Année politique Suisse 1995 : Chronique générale / Défense nationale / Défense nationale et société
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Politique de paix
Le parlement a dû statuer sur la validité formelle de l'initiative populaire "pour moins de dépenses militaires et davantage de politique de paix", qui - déposée par le PS en 1992 - prévoyait de réduire de moitié les dépenses militaires sur une période cinq ans et d'affecter les ressources ainsi dégagées au bénéfice de la sécurité sociale (ainsi qu'au profit de la promotion de la paix et de la reconversion civile de l'industrie militaire). Conformément à l'avis exprimé par sa commission, mais contrairement à celui formulé par le Conseil fédéral, le Conseil des Etats a déclaré invalide l'initiative socialiste à une large majorité, arguant principalement qu'on ne saurait voir de lien intrinsèque entre le domaine de la défense nationale et celui de la politique sociale. La Chambre basse a également été convaincue par cette argumentation, et ce malgré une pétition déposée par les initiants et demandant, forte de 14 000 signatures, que le peuple puisse s'exprimer sur cet objet.
Le débat précédant cette décision a été animé, mêlant des considérations juridiques et politiques. Pour les partisans de la validité de l'initiative, essentiellement la gauche, les verts et les indépendants, ce texte ne violait pas le principe de l'unité de la matière dans la mesure où il posait une seule et même question aux citoyens, à savoir à quel domaine, de la défense nationale ou de la politique sociale, ils désiraient donner la priorité. Reprenant l'argumentation du gouvernement, les partisans de la validité ont également fait remarquer que si tant est que cette initiative constituait un cas limite du point de vue de l'unité de la matière, on ne pouvait dire qu'elle violait ce principe dans une plus grande mesure que ne l'avaient fait de nombreuses autres initiatives soumises au peuple précédemment. Aussi, il était contraire au principe de la bonne foi de "changer les règles du jeu en cours de partie" et d'aller à l'encontre d'une pratique jusque là très libérale en la matière. Enfin, de nombreux orateurs ont insisté sur le fait que, devant l'impossibilité de trancher définitivement la question de la validité formelle de cette initiative, mieux valait pêcher dans le sens d'un excès de démocratie que de commettre le pêché inverse ("in dubio pro populo").
Selon les partisans de l'invalidité, à savoir la plupart des députés bourgeois, le texte socialiste violait au contraire manifestement le principe de l'unité de la matière puisqu'il comprenait deux propositions radicalement différentes, dont l'une pouvait être acceptée et l'autre refusée: il se pouvait très bien par exemple que les citoyens rejettent l'idée d'une réduction des dépenses militaires, et désirent néanmoins que l'on consacre plus de ressources à la sécurité sociale. Aussi, si cette initiative leur était soumise, les citoyens ne pourraient exprimer leur volonté librement, se voyant obligés de répondre par un seul oui ou par un seul non à des propositions très différentes. Certains orateurs ont reconnu que le parlement, en invalidant l'initiative socialiste, contrevenait à sa propre jurisprudence. Ils ont néanmoins ajouté qu'il était temps de mettre un terme à une pratique à leurs yeux trop laxiste, qui menaçait de faire perdre toute signification au principe de l'unité de la matière et qui, par là-même, mettait le droit d'initiative populaire en péril [2].
Face à cet échec et après avoir hésité à lancer deux nouvelles initiatives reprenant chacune une partie différente de l'initiative invalidée, le PS a décidé, de concert avec les écologistes ainsi que de nombreuses organisations pacifistes et tiers-mondistes, de lancer une nouvelle initiative. Intitulée "Economiser dans l'armée et la défense générale - pour davantage de paix et d'emplois d'avenir", celle-ci reprend grosso modo le contenu de l'initiative malheureuse, tout en étant épurée des éléments à l'origine de l'invalidation. En effet, la nouvelle initiative ne prévoit plus que les ressources dégagées soient redistribuées au bénéfice de la politique sociale. Elle exige uniquement qu'un tiers de l'argent économisé soit affecté à la promotion de la politique de paix et qu'un montant d'un milliard de francs soit alloué à la reconversion civile de l'industrie militaire, l'affectation du reste des économies étant laissée à l'appréciation du parlement [3].
 
[2] BO CE, 1995, p. 369 ss. et 380; BO CN, 1995, p. 1396 ss.; FF, 1995, III, p. 563 s.; presse des 22.3 et 23.3.95 (CE); TA et 24 Heures, 30.5.95 (pétition); presse des 20.6 et 21.6.95 (CN). Voir aussi APS 1994, p. 85. Il est à noter que le PS a publié une étude mandatée à un expert allemand et dont les conclusions légitimaient l'initiative socialiste (cf. lit. Unterseher). En effet, selon cette expertise, l'armée pourrait réduire son budget de moitié si elle prenait certaines mesures. Parmi celles-ci, l'étude allemande mentionne notamment la réduction de 400 000 à 150 000 du nombre d'hommes d'ici à l'an 2000 ainsi que la diminution du service militaire de 300 à 200 jours. Le DMF a vivement réagi aux conclusions de cette étude, estimant cette dernière superficielle et lacunaire. Il a relevé par exemple qu'elle ne prenait pas en compte le fait que la réduction du nombre d'hommes devrait être compensée par des moyens techniques plus performants et plus coûteux, ce qui rendait irréaliste la diminution de moitié du budget de la défense nationale: presse des 20.1 et 11.4.95.2
[3] FF, 1995, III, p. 1394 ss.; presse du 15.7.95; TA, 14.8.95; NZZ, 16.8.95. Parallèlement à cette initiative, le PS en a lancée une seconde demandant l'introduction du référendum constructif: cf. supra, part. I, 1c, (Volksrechte).3