Année politique Suisse 1992 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie / Energie nucléaire
A la surprise des observateurs, la population bernoise s'est prononcée à une majorité de 51,4% des voix contre l'octroi d'un permis non-limité dans le temps pour l'exploitation de la centrale de
Mühleberg (BE) et l'autorisation
d'augmenter de 10% la puissance du réacteur. Elle a ainsi désavoué ses autorités qui s'étaient déclarées favorables à la requête des Forces Motrices Bernoises (FMB). Ce vote n'avait toutefois qu'une valeur consultative, la décision finale relevant de la compétence du Conseil fédéral. Les incertitudes quant à la sécurité de la centrale, qui est en fonction depuis vingt ans, et les risques accrus du fait de l'augmentation de la puissance du réacteur ont pesé de façon décisive dans le résultat de la votation
[6].
Au lendemain de la votation; le chef du DFCTE s'est à nouveau entretenu avec le gouvernement bernois, ainsi qu'avec des représentants des partisans et des adversaires de la demande des FMB. Les organisations écologistes ont reproché au gouvernement de mener une politique trop favorable au nucléaire; ils ont même entamé une procédure pour demander la récusation d'A. Ogi sur le dossier de Mühleberg, car, selon elles, le «parti-pris» du DFTCE, en particulier des membres de la Division de la sécurité des installations nucléaires (DSN), en faveur du nucléaire rendait impossible une décision neutre.
Au mois de décembre, le
Conseil fédéral a finalement décidé d'autoriser l'augmentation de 10% de la puissance du réacteur, mais seulement pour une période de 10 ans. Pour justifier sa décision, le gouvernement a invoqué la dépendance accrue de la Suisse pour son approvisionnement énergétique. Il a ajouté que la sécurité de la centrale serait maintenue à son niveau actuel par la réalisation de travaux supplémentaires et que l'augmentation de la puissance du réacteur n'entraînerait qu'un très léger réchauffement de l'Aar. Les partis écologiste et socialiste bernois, ainsi que les organisations anti-nucléaires ont vivement déploré la décision du Conseil fédéral qui, selon eux, met en cause l'armistice énergétique issu des votations de 1990 et contourne le moratoire de dix ans contre la construction de nouvelles centrales nucléaires. Certaines organisations ont également annoncé leur intention de suspendre leur participation au programme «Energie 2000». Pour leur part, les FMB se sont déclarées satisfaites tout en regrettant la limitation à 10 ans
[7].
Après les FMB, ce sont les Forces Motrices de
Leibstadt (AG) qui ont transmis au Conseil fédéral une demande d'augmentation de 15% de la puissance du réacteur de leur centrale nucléaire. Cette démarche a suscité de nombreuses oppositions individuelles auprès des autorités fédérales
[8]. Par ailleurs, ces dernières ont autorisé les forces motrices de Gösgen d'augmenter de 3,5% la puissance du réacteur de la centrale nucléaire de Gösgen-Däniken, ce qui devrait permettre d'élever la production d'électricité de 230 millions de kilowattheures (kwh) par année. La Fondation suisse de l'énergie (FSE) a critiqué cette décision qui va à l'encontre des objectifs d'«Energie 2000» de stabilisation de la consommation d'énergie. Les représentants de l'économie énergétique ont répondu qu'une telle augmentation progressive était déjà prévue depuis 1985
[9].
Pour leur part, les Forces Motrices du Nord-Est de la Suisse ont déposé auprès des autorités fédérales une demande de permis non-limité dans le temps pour la centrale nucléaire de
Beznau II, dont l'autorisation d'exploitation expire à la fin de l'année 1993. Les autorités fédérales avaient posé comme condition à l'octroi d'un tel permis l'installation d'un nouveau système de sécurité. Les travaux nécessaires étant arrivés à leur terme cette année, les propriétaires se sont montrés confiants quant à la prise de position du gouvernement. Cependant, environ 16 000 oppositions, émanant de Suisse, d'Allemagne et d'Autriche, ont été transmises au Conseil fédéral. Les arguments des opposants sont du même type que ceux avancés à l'encontre de la centrale de Mühleberg, à savoir l'ancienneté de l'installation et le manque de sécurité
[10].
Après plusieurs semaines de tergiversations et de négociations avec les acteurs concernés, le gouvernement français a décidé au mois de juin de suspendre le redémarrage du surgénérateur
Superphénix de Creys-Malville (F). Cette décision faisait suite à la publication d'un rapport de la Direction de la sûreté nucléaire française qui mettait en cause les normes de sécurité de la centrale. Auparavant, les rumeurs d'un redémarrage imminent de la centrale avaient fait réagir vigoureusement les organisations écologistes genevoises et françaises. Le Conseil d'Etat genevois a également interpellé A. Ogi afin qu'il intervienne auprès des autorités françaises pour faire repousser toute décision concernant Superphénix jusqu'à la réunion de la commission franco-suisse de sûreté des installations nucléaires. Le redémarrage de Superphénix a été subordonné à la réalisation de travaux nécessaires pour assurer la sécurité de la centrale. D'autre part, une étude sera effectuée pour évaluer la possibilité de convertir Superphénix en une installation spécialisée dans le traitement des déchets nucléaires
[11].
La Division de la sécurité des installations nucléaires (DSN) a demandé aux exploitants des 5 centrales nucléaires suisses d'analyser le fonctionnement des systèmes de refroidissement d'urgence des installations et de lui transmettre un rapport à ce sujet. Cette demande était motivée par un incident survenu dans plusieurs centrales suédoises de type semblable aux centrales helvétiques
[12].
Le Conseil national a transmis le postulat Fischer (prd, AG) qui prie le Conseil fédérat, dans le cadre de
l'aide aux pays d'Europe centrale et orientale, de contribuer à la modernisation des centrales nucléaires, et notamment d'examiner la possibilité de participation d'experts suisses à ces travaux. En réponse à une interpellation Flückiger (prd, JU) au sujet de l'état des installations nucléaires dans les pays d'Europe de l'Est et sur la position du gouvernement à l'égard de ces menaces, le chef du DFTCE a reconnu l'insuffisance des actions menées par les organismes internationaux et les pays ouest-européens. Il a également déclaré que plusieurs délégations d'experts – russes, hongrois et tchèques – s'étaient rendues en Suisse et avaient pu être informées sur les systèmes de sécurité des centrales helvétiques
[13].
Les différentes associations anti-nucléaires ont reproché aux forces motrices du Nord-Est de la Suisse (NOK) d'avoir signé un contrat
d'importation annuelle de 650 millions de kilowattheures d'électricité pour une période de 10 ans avec des producteurs tchécoslovaques; une telle démarche irait à l'encontre des objectifs du programme «Energie 2000» et cette électricité proviendrait de centrales nucléaires parmi les plus dangereuses du monde. Les NOK ont rétorqué que le prix du courant, particulièrement élevé, payé aux producteurs tchécoslovaques devait justement servir à l'assainissement des centrales défectueuses
[14].
Après la découverte de plusieurs cas d'importation illicite de substances radioactives en provenance d'Europe centrale, le Ministère public de la Confédération a pris des mesures afin d'éviter les accidents et d'intensifier les contrôles de police
[15].
[6] APS 1991, p. 153 s.; BZ, 3.2 et 5.2.92;NQ, 11.2.92; Bund, 12.2.92; presse du 17.2.92.
[7] Bund, 18.3 et 3.4.92; BZ et TW, 30.5 et 26.11.92; JdG, 17.9.92; TA, 12.10.92; presse du 15.12.92; WoZ, 18.12.92; Ww, 24.12.92; voir aussi Aktion Mühleberg stillegen, Atomrechtliches Bewilligungsverfahren zum AKW Mühleberg, Bern, Dez. 1992.
[8] AT, 11.12.92; LNN, 16.12.92; SHZ, 19.1 1.92.
[9] NZZ, 16.6 et 19.6.92.
[10] Presse du 28.1.92; BaZ, 28.4.92; AT, 29.4.92; NZZ, 23.6.92.
[11] 24 Heures et JdG, 20.5.92; NQ, JdG et Suisse, 12.6, 20.6, 25.6 et 30.6.92.
[12] NQ et 24 Heures, 19.9.92; BO CN, 1992, p. 2263 s.
[13] BO CN, 1992, p. 1210 s.; BO CE, 1992, p. 151 s. (Flückiger); AT, 5.3.92; NZZ, 4.8.92.
[14] TA, 18.3 et 12.5.92; presse du 5.5.92.
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