Année politique Suisse 1994 : Infrastructure, aménagement, environnement / Transports et communications / Politique des transports
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Relations avec l'UE
Réagissant à l'acceptation de l'initiative des Alpes et doutant que cette dernière soit compatible avec l'accord sur le transit, la Commission européenne ainsi que le Conseil des ministres des transports européens ont regretté la décision du souverain helvétique et ont décidé de réévaluer l'ensemble des relations de l'UE avec la Suisse. De fait, les négociations bilatérales qui devaient débuter en avril ont été reportées. En outre, à l'exception de l'Autriche, qui connaît des problèmes identiques à ceux de la Suisse en matière de transit, et de la Grande-Bretagne, plutôt compréhensive, la plupart des pays européens ont fait part individuellement de leur désapprobation, voire de leur condamnation. La France et l'Allemagne, notamment, ont eu des mots sévères pour qualifier la décision suisse. Pour leur part, les transporteurs des pays européens ont proposé de mettre en oeuvre des mesures de rétorsion [8].
Les autorités fédérales ont immédiatement tenu à rassurer leurs partenaires européens, notamment en certifiant que la Suisse tiendrait ses engagements internationaux. Devant le Conseil national, le gouvernement a déclaré que tout serait mis en oeuvre pour expliquer à l'UE que le vote suisse n'était pas un vote anti-européen et qu'il n'entraînerait pas de mesures discriminatoires. Durant les mois suivants, A. Ogi a ainsi profité de diverses conférences internationales sur les transports (voir ci-dessous) pour exposer la position helvétique aux représentants européens [9].
Fin mars, M. Friedli, directeur de l'Office fédéral des transports, est allé présenter les intentions suisses quant à la mise en oeuvre de l'initiative des Alpes à la Commission européenne. Ayant pour idée centrale l'introduction d'instruments incitatifs, ces projets n'ont cependant pas entièrement satisfait cette dernière. C'est ainsi que, en avril puis en juin, les ministres des transports des Douze ont décidé de retarder l'adoption de mandats de négociation avec la Suisse en matière de transports routier et aérien. Ils ont estimé nécessaire de prolonger le délai de réflexion pour examiner toutes les implications de l'initiative, la Suisse n'ayant pas encore suffisamment expliqué de quelle façon elle entendait la mettre en application. Ils ont notamment considéré que les propositions helvétiques étaient insuffisantes pour garantir que les pays européens ne souffriraient d'aucune discrimination. Ils ont également fait part de leur crainte d'un report de trafic sur leur territoire [10].
Tentant de trouver une issue à cette impasse, F. Mühlemann, secrétaire général du DFTCE, a envoyé une lettre aux partis gouvernementaux proposant que le souverain se prononce à nouveau sur l'initiative des Alpes. Il estimait en effet que le texte adopté ne respectait pas les engagements internationaux de la Suisse et que le Conseil fédéral devait en proposer une version atténuée laissant une plus grande marge de manoeuvre aux autorités afin d'être eurocompatible. Cette idée a suscité des réactions partagées, le PDC et le PS estimant qu'il fallait respecter la décision du peuple, le PRD et l'UDC pensant qu'elle méritait d'être examinée. L'initiative du secrétaire général a placé A. Ogi dans une posture délicate, la question s'étant posée de savoir dans quelle mesure il était informé de cette démarche. Pour sa part, le comité d'initiative a réclamé la démission du chef du DFTCE et de son secrétaire général qui, pour avoir voulu trahir la volonté populaire, auraient perdu toute crédibilité, tant à l'intérieur que vis-à-vis de l'extérieur de la Suisse [11].
A la mi-septembre, A. Ogi a présenté le projet du Conseil fédéral pour la mise en application de l'initiative des Alpes concernant le transfert de la route au rail du trafic de transit. L'idée centrale est l'introduction de péages pour l'utilisation des axes de transit. Afin d'éviter toute discrimination entre transporteurs suisses et étrangers, chaque poids lourd, quel qu'il soit et quelle que soit sa fonction (trafic de transit, intérieur ou d'import-export), serait taxé, ce qui irait au-delà des dispositions de l'initiative. Certaines exceptions pourraient néanmoins être accordées au trafic régional en Valais, au Tessin et dans les Grisons (par le biais de systèmes d'abonnement, de remboursement ou de points écologiques). Cette mesure devrait s'accompagner de la mise sur pied d'une taxe poids lourds liée aux prestations ainsi que de la promotion, en collaboration avec les pays voisins, du transport combiné. Le montant des taxes n'a pas été évalué définitivement, mais il devrait être de nature à rendre le rail attractif vis-à-vis de la route et ne pas excéder le coût d'un trajet contournant la Suisse par la France ou l'Autriche. Le début de la mise en oeuvre de ce programme a été prévu pour 1998. Dans une première étape, 350 000 camions devraient être transférés de la route au rail. Les transporteurs routiers suisses ont protesté contre ces projets qui mettraient en danger un grand nombre d'emplois et ont menacé de lancer un référendum contre une loi qui comporterait de tels principes. Pour leur part, les partis gouvernementaux et les partisans de l'initiative des Alpes se sont montrés favorables aux idées émises par le chef du DFTCE [12].
Dans un premier temps, les ministres des transports des Douze n'ont pas été entièrement convaincus par les propositions helvétiques. Après explications complémentaires de la Suisse, la Commission européenne a toutefois relevé que les propositions helvétiques pouvaient satisfaire les exigences européennes en ce sens qu'elles étaient non discriminatoires, conformes à l'accord sur le transit et garantissaient le libre choix entre rail et route. Fin novembre, les ministres des transports de l'UE, assistés de celui de l'Autriche, ont ainsi décidé de débloquer la situation entre la Suisse et ses partenaires. Ils ont demandé à la Commission de reprendre la préparation des directives de négociations dans le secteur des transports routier et aérien. L'ouverture de ces dernières n'a été fixée que pour le printemps 1995, contrairement aux autres dossiers (agriculture, recherche, libre circulation des personnes, accès aux marchés publics et obstacles techniques aux échanges) pour lesquels les discussions ont été entamées à la mi-décembre [13].
Près de deux ans après être entré en vigueur, le traité sur le transit entre la Suisse et l'UE a donné entière satisfaction aux deux parties. Seules six autorisations ont été délivrées à des 40 tonnes pour passer à travers les Alpes (limite maximale de 50 par jour), ce qui signifie que les capacités helvétiques de ferroutage n'ont pas été surchargées [14].
 
[8] Presse des 21.2 au 24.2, 3.3, 5.3, 8.3, 14.3 et 15.3.94.8
[9] BO CN, 1994, p. 155 ss.; presse des 21.2, 22.2, 8.3, 15.3, 16.3 (Conférence paneuropéenne des transports), 3.6 et 4.6.94 (Conférence des ministres des transports des pays alpins); 24 Heures, 27.5 et 28.5.94 (Conférence des ministres européens des transports).9
[10] Presse des 26.3, 13.4, 19.4 et 15.6.94; Bund, 16.6 et 17.6.94.10
[11] Presse des 4.7 et 5.7.94; BZ, 14.7.94.11
[12] Bund et BZ, 11.7.94; Lib., 12.7.94; presse des 10.9, 12.9 et 13.9.94.12
[13] NZZ et BaZ, 14.9.94; SoZ, 18.9 et 25.9.94; NZZ, 23.9.94; 24 Heures, 26.9.94; presse des 27.9, 28.9, 18.11 et 22.11.94. Pour les négociations bilatérales avec l'UE, cf. supra, part. I, 2 (Europe: EEE et UE).13
[14] Presse du 19.1.94; NF, 1.12.94.14