la Suisse de participer sans discrimination au grand marché européen intégré; 2) I'EEE facilite le recrutement d'une main d'oeuvre européenne qualifiée; 3) avec ce traité, un produit peut être offert en Suisse et dans l'ensemble des pays membres au terme d'une procédure unique; 4) les petites et moyennes entreprises peuvent tirer profit de l’EEE dans une mesure notable; 5) l’EEE garantit la participation aux importants programmes de recherche de la CE; 6) en participant à I'EEE, la Suisse donne la preuve de son attachement à la formation d'une Europe unie et pacifique [36].
A la surprise des observateurs, l'USAM, qui s'était montrée très réticente à l'égard de I'EEE, s'est finalement prononcée, à une courte majorité de ses délégués, en faveur du traité. II semblerait que les retombées négatives d'une non-participation à I'EEE pour les sous-traitants des grandes industries d'exportation, qui sé recrutent principalement dans les milieux des arts et métiers, aient influencé de façon décisive les délégués de l'association. Toutefois, en raison du score serré — 549 voix contre 456 — et des prises de position de certaines sections cantonales, I'USAM n'a pas mené une campagne active en faveur du oui [37].
Rassurée par les deux motions adoptées par le Parlement contre la sous-enchère salariale dans le cadre de l’EEE et les modifications législatives du programme Eurolex, l'assemblée des délégués de IUSS s'est clairement prononcée en faveur du traité. Outre les progrès sociaux que ce dernier entraînerait, les dirigeants syndicaux ont également souligné que seules des réglementations sociales et écologiques prises à un niveau européen constituaient une réponse valable dans une économie de plus en plus internationalisée. L'USS a également rappelé que I'EEE ne devait être qu'une étape avant une adhésion complète à la CE [38].
 
[25] Presse du 20.2.92; BO CN, 1992, p. 648 s., 670 s. et 851 ss. Le message sur le crédit consacré à l'information n'a pas été publié dans la feuille fédérale; BO CE, 1992. p. 406 ss.; BO CN, 1992, p. 1129 ss.
[26] Presse du 12.11.92 (déclaration du CF); L'Hebdo, 12.11., 26.11. et 3.12.92; CH–EURO Intégration, no 9, Nov. 1992 (prise de position des gouvernements cantonaux); pour une analyse de l'évolution de la campagne dans la presse: Vox. Analyse des rotations fédérales du 6 décembre 1992. 1ere partie, pp. 3-24.
[27] Presse des 11.9. (PA), 26.10. (UDC) et 6.7.92 (UDC-ZH).
[28] Pour les prises de position des partis et des associations voir aussi infra, part. lIla.
[29] Presse des 23.7. et 11.8.92; presse du 16.3.92 (constitution d'un comité contre l'EEE et la CE se déclarant apolitique et affirmant représenter la majorité silencieuse).
[30] Presse du 29.6.92.
[31] Presse du 10.9. (comité directeur), 19.9. (comité), 13.11.92 (assemblée des délégués).
[32] Presse des 12.10. (PES). 2.10. et 30.10.92 (constitution du comité).
[33] Presse des 7.7. (comité des partis bourgeois) et 7.10.92. (comité rouge-vert); presse des 11.9. (création d'un comité «Jeunes pour l'EEE» regroupant la quasi-totalité des organisations de jeunesse suisses), 16.9. (constitution d'un comité «Femmes en faveur de l'Europe», réunissant de nombreuses responsables politiques et économiques, issues de tous les horizons politiques; selon ce comité, le traité EEE devrait accélérer la concrétisation de l'égalité hommes/femmes), 4.3.92. (création d'un comité «Oui à l'Europe», comprenant de nombreuses personnalités des milieux politiques, économiques et culturels).
[34] Presse des 19.10. (PRD; oui très net par 231 voix contre 27), 2.11. (PDC; 270 oui contre 29 non), 16.11. (AdI) et 23.1 1.92 (PL; oui massif).
[35] Presse du 26.10.92.
[36] Presse des 30.1. 25.8. et 12.9.92.
[37] Presse du 5.9.92.
[38] Presse des 13.10. et 28.11.92.