Année politique Suisse 1995 : Economie / Agriculture
Production animale
Outre l'article constitutionnel sur l'agriculture et la modification législative relative à l'introduction des contributions de solidarité, les citoyens ont eu à se prononcer également sur une modification de l'arrêté sur l'économie laitière. Cette modification, qui avait été également attaquée par le VKMB ainsi que par des organisations de consommateurs et de producteurs proches de la nature, devait notamment permettre aux producteurs laitiers de louer ou de vendre les contingents qui leur étaient attribués, dans le but d'assouplir leur marge de manoeuvre. Elle n'a pas connu plus de succès que les deux autres objets, puisqu'elle a été rejeté par plus de 63% des citoyens. La géographie du vote a été à peu près identique à celle des deux autres scrutins, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne et Glaris rejetant le plus fortement l'arrêté alors que Genève, Vaud et le Jura étaient les seuls à l'approuver.
Arrêté fédéral sur l'économie laitière
Votation du 12 mars 1995
Participation: 37,9%
Oui: 620 918 (36,5%)
Non: 1 078 434 (63,5%)
Mots d'ordre:
- Oui: PRD (1*), PDC (1*), UDC, PL (1*), PdL (ex-PA); USP, Vorort, USAM.
- Non: PS (1*), PE, Lega, DS, PdT, AdI, PEP; VKMB, UPS, USS, CSCS, WWF, organisations de défense du consommateur, COOP, Denner, Migros.
* Recommandations différentes des partis cantonaux
Les
partisans de la modification de l'arrêté
- à peu près les mêmes que ceux sur les deux autres objets
- ont fait valoir que la location ou la vente des contingents fourniraient aux paysans la flexibilité nécessaire pour s'adapter à la libéralisation du marché laitier. Selon eux, ce transfert de contingents permettait également de réduire les coûts de production, certains paysans ne pouvant actuellement, du fait de contingents trop bas, utiliser optimalement leur exploitation. Enfin, les défenseurs de ces modifications ont fait valoir que l'arrêté prévoyait des conditions très strictes pour le transfert des contingents, qui constituaient des garanties tant pour l'agriculture de montagne que pour l'environnement
[32].
Les opposants - regroupant les mêmes acteurs que ceux opposés aux deux autres objets - ont dénoncé l'iniquité de la modification proposée, cette dernière permettant aux détenteurs de gros contingents d'être des "paysans de salon" engrangeant des revenus par la vente ou la location de leurs contingents. Ceci était, pour les détracteurs de l'arrêté, d'autant plus injuste que ceux qui bénéficieraient ainsi de gros revenus étaient ceux qui, pendant les années de référence ayant servi au calcul des contingents (1976-78), produisaient sans compter et sans se soucier de l'écoulement de leur production. Les opposants ont également fait valoir que les transferts de contingents pouvaient conduire à la concentration de la production laitière dans de grandes exploitations, véritables "usines à lait", peu soucieuses de l'environnement et de la protection des animaux.
L'
analyse Vox a mis en évidence que la motivation principale des partisans de l'arrêté avait trait à la libéralisation du marché laitier ainsi qu'à l'accroissement de l'efficacité de la production que ce nouvel arrêté devait permettre. Dans le camp des opposants, ce serait avant tout l'iniquité du commerce de contingents et les risques de discrimination encourus par les petits paysans qui auraient motivé le rejet
[34].
Avec un total de dépenses de 1,24 milliard de francs, le
compte laitier 1994/1995, a augmenté de 78 millions par rapport à l'exercice précédent. Cette augmentation est due principalement à des hausses de 32 millions de la mise en valeur du fromage et de 36 millions de celle du beurre. Ces deux productions ont eu en effet encore plus de peine qu'à l'accoutumée à s'écouler du fait, en partie, de la cherté du franc suisse, et ce malgré les baisses décidées par le gouvernement en avril de 12 centimes du prix d'achat au producteur du kilo de fromage et de 10 centimes de celui du beurre
[35].
Afin de soulager le compte laitier 95/96 ainsi que pour se rapprocher peu à peu de l'objectif d'une libéralisation complète de l'économie laitière,
le
gouvernement a
décidé d'abaisser le prix du lait de 10 centimes (de 97 à 87 centimes) avec effet au premier février 1996. Cette baisse, à laquelle s'ajoute une subvention supplémentaire de 5 centimes par litre de lait vendu aux fromagers, devrait permettre une baisse de 1,5 francs du prix du fromage. Il est à noter, par ailleurs, que le Conseil fédéral avait auparavant envisagé, comme mesures alternatives, d'abaisser le prix du lait de 10% avec une première baisse de 5% en 1995 ou d'abaisser, avec effet immédiat, les contingents laitiers de 3 voire 5%. Devant la forte mobilisation des milieux paysans, le gouvernement a préféré prendre la mesure la moins dommageable au monde agricole. La baisse du prix du lait devrait néanmoins signifier un manque à gagner de 300 millions de francs pour les producteurs laitiers, que le gouvernement entend, du moins partiellement, compenser par des paiements directs
[36].
Le Conseil national a par ailleurs partiellement transmis comme postulat une motion Wyss (udc, BE) demandant au gouvernement de
garantir les revenus des producteurs laitiers dès 1998 ainsi que de maintenir un volume de production de lait minimal afin d'encourager l'existence d'exploitations familiales dont le nombre est en diminution constante. La grande Chambre a en revanche rejeté la partie de la motion demandant le maintien de la garantie du prix du lait, suivant en cela l'avis du Conseil fédéral qui estimait que cela allait exactement dans le sens inverse des réformes en cours visant à une libéralisation de la production agricole
[37].
Accusée, notamment par la commission des cartels, d'être incapable de réformer l'
Union suisse du fromage (USF), son directeur, R. Wehringer, a présenté sa démission et a été remplacé par P. Goetschi, ancien directeur de Nestlé en Norvège. Le conseil d'administration, qui avait appelé de ses voeux cette démission, a souligné que ce changement d'homme devait permettre à l'USF d'évoluer dans le sens nécessaire
[38].
Le nouveau directeur a présenté quelque temps après son entrée en fonction les grandes lignes de sa politique. Excluant toute disparition immédiate de l'USF, il a néanmoins annoncé
la création pour la fin de l'année d'une nouvelle société,
Fromages suisses SA, qui reprendra dès 1996 toutes les activités de l'USF en matière d'exportation. Ce n'est qu'en 1998, lorsque la libéralisation de l'économie laitière sera quasiment achevée, que cette nouvelle entreprise, qui fonctionnera selon les critères de l'économie de marché, remplacera totalement l'USF, laquelle sera alors dissoute. Le nouveau directeur a par ailleurs estimé qu'une grande partie des critiques adressées à l'USF était injustifiée: selon lui, dans la mesure où cette dernière était tenue par la loi d'acheter l'ensemble de la production indigène de fromage à pâte dure, elle n'avait pas l'autonomie suffisante pour agir comme une entreprise privée. Il a ajouté qu'une des conditions de la rentabilité de l'USF et de sa successeur était l'abolition de la garantie du prix du lait
[39].
Pour sa part, le Conseil national a transmis une motion de sa commission, enjoignant le gouvernement, conformément aux recommandations faites en 1994 par la commission des cartels, de supprimer le système des prix et des marges garantis par l'Etat et de liquider l'USF. La grande Chambre a également adopté comme postulat une motion Baumann Stéphanie (ps, BE) exprimant des exigences similaires. La motionnaire demandant en outre à l'exécutif de privatiser le service d'inspection et de consultation de l'économie laitière (SICL), la majorité des députés a suivi la volonté du Conseil fédéral de transformer la motion en postulat, dans la mesure où les directives européennes en matière d'hygiène dans les laiteries exigent que les contrôles soient effectués par une autorité publique. Tenant à exprimer des préoccupations similaires, le Conseil des Etats a transmis comme postulat une motion Weber (adi, ZH) demandant au gouvernement de libéraliser de manière radicale dans les cinq prochaines années les marchés suisses du fromage et du lait et d'abolir toute intervention étatique ou semi-étatique.
L'Union européenne a ouvert une
enquête sur les pratiques des exportateurs de fromage à pâte dure appartenant à l'USF. Ceux-ci n'auraient en effet pas respecté les prix de vente minimaux convenus entre la Suisse et l'UE. Plus précisément, tout en vendant au prix plancher les fromages helvétiques, les "barons du fromage" auraient à de multiples reprises remboursé après coup leur clients en puisant dans la caisse de l'USF, abaissant ainsi le prix de vente en-dessous des seuils prévus. Face à ces accusations, l'USF a défendu ses membres en faisant valoir que si certaines livraisons avaient été vendues en-dessous du prix plancher, le prix moyen de l'ensemble des exportations correspondait à celui convenu. Le ministère public de la Confédération a pour sa part entamé une procédure pour abus de confiance, faux dans les titres et faux dans les titres dans un office public
[41].
Les producteurs de viande porcine, soutenus par l'Union des producteurs suisses (UPS), ont bloqué en fin d'année à plusieurs reprises des centres de distribution et commerciaux Migros et Coop ainsi que des centres d'abattage travaillant pour ces deux firmes agro-alimentaires. Accusant les deux distributeurs d'être les principaux responsables - du fait de la position de force dont ils jouissent sur la marché porcin (70% de parts de marché) - de la baisse de 3,8 à 3,2 francs du prix d'achat auprès des producteurs du kilo de porc, les paysans ont voulu ainsi forcer Coop et Migros à rehausser le prix de la viande porcine (ainsi que bovine) au niveau de 1994. Les producteurs ont fait valoir que cette baisse des prix rendait leur situation intenable et qu'elle était d'autant plus inacceptable que les distributeurs ne la répercutaient pas sur les prix à la consommation - ce qui aurait permis de relancer la consommation de viande porcine en chute libre ces dernières années. Ces accusations ont notamment été relayées par le conseiller national Maurer (udc, ZH), qui a affirmé dans la presse que les deux distributeurs s'étaient mis d'accord pour imposer les prix de la viande aux paysans. Les deux géants du commerce alimentaire ont vivement réagi à ces critiques, Migros déposant même plainte pour les pertes engendrées par les blocus. Les deux distributeurs ont affirmé que c'était la production excédentaire des paysans qui était à l'origine de la baisse des prix. Après négociations avec une délégation paysanne emmenée par le conseiller national Binder (udc, ZH), Coop et Migros ont certes accepté d'acheter la viande porcine aux producteurs au prix 1994 (ainsi que de diminuer leurs importations de viande étrangère). Dans un second temps cependant, les deux distributeurs ont décidé de baisser à nouveau le prix à 3,40 francs, ce qui a provoqué de nouvelles actions de blocage de la part des paysans.
La colère des producteurs de viande a par ailleurs été exacerbée par la découverte de deux affaires importantes d'
importation illégale de viande. Les producteurs ont dénoncé le manque de vigilance des douanes helvétiques, et ont exprimé la crainte que ces deux affaires ne constituent que la pointe de l'iceberg d'un plus vaste trafic qui serait à l'origine, en partie du moins, de la baisse continue des prix de la viande. Pour éviter que de telles affaires ne se reproduisent, une délégation de producteurs a soumis au Conseil fédéral une liste de mesures à même d'accroître l'efficacité des contrôles douaniers. L'UPS a quant à elle demandé la suspension de toutes les importations jusqu'à ce que les conclusions des deux enquêtes soient rendues
[43].
Le Conseil national n'a pas transmis un postulat Wyss (udc, BE) demandant au gouvernement de prendre des mesures pour valoriser les sous-produits agricoles (laine, fourrures, peaux), estimant, à l'instar du gouvernement, que les producteurs étaient à même de garantir l'écoulement sur le marché de ces produits et que cela correspondait à la nouvelle politique de désengagement de l'Etat dans l'agriculture.
[32] Presse des mois de janvier, février et mars 1995.32
[34] P. Sciarini / L. Marquis / B. Wernli,
Analyse des votations fédérales du 12 mars 1995, Vox no 56, Adliswil 1995.34
[35]
LID-Pressedienst, no 1950, 8.3.96; presse du 13.4.95. Voir également
APS 1994, p. 115.35
[36] Presse des 15.3, 6.4, 13.4 et 20.6.95;
NZZ, 15.4.95;
JdG, 17.6.95. Voir aussi
APS 1994, p. 115.36
[37]
BO CN, 1995, p. 2394 ss.37
[38] Presse du 7.2.95. Voir aussi
APS 1994, p. 116.38
[39] Presse des 17.5 et 2.12.95;
SGT, 13.11.95. Voir aussi
APS 1994, p. 116. Il est noter également que le président du conseil d'administration de l'USF, le CE Küchler (pdc, OW), a démissionné, estimant que la privatisation de l'organisation fromagère était désormais sur les rails.39
[41] Presse des 30.8 et 2.12.95;
NZZ, 20.9.95;
BaZ, 26.9.95. Cf. aussi
BO CN, 1995, p. 1858 s.41
[43]
Lib., 27.4.95;
NQ, 23.5.95;
JdG et
Express, 24.5.95;
Express, 3.6.95.43
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