Année politique Suisse 1992 : Chronique générale / Défense nationale / Organisation militaire
En janvier, le Conseil fédéral a présenté aux Chambres son rapport concernant la conception de l'armée dans les années nonante (
Plan directeur de l'armée 95), ce qui lui a permis d'exposer la future structure de l'armée suisse. Celle-ci est principalement basée sur les conceptions exposées dans le rapport 90 sur la politique de sécurité de la Suisse, mais a été sensiblement réactualisée au vu des derniers événements internationaux, tels que l'éclatement de l'ex-URSS ou la guerre en Yougoslavie. Ce plan directeur entend ainsi faire de l'armée un outil suffisamment souple, pouvant s'adapter à toutes sortes de développements futurs. Il est conçu selon deux axes, déjà exposés dans leurs grandes lignes l'an dernier par le DMF: restructuration de l'organisation militaire et nouvelle doctrine d'engagement. Dans ce cadre, le gouvernement a souligné que l'acquisition du nouvel avion de combat faisait partie intégrante du nouveau concept et était indispensable à son efficacité
[16].
Les
réactions au projet Armée 95 furent de divers ordres. Les partis bourgeois gouvernementaux ainsi que le parti libéral l'ont salué et l'ont considéré comme conséquent et cohérent. Tout à l'inverse, le parti socialiste et les verts ont critiqué un programme qu'ils estiment dépassé et qui consisterait surtout en une propagande en faveur de l'achat du F/A-18. La Société suisse des officiers, si elle soutient la réforme, s'est opposée a toute réduction des temps d'instruction et de l'encadrement. Les cantons, pour leur part, se sont généralement montrés positifs. Ils ont cependant souvent exprimé le souhait que la souveraineté militaire cantonale soit élargie et que certaines unités ne soient pas démantelées
[17].
Le
parlement, quant à lui, a pris acte du rapport. Le projet Armée 95 est un concept qui semble être bien accepté par la plupart des parlementaires. Au Conseil national cependant, des voix de gauche et écologistes se sont élevées pour dénoncer une réforme qui, selon elles, tient trop .peu compte des bouleversements géopolitiques et n'est pas assez radicale. La minorité socialiste a d'ailleurs proposé, sans succès, de renvoyer le rapport au gouvernement afin qu'il procède à une réduction plus importante encore des effectifs militaires. Les députés bourgeois, s'ils se sont estimés satisfaits par ce programme, ont réitéré leur soutien à une armée forte et performante
[18].
La grande chambre a par ailleurs transmis un postulat de sa commission demandant que le gouvernement présente rapidement les bases légales pour la réduction de la durée de l'obligation de servir selon la conception d'Armée 95
[19].
Les bases légales pour la réforme, c'est à dire la mise sur pied d'une
nouvelle loi sur l'armée et l'administration militaire (LAAM) en remplacement de la loi sur l'organisation militaire de 1907, a été mise en consultation à la fin de l'année. Cela devrait permettre aux Chambres de se saisir de l'objet en 1993 pour qu'il puisse entrer en vigueur en 1995. Outre les prescriptions relatives au programme Armée 95, ce texte de loi contient les dispositions concernant le service de promotion de la paix (casques bleus) et le service d'appui (protection de conférences ou d'installations, missions aux frontières en cas d'afflux de réfugiés, secours à l'étranger et aide en cas de catastrophe), l'inscription de garanties quant à la mission de service d'ordre de l'armée ainsi que l'institution d'un médiateur, nommé par le Conseil fédéral, auprès duquel tout soldat peut se plaindre. Signalons encore que la loi fixe à 40 le nombre maximum de places d'armes, les nouvelles installations restant cependant exemptes des procédures d'autorisation cantonales et communales. Cela a constitué en quelque sorte, comme l'a admis K. Villiger, un contre-projet indirect à l'initiative «40 places d'armes ça suffit!...»
[20].
Le concept Armée 95 implique des restructurations se traduisant par des suppressions ou des menaces de
suppressions de régiments et de brigades. Cela ne va pas sans heurter certaines susceptibilités régionales ou cantonales, à l'exemple du Haut-Valais, de Schwyz, de Zoug, des Grisons, de Saint-Gall ou de Fribourg
[21]. Selon la Commission de défense militaire, près de 800 formations (régiments, bataillons et groupes) devront être réorganisées (suppression de 250 d'entre elles) tandis que 1500 compagnies disparaîtront
[22].
Outre Armée 95, il existe également un projet de réforme du département lui-même, appelé «DMF 95», qui a été l'objet d'un rapport effectué par Felix Wittlin, ex-chef du Groupement de l'armement. Selon ce document, les changements à apporter au DMF doivent se situer dans la droite ligne du plan directeur d'Armée 95, le but étant d'arriver à une rationalisation et une efficacité accrue. Les modifications proposées sont: regroupement des offices de l'infanterie, de l'artillerie et des troupes mécanisées d'un côté, des transmissions, du génie, des transports, de la protection aérienne et des troupes sanitaires de l'autre. Ces deux nouvelles entités regroupant les troupes de combat et la logistique seraient directement sous les ordres de l'état-major général. De plus, certains offices, actuellement dépendant d'autres départements, seraient transférés au DMF (protection civile, corps des gardes frontières et corps suisse d'aide en cas de catastrophe). 350 postes seraient supprimés, dont certains occupés par des officiers supérieurs. Enfin, le DMF serait rebaptisé DFS (Département fédéral de la sécurité). Un groupe de travail a été chargé de mener une réflexion approfondie à partir du rapport proposé
[23].
D'autre part, le DMF a institué une commission chargée de
réviser le règlement de service. L'objectif, outre de le rendre plus clair, consultable et ordonné, est d'adapter ses dispositions à l'évolution de la société. Certains changements devraient ainsi être opérés au niveau du commandement; l'accent serait mis davantage sur la communication plutôt que sur l'obéissance aveugle aux ordres
[24].
[16] FF, 1992, I, p. 843 ss.; presse du 14.2.92. Voir APS 1989, p. 86 s. et 1991, p. 100 ss. Contrairement a ce qui fut annoncé l'an passé, l'obligation de servir sera limitée à 42 ans au lieu de 40 pour les soldats.
[17] NZZ, 15.2. et 21.5.92; NQ et NZZ, 23.2.92; JdG, 5.10.92; L'Hebdo, 8, 20.2.92.
[18] BO CE, 1992, p. 494 ss.; BO CN, 1992, p. 2076 ss. et 2088 ss.; presse du 16.6. et 9.10.92; NZZ et Bund, 30.6.92; NZZ, 3.10.92; L'Hebdo, 27, 2.7.92.
[19] BO CN, 1992, p. 2750 s.
[20] Presse du 1.4. et 26.11.92; NZZ, 2.4.92. Selon le plan directeur Armée 95, seules 39 places d'armes seront nécessaires. Cela signifiera l'abandon de celle de Worblaufen (BE): presse du 27.3.92. Voir aussi infra, Constructions militaires.
[21] LZ, 8.1.92; NF, 16.1.92; Lib., 20.1. et 16.10.92; BüZ, 22.1.92; SGT, 24.1.92.
[22] Presse du 7.2.92. Le CE a transmis le postulat Bühler (udc, GR) demandant une limitation de la suppression du nombre de fanfares militaires. Le plan directeur Armée 95 prévoit en effet l'élimination de 40% d'entre elles sur un total de 92; le sénateur voudrait qu'au moins 70 unités soient maintenues.
[23] Presse du 16.7.92; NZZ, 20.8.92.
[24] Presse du 18.8.92. Pour l'anecdote, signalons que le chef du DMF a demandé au chef de l'instruction J.-R. Christen de réfléchir à une solution pour la coupe des cheveux en recherchant une norme acceptable par tous qui tienne compte de la mode et des exigences du service. La solution proposée fut de remplacer dans le règlement le terme «couper les cheveux» par «porter les cheveux». Ainsi, si ceux-ci ne doivent toujours pas toucher le col de la tunique, les filets et autres résilles sont désormais autorisés. Cette nouvelle prescription est entrée en vigueur le ler juin: TA, 7.4.92; presse du 8.4. et 25.4.92.
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