Année politique Suisse 1995 : Infrastructure, aménagement, environnement / Transports et communications / Politique des transports
Les négociations entre la Suisse et l'Union européenne sur la question des transports aériens et terrestres ont enfin pu débuter au printemps. Après deux ans de travaux préparatoires et d'atermoiements, dus entre autres à l'adoption de l'initiative des Alpes en 1994,
les ministres des transports des Quinze ont adopté le mandat de négociations présenté par la Commission européenne. Cette ouverture des pourparlers, promise par les Etats-membres pour le début de l'année, était pourtant loin d'être acquise quelques semaines auparavant: la Suisse ayant paraphé avec les Etats-Unis en février un accord de libéralisation de l'espace aérien entre les deux pays, certains pays membres de l'Union, principalement l'Italie et le Portugal, qui craignaient des conséquences négatives pour leur compagnie nationale, ont fait pression pour que l'ouverture des négociations soit retardée jusqu'à ce que la Confédération dénonce cet accord. Heureusement pour la Suisse, les ministres européens, plus particulièrement ceux britannique et français, ont estimé qu'il n'était plus possible de repousser à plus tard la perspective d'un accord indispensable aux deux parties
[7].
Si l'ouverture des négociations a constitué un point positif pour les autorités helvétiques, il n'en demeure pas moins que le mandat de négociations attribué aux commissaires européens a été sur plusieurs points en deçà de leurs attentes. Ainsi, au sujet du trafic terrestre, l'UE a exigé de la Confédération un assouplissement substantiel de l'Accord sur le transit signé en 1992, demandant notamment que les 40 tonnes puissent avoir accès aux principales villes du pays. En outre, la Confédération est invitée à accroître les possibilités pour les 40 tonnes de transiter à travers le territoire helvétique ainsi qu'à supprimer l'interdiction de circuler le dimanche et la nuit. Enfin et surtout, le mandat de négociations prévoit que la Suisse abandonne, dès l'entrée en vigueur de l'initiative des Alpes, toute limitation d'accès pour les 40 tonnes. Bruxelles a justifié cette exigence en arguant que les mesures d'application de l'initiative étant suffisantes pour dissuader les 40 tonnes d'emprunter les routes helvétiques, l'interdiction actuelle de l'Accord sur le transit deviendrait sans objet. L'UE a ajouté que cette interdiction était peu conforme à sa conception de la limitation du trafic routier, basée sur des instruments de l'économie de marché. A titre d'ultime exigence du volet routier, Bruxelles a également demandé que les grands principes ainsi que les modalités de la mise en oeuvre de l'initiative des Alpes soient inscrits dans l'accord à venir. Elle entend ainsi s'assurer un droit de regard sur les mesures envisagées par la Suisse et éviter que ces dernières ne soient discriminatoires à l'égard de camions européens ni ne violent certains principes fondamentaux (libre choix du mode de transport, absence de restrictions quantitatives, non détournement du trafic, mise en place de capacités ferroviaires suffisantes). En contrepartie, l'UE s'est déclarée disposée à accorder aux camionneurs suisses un libre accès aux routes européennes - ce qui est certes déjà possible actuellement, mais uniquement sur la base d'accords bilatéraux. Les ministres des Quinze n'ont en revanche pas octroyé aux poids lourds helvétiques le droit de cabotage, ceci signifiant que les routiers suisses ne pourront effectuer de transports de marchandises à l'intérieur de l'Union (par exemple de Paris à Bonn). Sur la question du trafic ferroviaire, l'UE a exigé la libéralisation de ce domaine, demandant notamment que les compagnies européennes puissent avoir accès à l'infrastructure ferroviaire helvétique, la réciproque étant valable pour les chemins de fer suisses.
Concernant le volet aérien, la position communautaire a été encore moins généreuse. En effet, contrairement à ce qu'avait laissé entendre en début d'année la Commission européenne, les ministres des transports ont accordé uniquement aux compagnies aériennes helvétiques un droit de trafic illimité, et non celui d'effectuer des vols intra-communautaires (droit de cabotage), même s'ils ont laissé entrevoir que ce droit pourrait être accordé si la Suisse faisait des concessions sur la question des 40 tonnes ainsi que sur celle de la libre circulation des personnes. La principale raison de ce revirement de l'Union trouve son origine dans l'accord "open sky" paraphé par la Confédération et les Etats-Unis. N'ayant pas obtenu de renvoyer à plus tard l'ouverture des négociations, les Etats membres qui s'opposaient le plus vivement à l'accord helvético-américain ont convaincu les ministres des transports européens de prendre cette mesure, considérée par beaucoup de rétorsion. L'UE a également invoqué, à titre justificatif, le manque de symétrie d'une telle libéralisation, le marché européen étant cinquante fois plus grand pour les compagnies helvétiques que ne l'est celui suisse pour les compagnies européennes. En outre, les ministres des Quinze ont exigé que la Confédération reprenne la législation communautaire en matière de tarifs et de concurrence aérienne et qu'en cas de litige, la Cour européenne de justice soit compétente.
Côté helvétique, les réactions au contenu du mandat
de négociations ont été variées. Si les partis gouvernementaux ont salué l'ouverture des pourparlers, les milieux écologistes se sont inquiétés d'une éventuelle levée de l'interdiction des 40 tonnes. A ce sujet, l'Association Transport Environnement (ATE) a fait savoir que, bien qu'elle ne considère pas la suppression de la limite des 28 tonnes comme un tabou, celle-ci devrait être accompagnée de mesures rendant le rail compétitif. Elle a ajouté, de concert avec Greenpeace, que si de telles mesures n'étaient pas prises, elle n'hésiterait pas à lancer un référendum. Les auteurs de l'initiative des Alpes - opposés pour leur part catégoriquement à la suppression voire même à un relâchement de cette limite - ont fait recours contre le mandat de négociations auprès de la Commission européenne et ont adressé une pétition au parlement européen, estimant qu'un tel mandat constituait une violation flagrante de l'Accord sur le transit valable jusqu'en 2004. L'Association suisse des transports routiers (ASTAG) a quant à elle répété son intérêt pour une levée progressive de la limite des 28 tonnes. Sur le volet aérien, la direction de Swissair s'est déclarée satisfaite, et a relativisé l'impossibilité pour elle d'effectuer des vols entre deux destinations communautaires, estimant que cette question constituerait l'objet de la prochaine étape des négociations.
Les pourparlers sur les transports ont débuté quelques jours après l'adoption du mandat de négociations par les ministres de Quinze. Sans surprise,
ces tractations ont figuré parmi celles les plus difficiles et n'ont pu être conclues pendant l'année sous revue, à l'instar des autres objets en discussion. En effet, dès le début des négociations, les représentants européens - en réponse aux déclarations helvétiques selon lesquelles il n'était pas question de déroger à l'Accord de transit en ce qui concerne la limite des 28 tonnes - ont fait savoir que la suppression de cette limite constituait l'objectif principal de l'UE. Outre l'argument selon lequel l'entrée en vigueur de l'initiative des Alpes rendait caduque cette mesure, Bruxelles a justifié son intransigeance en affirmant que les incertitudes qui pesaient en Suisse sur la construction des NLFA pouvaient faire craindre le pire, ou du moins ne garantissaient pas l'existence d'infrastructures permettant un volume de transport de marchandises satisfaisant. Elle a également fait référence à la situation de plus en plus intenable de l'Autriche, qui du fait de l'interdiction des 40 tonnes sur le territoire helvétique, avait vu, depuis son entrée dans l'UE, le volume du trafic sur le Brenner augmenter de 20%. Un autre point qui a empêché toute possibilité d'accord a été la question du cabotage terrestre, l'Union refusant de satisfaire les exigences de la Confédération. Aussi, mis à part des questions de détails, les principaux points de convergence ont concerné les principes du trafic combiné et de la vérité des coûts, Bruxelles, tout en divergeant sur les moyens permettant de mettre en oeuvre ces principes, se rapprochant de la position helvétique. En outre, les deux parties se seraient mises d'accord au sujet du libre accès aux infrastructures ferroviaires. Concernant le volet aérien, la partie suisse n'a pu obtenir un assouplissement de la position de l'UE sur la question du droit de cabotage. L'aspect institutionnel des exigences de l'Union a également posé problème, la Suisse n'acceptant pas que ce soit la Cour européenne de justice de Luxembourg qui soit compétente en cas de litige. Il semble néanmoins que sur cette dernière question, la Confédération ait assoupli sa position
[9].
Devant cette impasse, les autorités helvétiques ont tenté de débloquer la situation en proposant de mettre entre parenthèses les questions problématiques, espérant ainsi pouvoir aboutir à un
accord minimal, notamment sur le trafic aérien.
La Commission a rejeté cette demande, estimant qu'en vertu du principe du parallélisme, le domaine des transports ne pouvait être traité indépendamment des autres objets en discussion. A la fin de l'année, il semblait que seule une redéfinition des mandats de négociations respectifs - c'est-à-dire seule une décision politique comprenant du côté helvétique la levée de la limite des 28 tonnes notamment - pouvait relancer les tractations
[10].
La Suisse et l'Autriche ont conclu en juillet un accord sur le trafic routier. Désormais, à l'instar de ce qui est prévu pour les camionneurs européens, le transit de camions suisses sera contingenté à 36 000 véhicules par année. Le surplus de véhicules devra être transféré de la route sur le rail. Cette adaptation de l'accord signé en 1958 avait été rendue nécessaire suite à l'entrée de l'Autriche dans l'UE, les routiers suisses jouissant d'un régime de faveur par rapport à ceux européens
[11].
[7] Les ministres européens ont néanmoins chargé la Commission de procéder à une étude sur les conséquences de l'accord "open sky" sur la marché aérien européen. Ils ont également exigé qu'une clause soit introduite dans le futur accord avec la Suisse afin de permettre à l'UE de rompre ce dernier si la Confédération devait signer un traité avec des pays tiers à même de porter préjudice à l'Union. En fin d'année, la Commission européenne a rendu publiques les conclusions de son étude, estimant que l'accord entre la Suisse et les Etats-Unis n'avait qu'une influence négligeable sur le marché aérien européen et que, par conséquent, il ne devait pas affecter les négociations entre l'UE et la Suisse:
24 Heures, 9.10.95. Voir aussi
APS 1994, p. 149 ss. Au sujet de l'accord "open sky", cf. infra, Trafic aérien.7
[9] A ce sujet, il est à noter que la Commission a publié en fin d'année un livre vert sur le trafic routier. Adhérant au principe de la vérité des coûts, la Commission est favorable à une taxation très différenciée selon le kilométrage parcouru, le lieu (régions périphériques ou ville), l'heure de la journée, le bruit et le degré de pollution du véhicule. Mais cette taxation doit, selon la Commission, couvrir les coûts externes du trafic routier, et non pas, contrairement à ce que prône la politique helvétique, avoir comme objectif principal le transfert de la route au rail. Aussi, elle doit respecter le principe du libre choix du moyen de transport:
24 Heures et
BaZ, 21.12.95;
JdG, 29.12.95.9
[10] Presse des 20.5 et 14.11.95;
BaZ et
JdG, 24.6.95;
SGT, 9.11.95;
LZ et
24 Heures, 8.11.95. Pour une vision globale des négociations bilatérales avec l'UE, cf. supra, part. I, 2 (Europe: EEE et UE).10
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