Année politique Suisse 1992 : Economie / Agriculture / Politique agricole
Le Conseil fédéral a présenté son message sur la modification de la loi sur l'agriculture visant à introduire des paiements directs. Cette réforme est l'aboutissement de plusieurs années de débats sur le problème du revenu paysan et des prix des produits agricoles. S'inspirant de nombreuses interventions parlementaires, du rapport de la commission Popp, et se plaçant dans la philosophie du 7e rapport sur l'agriculture, le gouvernement, après une procédure de consultation encourageante, a proposé au parlement des nouveaux articles 31a et 31b de la loi sur l'agriculture, qui prévoient l'introduction de paiements compensatoires selon deux modes. Le premier est composé de paiements directs complémentaires de caractère général et non liés à la production. Ceux-ci sont destinés à compenser une politique des prix qui sera à l'avenir plus respectueuse des règles du marché et à rémunérer des prestations d'intérêt public. Ils devront, en outre, encourager l'agriculture de type familial, la protection de l'environnement et la collaboration entre les exploitations. Le montant des paiements directs dépendra d'une série de critères dont, notamment, le type de l'exploitation et sa surface. Le second concerne des paiements directs destinés à soutenir des formes d'exploitation respectueuses de l'environnement. Ceux-ci seront versés sur une base contractuelle et les critères d'octroi devraient être un emploi moindre d'engrais ou de produits de traitement, une attention particulière vouée aux animaux et le respect des mécanismes naturels et des équilibres écologiques.
Les besoins en paiements directs devraient atteindre un montant situé entre 200 et 300 millions de francs par année. Cette somme pourra être partiellement compensée par une baisse des prix à la consommation et un accroissement de certaines recettes. Le surplus de dépenses pour la Confédération devrait se monter à 100 millions de francs.
Dans le même paquet législatif, le gouvernement a encore proposé une modification de la loi visant à adapter la formation professionnelle aux besoins nouveaux, à l'harmoniser avec la loi fédérale sur la formation professionnelle et à permettre la création de nouvelles filières de formation ou de perfectionnement
[13].
Dans un premier temps, le
Conseil des Etats a adopté le projet du gouvernement à l'unanimité. Il n'a effectué que des modifications de détail visant à rassurer les paysans, comme, par exemple, de donner la garantie de la Confédération plutôt que du seul Conseil fédéral en matière de paiements directs
[14].
Le
Conseil national, pour sa part, fit également un bon accueil à cette modification législative. La Chambre fut ainsi généralement unanime pour admettre la nécessité de réformer la politique agricole. La façon de le faire divisa cependant les parlementaires. Les bourgeois, outre qu'ils se sont inquiétés du financement des paiements directs, ont considéré ces derniers principalement sous l'angle d'une compensation des pertes de revenu dues à une dérèglementation progressive, alors que la gauche et les écologistes entendaient donner un plus grand poids aux paiements directs à caractère écologique. Sous la pression de cette minorité, des modifications ont été apportées au projet initial dans le sens d'une écologisation des paiements directs. C'est ainsi que les députés, contre l'avis de leur commission, ont instauré le principe, à moyen terme (5 ans), d'une égalité de volume entre paiements directs économiques et écologiques. Ils ont par contre refusé de subordonner exclusivement le versement de paiements directs à des prestations à caractère écologique. Par ailleurs, la chambre a encore introduit, toujours sous l'impulsion de la gauche et des verts, une limitation de l'octroi de paiements directs en fonction des revenus et de la fortune de l'agriculteur
[15].
Lors de la
procédure d'élimination des divergences, le Conseil des Etats a ramené les critères de limitation d'octroi de paiements directs au seul revenu agricole, sur proposition de compromis d'A. Cottier (pdc, FR). La grande chambre s'est finalement ralliée de justesse à cette proposition, la gauche et les écologistes entendant fermement revenir à la proposition initiale. En revanche, la petite chambre a accepté la disposition introduite par le Conseil national visant à terme à une égalité entre paiements directs généraux et écologiques. Face à ces modifications, des menaces de référendum sont venues des rangs de la droite, libéraux et démocrates du centre en particulier, qui étaient opposés à toute limitation en fonction du revenu ou de la fortune et qui n'ont guère goûté la disposition prévoyant la parité entre paiements directs généraux et écologiques
[16].
Pour sa part, la grande chambre a accepté sous forme de postulat la motion Baumann (pe, BE) invitant le gouvernement à uniformiser les limites de revenus et de fortunes déterminantes pour les paiements directs
[17]. Elle a fait de même avec un texte de V. Darbellay (pdc, VS) proposant d'étendre et de moduler les critères relatifs à la surface de l'exploitation pour le calcul des paiements directs
[18].
En fin d'année, le gouvernement a mis en consultation les
deux ordonnances destinées à mettre en application les modifications de la loi sur l'agriculture. En 1993, 150 millions de francs devraient ainsi être consacrés aux paiements directs généraux et 40 millions pour les paiements directs à caractère écologique. Le texte définit les ayant droit, les montants des paiements ainsi que leurs conditions d'octroi
[19]. Pour les paiements généraux, les paysans doivent exploiter une entreprise d'au moins 3 hectares et n'utiliser comme main d'oeuvre que sept personnes au plus extérieures à leur famille. Les sommes dévolues, pour les entreprises de plus de 10 hectares, seront de 1000 francs par domaine en plaine et de 2000 francs en montagne. En plus, 200 francs par an et par hectare seront versés. Pour les contributions écologiques, l'ordonnance définit quelles sont les formes particulièrement respectueuses de l'environnement qui méritent une indemnisation. Il s'agit de la production intégrée, de la culture biologique, de la détention d'animaux de rente en plein air, des surfaces de compensation écologiques et de certaines surfaces assolées
[20].
Dans le cadre de l'attribution de paiements directs, le Conseil des Etats a transmis comme postulat la motion Delalay (pdc, VS) qui demandait que les
petites exploitations familiales soient favorisées. Certains critères tels que le type de production, l'intensité du travail à fournir et les mesures prises contre les excédents ou en faveur de la qualité devraient ainsi être pris en compte
[21]. Cette même Chambre a par contre rejeté la motion Weber (adi, ZH) qui entendait, pendant une période de transition, lier le financement des paiements directs aux moyens dégagés par la réduction progressive des prix garantis, des quantités dont la prise en charge est assurée, du volume des importations et des subventions en faveur de l'agriculture
[22].
Soucieux de résoudre l'épineux problème du
financement de cette nouvelle politique, le Conseil des Etats a accepté une initiative parlementaire de sa commission, proposée par R. Jagmetti (prd, ZH), et qui entend, afin de financer ces nouveaux paiements directs, soumettre à l'impôt sur le chiffre d'affaire (ICHA) à un taux réduit (1,5%) les denrées alimentaires et les boissons non alcoolisées. La charge supplémentaire que cela créerait pour le consommateur serait largement compensée par la baisse des prix provoquée par l'introduction de paiements directs. Par ailleurs, un tel système ne porterait pas préjudice à l'instauration future d'un nouveau régime financier. D'aucuns ont néanmoins protesté contre cette mesure qui, selon eux, serait prématurée; il vaudrait mieux lutter contre les excédents et inciter les agriculteurs à diminuer leur production
[23]. Le Conseil national a, pour sa part, accepté le postulat Tschuppert (prd, LU) demandant au gouvernement d'examiner les possibilités d'assujettir les produits alimentaires à l'ICHA et de prélever sur l'ICHA existant 1 % en faveur de l'agriculture
[24].
La petite chambre a, par contre, rejeté la motion Weber (adi, ZH) qui demandait que, par le biais d'un arrêté fédéral urgent, le financement des paiements directs soit assuré presqu'exclusivement par les économies qu'une dérèglementation rapide de l'agriculture entraînerait. Le Conseil des Etats a estimé qu'une mutation structurelle trop rapide de l'agriculture serait néfaste pour les paysans et qu'une transition douce était nécessaire
[25].
[13] FF, 1992, Il, p. 1 ss.; presse du 13.1.92. Voir aussi APS 1989, p. 105 s., 1990, p. 114 s. et 1991, p. 130 s.
[14] BO CE, 1992, p. 234 ss.; presse du 6.3 et 19.3.92; LID-Pressedienst, 1744, 20.3.92.
[15] BO CN, 1992, p. 1016 ss.; BZ, 4.6.92; Bund, 13.6.92; LNN, 15.6.92; NZZ, 17.6.92; presse du 27.5, 17.6 et 18.6.92.
[16] BO CE, 1992, p. 445 ss., 766 ss., 1070, 1207 ss. et 1363 ; BO CN, 1992, p. 1942 ss., 2217, 2274 ss., 2547 et 2792; FF, 1993, I, p. 9 ss.: presse du 12.6, 23.9 et 6.10.92; Bund et NZZ, 2.9.92; BüZ, 4.9.92; LID-Pressedienst, 1772, 25.9.92 et 1774, 9.10.92. Cette loi est entrée en vigueur le 1er janvier 1993.
[17] BO CN, 1992, p. 2543 s.
[18] BO CN, 1992, p. 2544 s.
[19] En principe, les paysans de plus de 65 ans et ceux dont le revenu est supérieur à 150 000 francs devraient être exclus.
[20] Presse du 24.12.92; LID-Pressedienst, 1785, 28.12.92.
[21] BO CE, 1992, p. 1 125 s.; NF, 12.12.92.
[22] BO CE, 1992, p. 1118 ss.
[23] BO CE, 1992, p. 457 ss.; BZ, 2.6.92; presse du 12.6.92.
[24] BO CN, 1992, p. 631 s.
[25] BO CF, 1992, p. 1118 ss.; presse du 3.12.92.
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