Année politique Suisse 1994 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
Principes directeurs
Suite aux nombreuses interventions parlementaires déposées depuis 1991, le Conseil fédéral a publié son rapport sur la coopération transfrontalière et la participation des cantons à la politique étrangère. L'objectif de ce document, qui vient compléter et concrétiser celui de novembre 1993 sur la politique extérieure de la Suisse dans les années 90, est de dresser l'état de la coopération transfrontalière et de la participation des cantons à la politique étrangère, domaines politiques particulièrement sensibles depuis la votation du 6 décembre 1992 sur l'EEE. Le rapport rappelle tout d'abord les bases juridiques relatives au partage des compétences entre la Confédération et les cantons en matière d'affaires étrangères: la compétence générale de la Confédération résulte des articles 8, 85 et 102 de la Constitution. Quant aux articles 9 et 10, ils n'attribuent aux cantons que des compétences subsidiaires. Cependant, le Conseil fédéral interprète ces dispositions de façon libérale, ce qui permet aux cantons de conclure des traités avec l'étranger dans tous les domaines relevant de leurs compétences. La "courtoisie fédéraliste" implique, en outre, que la Confédération fasse preuve d'une certaine retenue lors de la conclusion de traités qui empiètent sur le domaine législatif des cantons.
En ce qui concerne la politique étrangère, le rapport rappelle que les cantons possèdent d'ores et déjà un certain nombre de moyens leur permettant d'intervenir en la matière, notamment lorsque leurs intérêts et des domaines relevant de leur compétence sont en cause: procédures de consultation ou autres formes de concertation, participations de représentants cantonaux à des délégations lors de négociations, droit d'initiative. Les négociations relatives à l'Accord EEE semblent toutefois avoir marqué un tournant dans la participation des cantons à la politique étrangère de la Confédération. A cette occasion, le développement d'autres instruments permettant d'associer plus étroitement les cantons au processus d'intégration européenne est apparu comme nécessaire. C'est dans cette perspective qu'il faut appréhender la réactivation du Groupe de contact Confédération-cantons qui, depuis 1989, a traité à chacune de ses réunions de l'intégration européenne et de ses répercussions sur le fédéralisme. Cet organe est également à l'origine de la mise en place, dès 1990, du réseau des délégués cantonaux aux affaires européennes (eurodélégués). Bien que l'Accord EEE ait été rejeté, les gouvernements cantonaux et le Conseil fédéral ont décidé de poursuivre leur collaboration en matière de politique étrangère.
Si le Conseil fédéral s'est par ailleurs déclaré prêt à examiner la question d'une réglementation législative (éventuelle base constitutionnelle) dans le domaine de la participation des cantons à la politique étrangère de la Confédération, il a toutefois fait remarquer que l'accroissement de cette participation ne devait pas modifier la répartition des compétences en matière d'affaires étrangères entre l'Etat fédéral et les cantons telle qu'elle résulte de la Constitution fédérale.
En matière de coopération transfrontalière, le rapport rappelle principalement que ce domaine dépend des initiatives que prennent les cantons, les communes, d'autres institutions publiques régionales et locales ainsi que divers milieux privés. Il incombe donc aux cantons de déterminer en premier lieu la configuration des relations transfrontalières (concrétisation institutionnelle, contacts ad hoc ou informels) et d'utiliser la marge de manoeuvre dont ils disposent en la matière. Bien que celle-ci soit importante dans certains domaines tels que les transports, l'élimination des déchets, la formation, etc., le Conseil fédéral a tenu à rappeler qu'elle est en revanche réduite lorsqu'il s'agit de traités de libéralisation ou d'intégration. Comme le souligne le rapport, la compétence de conclure ce type d'accords appartient à la Confédération. Si le gouvernement entend protéger les intérêts des cantons et les soutenir dans leurs efforts de coopération transfrontalière, il attache toutefois une importance toute particulière à la préservation de l'équilibre interne de la Confédération - notamment entre cantons frontaliers et cantons non frontaliers - en s'en tenant à une politique d'intégration homogène. La création de mini-EEE dans les régions frontalières est donc exclue.
Dans sa conclusion, le Conseil fédéral a déclaré qu'il approfondira volontiers sa collaboration avec les cantons, car elle permet d'enraciner la politique étrangère dans la politique intérieure et de la rendre plus accessible aux citoyens. Lors de la session parlementaire d'automne, le
Conseil national a pris acte du rapport avec satisfaction, à l'exception du Groupe du parti de la liberté (ex-PA) qui redoute que la coopération transfrontalière conduise à l'établissement de mini-EEE
[1].
Enfin, le gouvernement a transmis un message proposant aux Chambres d'approuver un crédit-cadre de 24 millions de francs, réparti sur les années 1995 à 1999 et destiné à promouvoir les activités de coopération transfrontalière des cantons et des régions dans le cadre de l'
initiative communautaire INTERREG II. Dotée d'un budget d'environ 1,8 milliard de francs, cette dernière vise à revitaliser les économies des zones situées aux frontières internes et externes de l'Union européenne et à promouvoir une coopération plus intense entre les régions situées de part et d'autre des frontières nationales
[2].
Le long débat parlementaire consacré au rapport du Conseil fédéral publié en 1993 sur la politique extérieure de la Suisse dans les années 90 s'est focalisé sur la question européenne - et plus spécifiquement sur l'objectif stratégique de l'adhésion à l'UE - ainsi que sur la conception de la neutralité. Les prises de position des différents groupes parlementaires et les interventions de nombreux députés ont à nouveau révélé un profond clivage entre partisans de la construction européenne et d'une neutralité assouplie en vue d'un engagement international renforcé d'une part, et opposants à toute forme d'intégration ainsi qu'à une réorientation de la politique de neutralité, d'autre part.
Au sein du Conseil national, la majorité des libéraux, socialistes, indépendants et écologistes ont soutenu les objectifs du rapport. En revanche, l'UDC, les démocrates suisses, la Lega et le parti de la liberté (ex-PA) ont souhaité son renvoi, tant pour des motifs ayant trait à la politique européenne que de neutralité. Réservés, les radicaux et démocrates-chrétiens se sont prononcés en faveur du rapport, même si le PRD a regretté que l'adhésion à l'Union européenne ait été définie comme objectif stratégique plutôt que comme option. Du côté du Conseil des Etats, l'objectif de l'adhésion à l'UE a également suscité plusieurs réticences, voire oppositions. Lors de leur vote respectif, les deux Chambres ont finalement pris acte du rapport du Conseil fédéral. Les quatre propositions de renvoi qui avaient été déposées au Conseil national ont toutes été rejetées à de fortes majorités. Le Conseil des Etats a, pour sa part, transmis un postulat de sa Commission de politique extérieure invitant le Conseil fédéral à présenter annuellement un rapport sur la politique extérieure de la Suisse.
Déjà amorcée sous l'égide de René Felber, la restructuration du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a reçu, en décembre, l'aval du gouvernement. Le
renforcement du rôle du secrétaire d'Etat et la
disparition de deux directions sur les cinq jusqu'alors en place sont les innovations les plus marquantes de cette réforme. Dès lors, la Direction politique, mais aussi celles du droit international public et de la coopération au développement sont directement placées sous les ordres du secrétaire d'Etat. La Direction administrative et du service extérieur est, quant à elle, supprimée, à l'instar de la Direction des organisations internationales (DOI) dont les activités seront désormais reprises par la Direction politique. La création de la Division politique des droits de l'homme et de la politique humanitaire constitue également une nouveauté, tout comme l'intégration de la coopération avec l'Europe de l'Est à la Direction de la coopération au développement et de l'aide humanitaire (DDA). Au niveau de la structure de direction enfin, un secrétariat général s'occupera désormais de toutes les questions administratives et de la logistique. Une séparation nette est ainsi introduite entre le domaine politique, du ressort du secrétaire d'Etat, et le domaine administratif qui relèvera de la compétence du nouveau secrétaire général. Le chef du DFAE a déclaré que les réformes au sein de son département avaient été dictées par le souci de rendre plus claires et plus flexibles les structures du DFAE. L'entrée en vigueur de cette réorganisation a été fixée au 1er janvier 1995
[4].
Outre ces réformes structurelles, Flavio Cotti souhaite modifier les modalités d'
accès à la diplomatie en permettant à des personnalités du monde politique et économique d'être nommées au rang d'ambassadeur sans avoir suivi la filière traditionnelle. Par cette nouvelle politique - qui a conduit à la nomination du secrétaire général du DFAE Alfred Defago au consulat général de New-York avec titre d'ambassadeur, de l'industriel Uli Sigg à l'ambassade de Suisse en Chine et de la socialiste Gret Haller en tant que représentante permanente au Conseil de l'Europe - le chef du DFAE entend ainsi attirer vers la diplomatie des compétences nouvelles. Ce recrutement hors du corps des diplomates a suscité l'inquiétude et un certain mécontentement parmi les ambassadeurs de carrière qui ont redouté que la nomination de diplomates "hors sérail" à des postes importants ne leur porte préjudice. Flavio Cotti a également voulu soumettre les représentations suisses à l'étranger à évaluation en créant un inspectorat diplomatique qui sera chargé de juger si les ambassades atteignent les buts politiques fixés
[5].
La Chambre des cantons a transmis un
postulat Simmen (pdc, SO) priant le gouvernement de présenter un projet sur la
politique du personnel au sein du DFAE. Il s'agit, entre autres, de déterminer combien d'ambassades la Confédération entend entretenir et quel profil devront avoir les diplomates à l'avenir
[6].
[1]
FF, 1994, II, p. 604 ss.;
BO CN, 1994, p. 1464 ss.; presse des 12.3 et 27.9.94; voir également
APS 1993, p. 60 s.1
[2]
FF, 1995, I, p. 313 ss. Voir aussi supra, part. I, 1d (Beziehungen zwischen Bund und Kantonen).2
[4]
24 Heures, 26.11.94;
NZZ, 29.11.94; presse du 3.12.94;
NQ, 5.12.94.4
[5] Presse des 20.5 (Defago), 9.9 (Sigg) et 3.11.94 (Haller);
JdG, 2.11.94;
NQ, 5.12.94.5
[6]
BO CE, 1994, p. 919 s.6
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