Année politique Suisse 1995 : Chronique générale / Défense nationale
 
Objection de conscience
Le nombre de réfractaires au service militaire a légèrement augmenté, passant de 239 en 1994 à 256 en 1995. Sur l'ensemble de ces objecteurs de conscience, 79 ont été incarcérés (dont 17 pour des motifs politiques). 177 ont pu invoquer des raisons éthiques fondamentales, ce qui a permis à 168 d'entre eux d'accomplir un travail d'intérêt général, 9 devant accomplir un service militaire sans arme. La part des réfractaires auxquels des motifs éthiques ont été reconnus n'a pas cessé d'augmenter ces dernières années, passant de 33,4% en 1990 à 69,1% en 1995 [33].
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Service civil
Le Conseil national a adopté à une majorité confortable la loi sur le service civil. La majorité des députés a en effet estimé qu'il était temps - 92 ans après la première pétition à ce sujet et trois ans après l'adoption par le peuple du mandat constitutionnel - de décriminaliser l'objection de conscience, mettant ainsi fin à un des particularismes helvétiques. Le projet du Conseil fédéral a été globalement adopté sans grandes modifications, même si les points fondamentaux de la loi, à savoir les articles ayant trait aux critères d'admission, à la durée du service civil ainsi qu'à la procédure d'admission, ont été à l'origine de vives discussions de la part tant de ceux qui estimaient la loi trop libérale que de ceux pour qui celle-ci instaurait un simulacre de service civil. Ainsi, au sujet de la question concernant les motifs invocables pour refuser de servir, l'aile droite de la grande Chambre (UDC, DS, PL, et la plupart des radicaux) a vivement critiqué le fait que le projet gouvernemental prévoie que tout conflit de conscience, qu'il soit d'origine religieuse, éthique ou politique, puisse justifier le refus de servir s'il est allégué de manière crédible. Estimant que cette conception libérale permettait à tout un chacun de se prévaloir d'un conflit de conscience et qu'elle faisait, par conséquent, courir le risque que des milliers de jeunes se détournent de leur devoir militaire, les députés bourgeois ont proposé de revenir aux conditions énoncées par la loi Barras, qui ne reconnaît le statut d'objecteurs de conscience qu'à ceux dont les motivations ne sont pas "entachées" de considérations politiques. La proposition fut cependant rejetée par une alliance de la gauche, des écologistes, des indépendants et des démocrates-chrétiens, qui ont souligné qu'on ne pouvait distinguer les motifs éthiques de ceux politiques, ces derniers comprenant une dimension morale évidente.
Au sujet de la durée du service civil (1,5 fois celle du service militaire pour les soldats), la loi n'apportant aucune modification par rapport à la situation en vigueur, les attaques sont venues de la gauche et des écologistes. Estimant qu'une telle durée réintroduisait par la bande un élément punitif - ce qui allait à l'encontre du but principal de cette loi, à savoir la dépénalisation de l'objection de conscience - les députés écologistes et socialistes ont proposé d'abaisser le coefficient de 1,5 à 1,3, voire à 1,2. La majorité de la Chambre du peuple a néanmoins estimé que le coefficient proposé par la loi se justifiait, référence faite au moins grand confort de la vie en caserne. Elle a en outre fait valoir que la plus grande durée du service civil constituait une preuve par l'acte de l'authenticité de l'objection de conscience, preuve rendue d'autant plus nécessaire du fait de l'assouplissement des critères.
Le troisième pilier de la loi, celui concernant la procédure d'admission et prévoyant que les demandes seraient traitées par une commission civile, n'a pas fait, dans son principe, l'objet de discussions. La question du caractère obligatoire de l'audition devant cette commission fut en revanche débattu, certains députés bourgeois voulant supprimer de la loi la possibilité, certes exceptionnelle, de ne pas avoir à passer un examen de conscience, alors que d'autres, à l'image du socialiste Gross (ZH), voulaient supprimer toute audition. A ce sujet également, c'est la voie médiane proposée par le Conseil fédéral qui l'a emporté. Aussi, la seule modification relativement importante apportée par la Chambre du peuple a porté sur la possibilité de pouvoir effectuer son service civil à l'étranger. Craignant l'attrait d'"un service sous les palmiers", la majorité bourgeoise du Conseil national a en effet décidé de souligner, sur proposition de sa commission, le caractère exceptionnel de cette opportunité. Elle a en revanche rejeté une proposition Fehr (udc, ZH) visant à supprimer toute possibilité de service à l'étranger ainsi qu'une proposition Tschuppert (pdc, LU) demandant de limiter cette possibilité à l'aide en cas de catastrophe [34].
La Chambre des cantons a également adopté le projet du Conseil fédéral. Si les points soulevés au sein du Conseil national ont aussi été discutés, les sénateurs se sont montrés dans l'ensemble beaucoup plus favorables aux propositions du gouvernement. Ainsi, par exemple, contre l'opinion de sa commission qui voulait restreindre les motifs invocables aux seules valeurs éthiques fondamentales, une très large majorité des sénateurs a tenu à ce qu'il soit possible d'invoquer des motifs politiques. De même, la durée du service civil proposée par l'exécutif a été adoptée très facilement. Au sujet de la possibilité de faire son service à l'étranger, le Conseil des Etats a tenu, à l'instar de la grande Chambre, à souligner le caractère exceptionnel de cette opportunité.
La seule divergence avec le Conseil national ainsi qu'avec le projet du Conseil fédéral a concerné la procédure d'admission. La petite Chambre a en effet insisté sur la nécessité de procéder à l'audition dans tous les cas, estimant que la question de l'authenticité de l'objection de conscience ne saurait être réglée par un simple échange de courrier. La résolution de cette divergence a requis deux navettes entre les deux chambres. En effet, dans un premier temps, sur proposition du conseiller national Wick (pdc, BS), le Conseil national est allé encore plus dans le sens contraire à celui désiré par la petite Chambre, puisqu'il a décidé de ne soumettre les objecteurs à une audition que dans les cas exceptionnels. Le Conseil des Etats ayant maintenu sa position, ce n'est que dans un second temps que la Chambre du peuple, désireuse de mettre sous toit cette loi avant la fin de la législature, s'est pliée à la volonté des sénateurs [36].
Suite à l'adoption de la loi sur le service civil, le Conseil fédéral a mis en consultation l'ordonnance d'application y relative. Il est notamment prévu que l'objecteur de conscience effectue les 450 jours de service civil au minimum en trois périodes, à raison d'une par année. La première période sera de 120 jours, voire de 180 dans le secteur des soins. La Confédération prélèvera auprès des institutions qui emploient un objecteur de conscience une contribution qui s'élèvera de 20 à 50% du salaire usuel. Ces prélèvements ne seront néanmoins pas effectués les deux premières années d'application de la loi afin d'inciter de nombreux employeurs à engager des objecteurs. Le gouvernement a en outre édicté une ordonnance transitoire permettant aux citoyens désireux d'objecter et astreints au service militaire pendant l'année 1996 d'ajourner ce dernier à 1997 afin de bénéficier des conditions de la nouvelle loi.
Le Conseil national a par ailleurs adopté un postulat de sa commission demandant au Conseil fédéral de ne pas dépasser le chiffre de 29 fonctionnaires pour l'exécution de la loi sur le service civil.
 
[33] Presse du 24.1.96. Voir également APS 1994, p. 91.33
[34] BO CN, 1995, p. 617 ss., 718 s., 721 s. et 745 ss.; presse du 16.3.95. Il est à noter que le projet du CF a été défendu devant les deux chambres par le chef du DFEP, et non par le chef du DMF. Ceci s'explique par le fait que c'est le DFEP (plus précisément l'OFIAMT) qui sera compétent pour traiter des dossiers des réfractaires: 24 Heures, 21.3.95.34
[36] BO CN, 1995, p. 1947 ss., 2047 ss. et 2298; BO CE, 1995, p. 957 ss. et 1065; FF, 1995, IV, p. 488 ss. et 1141 s.; BaZ, 28.9 et 29.9.95. Voir aussi APS 1994, p. 91.36