Année politique Suisse 1992 : Chronique générale / Défense nationale
Armement
Dans un rapport complémentaire sur l'acquisition du F/A-18, le DMF a procédé à une
estimation de ses besoins en armement jusqu'en 2007. En termes financiers, ceux-ci représentent quelque 40 milliards de francs. Cependant, cette somme est considérée comme excessive relativement aux possibilités de financement de la Confédération. C'est pourquoi le DMF entend la ramener à 27 milliards, consacrés en grande partie à la protection de l'espace aérien par l'aviation militaire, notamment par l'acquisition d'une deuxième série d'avions de combat aux débuts du deuxième millénaire. Les autres grands projets sont l'amélioration des chars M-109 et Léopard, l'introduction du canon Bison et de moyens de conduite sophistiqués, ainsi que le remplacement du système de radar Florida et des missiles anti-aériens Bloodhound
[38].
Face aux sommes que représente cet achat et à la contestation populaire que cela a engendré, l'opposition, ou pour le moins la perplexité, vis-à-vis de l'acquisition du F/A-18 s'est répandue jusque dans les Chambres. D'ailleurs, traduisant bien l'intérêt qu'a suscité ce sujet contesté, les débats au
Conseil des Etats ont été retransmis en direct à la télévision, ce qui a constitué une première
[39]. Les délibérations furent cependant sans surprise; les partis bourgeois, suivant la proposition de la commission, défendirent l'achat des F/A-18 alors que les socialistes et les indépendants se prononcèrent contre. Toutefois, quelques élus de droite se montrèrent hésitants et certains s'opposèrent même à l'acquisition du nouvel avion de combat. Malgré tout, après avoir repoussé des propositions de non-entrée en matière de Plattner (ps, BS), Morniroli (Lega, TI) et Salvioni (prd, TI), la petite chambre a facilement accepté le projet du Conseil fédéral
[40].
Durant les débats, les socialistes ont dénoncé le fait que des parlementaires, partisans de l'achat du F/A-18, appartenaient à des conseils d'administration de sociétés intéressées par les commandes compensatoires. J. Ziegler (ps, GE) a ainsi déposé, au Conseil national, une motion demandant le retrait d'un député de toute commission chargée d'une affaire dans laquelle l'entreprise où il siège est partie prenante
[41].
Pendant les travaux de la
commission du Conseil national, deux événements contradictoires sont venus épaissir le dossier. D'une part, le GSsA a déposé une
initiative populaire contre l'achat de nouveaux avions de combat qui a connu un succès fulgurant (cf. infra). Ce vent de fronde a constitué une pression importante pour les députés, même si la commission a estimé que cela ne devait pas empêcher l'activité parlementaire de suivre son cours normal. D'autre part, la Finlande a annoncé qu'elle avait choisi de s'équiper de 64 F/A-18. Cette nouvelle est venue renforcer le camp des partisans de cet appareil et fut largement exploitée par K. Villiger et le DMF
[42].
Le passage devant le Conseil national du dossier sur le F/A-18 donna lieu à un débat fleuve, qui démarra par le rejet de sept propositions de non-entrée en matière ou de report de la décision, et où le tiers des députés prit la parole. Excepté quelques cas particuliers, chaque camp, selon une ligne de partage gauche-droite désormais traditionnelle en matière militaire, défendit des positions bien arrêtées. Globalement, la droite a considéré que cet avion était indispensable pour moderniser la flotte aérienne suisse, faire face aux nouvelles menaces, s'intégrer dans un système de défense européen et permettre aux entreprises suisses de bénéficier de contrats compensatoires. De son côté, la gauche a estimé que cet achat relevait d'une mentalité datant de la guerre froide, que cet appareil ne correspondait ni aux besoins suisses, ni à la nouvelle donne internationale, qu'il coûtait beaucoup trop cher et qu'il fallait réfléchir au niveau européen à la défense la plus adéquate en promouvant notamment d'autres formes que la violence.
La décision finale appartenait toutefois aux démocrates-chrétiens, perplexes sur ce dossier et très impressionnés par le soutien populaire qu'avait reçu l'initiative du GSsA. Leur proposition était d'adopter le projet du Conseil fédéral mais de suspendre les paiements pour l'acquisition du F/A-18 jusqu'au résultat de l'initiative en 1993 et de
remettre la commande à 1994. Cette solution devrait occasionner un sur-coût de 200 millions de francs, mais une perte de 50 millions seulement (déjà versés) en cas d'acceptation de l'initiative. Soucieuses de garantir le renouvellement de la flotte aérienne suisse, les autres fractions bourgeoises se rallièrent finalement à la proposition de compromis du PDC, ce qui permit l'adoption du projet. Les autres propositions, qui visaient à renvoyer le débat en attendant le vote populaire, consacrer ces crédits aux efforts de paix ou promouvoir d'abord une coordination européenne, ont été rejetées. En outre, la chambre a refusé de soumettre l'arrêté au référendum comme certains en avaient lancé l'idée, car cela aurait pu créer une certaine confusion
[43]. Peu après, le Conseil des Etats se rangea à la décision de la grande chambre en acceptant la clause introduite par les démocrates-chrétiens
[44].
Par ailleurs, le Conseil national a encore transmis le postulat Bonny (prd, BE) qui demande, dans le but de diminuer les coûts, d'étudier la possibilité de s'associer à des pays tiers pour acquérir les F/A-18
[45].
Des critiques se sont élevées contre le
versement de 50 millions de francs d'acompte sur les F/A-18 par le gouvernement et avec l'accord de la délégation des finances, pour raisons d'économie, alors que le Conseil national ne s'était pas encore prononcé. P. Bodenmann (ps, VS), président du PS, a d'ailleurs qualifié cela de scandale, la somme étant perdue en cas de refus. Le gouvernement a prétendu que de tels paiements anticipés avaient déjà été pratiqués pour d'autres acquisitions. Toutefois, le parti socialiste a envisagé de déposer une plainte au Tribunal fédéral contre K. Villiger et a examiné si cette démarche était légalement possible, ce qui a paru douteux aux yeux de certains juristes. Pour cette raison, le PSS a finalement renoncé à son action. P. Bodenmann fut blâmé, même dans ses propres rangs, pour ce qui fut considéré comme une faute politique. Bien qu'il ait fait son mea culpa, certaines voix bourgeoises ont néanmoins affirmé qu'un tel comportement était inadmissible de la part d'un parti gouvernemental
[46].
En mars, le Groupement pour une Suisse sans armée (GSsA) et les milieux pacifistes et antimilitaristes, soutenus de près ou de loin par les socialistes, les écologistes et le parti du travail, ont lancé une
initiative populaire «pour une Suisse sans nouveaux avions de combat». Cela se produisit avant que le Conseil national ne se prononce sur l'acquisition du F/A-18 ; le GSsA avait en effet décidé d'agir rapidement afin d'avoir un moyen de pression avant l'achat effectif. L'annonce du lancement de cette initiative a nettement polarisé le débat, notamment dans le monde politique. C'est ainsi que cela a ressoudé les rangs des partis bourgeois qui comptaient jusque-là un certain nombre d'indécis, voire d'opposants. L'immense succès populaire de la récolte de signatures a néanmoins ébranlé certaines certitudes, notamment dans les rangs démocrates-chrétiens (cf. supra)
[47].
Le texte du GSsA vise a introduire un nouvel article 20 des
dispositions transitoires de la constitution stipulant que la Confédération ne peut acquérir aucun avion de combat, à partir du 1e juin 1992 et jusqu'en l'an 2000, ce qui empêcherait donc l'achat du F/A-18. Pour les initiants, le nouvel avion de combat est parfaitement inutile et correspond à des conceptions militaires surannées datant de la guerre froide. De plus, ce n'est pas au moment où les caisses fédérales sont vides qu'il faut procéder à un achat si coûteux. Cette initiative a été déposée au début de l'été munie de 181 707 signatures valables. Le cap des 100 000 signatures fut dépassé en une douzaine de jours et le total, après un mois de récolte, s'est monté à plus d'un demi-million. Ceci constitue un véritable record et traduit l'importance de l'opposition populaire à l'achat du F/A-18. Pour gagner du temps, le GSsA n'a soumis qu'une partie des signatures à la Chancellerie fédérale et a transformé les 320 000 restantes en une pétition
[48].
Cette initiative a été souvent interprétée autant comme un rejet de l'armée que du nouvel avion de combat. En outre, des critiques se sont élevées contre la
clause de rétroactivité qu'elle contient; cette pratique qui tend à se répandre mettrait, selon certains, en danger la sécurité du droit. De plus, le fait que cela ait contesté par avance le choix du parlement a été considéré comme une manoeuvre se situant à la limite de la démocratie. Certains parlementaires bourgeois radicaux et démocrates du centre, emmenés par U. Zimmerli (udc, BE), ont d'ailleurs fait part de leur résolution d'invalider cette clause et de rendre de ce fait irrecevable l'initiative
[49]. Cependant, K. Villiger a annoncé qu'il souhaitait que l'initiative soit soumise au peuple. Selon lui, cela aurait été une erreur politique de la déclarer nulle pour une raison juridique, ce qui fut également l'avis du PDC et du PRD. En revanche, le chef du DMF a estimé qu'il n'y avait aucune raison de traiter ce texte plus rapidement que les autres et d'organiser un scrutin en 1992 comme les initiants le désiraient
[50].
Si le
PS et la Lega ont déclaré soutenir l'initiative, les partis bourgeois s'y sont clairement opposés; ils considèrent qu'elle met en danger la crédibilité de l'armée suisse et s'inscrit dans le vaste dessein de sa suppression. Pour sa part, le patronat a vigoureusement défendu l'acquisition du F/A-18. Selon lui, cela permettrait à l'industrie suisse d'obtenir des contrats compensatoires d'une valeur de 2 milliards de francs, ce qui devrait garantir des commandes pour beaucoup d'entreprises et donc assurer l'existence de nombreux emplois
[51].
Dans son message, le
Conseil fédéral a recommandé le rejet sans contre-projet de l'initiative. Selon lui, le renouvellement de la flotte suisse est indispensable; sans une couverture aérienne de qualité, les forces armées, non seulement perdent toute crédibilité, mais voient leur efficacité réduite à peu de chose en cas d'engagement. Si l'initiative était acceptée, il n'en résulterait pas seulement un affaiblissement de la capacité défensive de la Suisse, mais un bouleversement de toute son organisation militaire. De surcroît, cela mettrait en danger la protection des populations civiles. Par ailleurs, l'industrie suisse souffrirait d'une perte de commandes de par la disparition de contrats compensatoires, ce qui entraînerait de nombreuses suppressions d'emplois. Quant à l'aspect financier du problème, le gouvernement a précisé que l'acquisition d'un nouvel avion de combat n'occasionnerait pas de dépenses supplémentaires, celles-ci étant comprises dans les limites des programmes d'armement. De plus, pour pallier aux déficiences de l'armée en cas d'acceptation de l'initiative, l'achat de systèmes d'armes nouveaux serait nécessaire; aucune économie ne serait donc réalisée
[52].
Suivant l'avis du gouvernement,
le Conseil national a assez clairement rejeté ce texte. En outre, deux propositions de «troisième voie» furent également repoussées. La première, émanant de M. Dünki (pep, ZH), voulait inscrire dans la constitution les conditions pour l'achat de nouveaux avions de combat (besoins de formations des pilotes, nouvelles menaces). La seconde, de S. Epiney (pdc, VS), prévoyait que l'acquisition du F/A-18 soit soumise au référendum (ce qui aurait permis d'éviter l'effet moratoire impliqué par l'initiative)
[53].
L'armée suisse a décidé de
renouveler une partie de son parc de camions (Pinzgauer et Saurer 2DM). Pour ,un crédit de 300 millions de francs, elle entend ainsi acquérir 2000 véhicules. Deux candidats sont sur les rangs, l'allemand Mercédès et le suisse Bucher-Guyer. Si ce dernier est plus cher, il a néanmoins l'avantage de proposer le développement d'une technologie helvétique et de garantir l'existence d'un certain nombre de postes de travail en Suisse
[54].
[39] Le taux d'écoute fut cependant très faible.
[40] BO CE, 1992, p. 252 ss.; presse des 11.1., 26.2., 27.2., 5.3., 12.3., 19.3. et 20.3.92; NQ, 29.1.92.; 24 Heures, 21., 22. et 24.2.92. Voir APS 1989, p. 89, 1990, p. 92 s. et 1991, p. 104 s.
[41] Délib. Ass. féd., 1992, VI, p. 126, presse du 18.3. et 19.3.92.
[42] Presse du 7.5. et 8.5.92.
[43] BO CN, 1992, p. 889 ss. (projet adopté par 103 voix contre 84); presse des 25.3., 11.4., 27.4., 29.4.,13.5., 23.5., 25.5., 3.6. et 5-14.6.92.
[44] BO CE, 1992, p. 540 ss. ; FF, 1992, III, p. 969; presse du 17.6. et 18.6.92.
[45] BO CN, 1992, p. 2173.
[46] Presse du 9.4., 15.4., 21.4. et 25.4.92; SGT, 22.4.92; NQ, 28.4.92; VO, 13, 26.3.92.
[48] FF, 1992, II, p. 1402 ss. et III, p. 1475 ss.; presse du . 9.3., 10.3., 16.3., 30.3., 28.4., 29.4., 7.5., 9.5., 11.5., 12.5., 13.5., 2.6., 10.6. et 16.7.92; NQ, 15.3.92; Ww, 2.4.92; L'Hebdo, 20, 14.5.92 et 21, 21.5.92; VO, 14, 2.4.92, 19, 7.5.92 et 23, 4.6.92; GSoA-Zitig, 46, avril 1992 et 47, juin 1992 et GSoA-Info, avril et juin 1992.
[49] Ww, 26.3.92; NQ, 31.3.92; Bund, 1.4.92; TA, 3.4.92; SZ, 28.4.92: NZZ, 6.5.92; Suisse, 26.5.92. Cf. aussi infra, Constructions militaires, où le même problème s'est posé à propos de l'initiative «40 places d'armes ça suffit!...». Plusieurs propositions ont été soumises au parlement dans le but d'interdire ou de limiter l'usage de clauses rétroactives. A ce sujet, cf. supra, part. I, 1c (Volksrechte).
[50] Blick, 5.5.92; presse du 6.5. et 9.5.92.
[51] Presse du 2.3. et 14.5.92; JdG, 18.4.92; NQ, 26.4.92; Suisse, 8.6.92; NZZ, 2.12.92. Position du patronat: presse du 7.5. et 27.5.92.
[52] FF, 1992, VI, p. 432 ss.; presse du 29.10.92.
[53] BO CN, 1992, p. 2476 ss. (rejet par 117 voix contre 51); NZZ, 7.11.92; presse du 11.12.92.
[54] Bund, 24.11.92; NQ, 28.1 1.92.
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