Année politique Suisse 1995 : Infrastructure, aménagement, environnement / Transports et communications / Chemins de fer
La
controverse concernant la construction d'un ou de deux tunnels ainsi que leur financement s'est poursuivie en 1995. En début d'année, deux événements ont notamment contribué à échauffer les esprits. D'une part, la prise de position du conseiller national zurichois
Blocher (udc) en faveur, pour des raisons financières, de la construction du seul tunnel du Gothard n'a pas manqué de susciter de vives réactions tant de la part du conseiller fédéral Ogi que des cantons bernois et romands
[44]. D'autre part, la
publication d'un rapport commandé à un bureau londonien par le DFTCE a confirmé les craintes de ceux qui, à l'instar du chef des finances O. Stich, doutaient fortement de la rentabilité des NLFA. L'étude des experts anglais a en effet souligné que la rentabilité des transversales alpines reposait sur certaines conditions, dont la réalisation ne pouvait de loin pas être tenue pour garantie. Plus précisément, l'expertise a mis en évidence le fait que, pour avoir une chance de rembourser les prêts en 2070, il serait indispensable d'augmenter de 15% les tarifs du transport ferroviaire et d'accroître, dans la même mesure, les coûts du transport routier afin que le rail conserve sa compétitivité. De plus et surtout, ces hausses devraient être valables à l'échelle européenne - ce qui présuppose une politique de coordination en la matière - afin d'éviter que les transporteurs routiers ne préfèrent contourner la Suisse. En conclusion de leur étude, les experts londoniens ont souligné que si ces conditions devaient ne pas être remplies, les intérêts mêmes des emprunts pourraient être difficiles à rembourser, ce qui signifierait un accroissement incontrôlable de la dette
[45].
Au printemps, face à cette polémique croissante,
le Conseil fédéral - qui depuis l'été 1994 n'avait pu s'exprimer d'une seule voix -
a affirmé sa volonté de réaliser les deux tunnels simultanément, rejetant ainsi l'option d'échelonnement des deux projets défendue par O. Stich au profit de celle chère à A. Ogi. Le gouvernement a justifié sa volonté en faisant référence notamment aux engagements européens de la Suisse, à la nécessité de respecter les choix populaires ainsi qu'aux dangers que la décision de ne construire qu'un seul tunnel ne manquerait pas de faire courir à la cohésion nationale. Sur la question du financement en revanche, le gouvernement a décidé de ne pas soumettre, contrairement à ce qui était prévu, le deuxième crédit d'engagement de huit milliards de francs au parlement, estimant que
l'aspect financier devait être repensé. Prenant acte des conclusions de l'expertise londonienne, il a souligné notamment que le financement des deux NLFA ne devait pas se baser principalement sur des emprunts, mais sur des contributions à fonds perdus provenant de différents impôts indirects. Ces taxes permettraient de financer au fur et à mesure la construction des transversales alpines et diminueraient la charge financière que devront assumer les générations futures. Afin de repenser totalement l'aspect financier, le Conseil fédéral a cependant chargé un groupe de travail, composé des plus hauts fonctionnaires du DFF et du DFTCE, d'élaborer des propositions
[46].
Les membres de ce groupe ont rendu leur rapport à la fin de l'été. Estimant qu'il était indispensable de réduire le coût des NLFA de 18 à 13 milliards de francs (prix 1995) si l'on entendait avoir une chance de les financer, les experts du DFF et du DFTCE ont proposé deux variantes signifiant un redimensionnement conséquent
des projets initiaux. Selon les deux scénarios, seuls les tunnels de base seraient en effet construits, du moins dans un premier temps, sans les voies d'accès ni le raccordement de la Suisse orientale. La première variante, estimée à 11,3 milliards de francs, consisterait à construire simultanément les deux tunnels de base, mais en réduisant le Lötschberg à une seule voie. La seconde variante, d'environ 12,4 milliards de francs, reviendrait à construire le seul tunnel de base du Gothard dans une première étape, renvoyant à plus tard la construction du Lötschberg (sur deux voies), qui ne serait opérationnel qu'en 2015. Dans les deux variantes, la ligne du Gothard - à laquelle s'ajouteraient les tunnels du Monte-Ceneri (TI) et du Zimmerberg (ZH) - absorberait la quasi-totalité du trafic de marchandises, ce qui, selon les estimations des experts, serait à la mesure de ses capacités. Le groupe de travail a justifié le sacrifice du Lötschberg en soulignant que la nécessité de cette transversale n'était pas absolue pour le trafic de marchandises. Au sujet du renoncement aux voies d'accès, les membres du groupe de travail ont estimé que les nouvelles technologies ferroviaires (train à caisson inclinable) apportaient des solutions suffisamment efficaces, notamment du point de vue de la rapidité. Enfin, selon les hauts fonctionnaires des deux départements, la Suisse ne manquerait cependant pas à ses engagements européens, puisque le temps de parcours n'augmenterait pas de plus de dix minutes.
Au sujet du financement,
le groupe de travail a envisagé un plan d'action spécial
qui ne ferait appel à l'emprunt que dans une proportion de 25% (500 millions de francs par an) et serait alimenté par les deux tiers du produit de la future redevance poids lourd liée aux prestations (400 millions de francs par an), par une taxe ferroviaire ponctionnée sur le trafic voyageurs et marchandises (50 millions) ainsi que par une hausse de 10 centimes des droits sur les carburants (600 millions). A ces recettes s'ajouterait, comme prévu dans l'arrêté voté en 1991, une partie du revenu actuel des droits de douanes sur les carburants (450 millions). L'ensemble de ces ponctions ne serait effectué que le temps d'achever les différents projets et servirait également - conformément aux souhaits exprimés par les partis gouvernementaux - à couvrir le financement d'autres infrastructures (Rail 2000, raccordement de la Suisse romande au réseau à grande vitesse, programme antibruit). Pour en accroître l'acceptabilité politique, ces nouvelles taxes alimenteraient en outre le compte routier pour un montant de 300 millions de francs annuels
[47].
Le Conseil fédéral a
mis en consultation les propositions de ce rapport, réaffirmant toutefois sa préférence pour la construction simultanée des deux tunnels. Il a en outre ajouté que les trois nouvelles mesures de financement proposées - à savoir la hausse de 10 centimes sur les carburants, la taxe ferroviaire et le prélèvement des 2/3 du produit de la taxe poids lourd - seraient soumises sous la forme d'un seul article constitutionnel à l'approbation du peuple et des cantons
[48].
Lors de la procédure de consultation, les
réactions n'ont de loin pas été positives. Ainsi, les
cantons romands et bernois ont accueilli assez froidement les propositions du groupe de travail, rejetant catégoriquement la variante consistant à construire prioritairement le tunnel du Gothard ainsi qu'émettant des doutes sur la sécurité et la rentabilité d'un tunnel du Lötschberg sur une seule voie. Les cantons de Suisse orientale ont quant à eux rejeté la proposition de renoncer au raccordement avec leur région. Enfin, ceux de Suisse centrale, de concert avec le Tessin et Zurich, ont exigé que les voies d'accès soient réalisées en même temps que le tunnel de base, même s'il fallait renoncer pour ce faire à toute construction au Lötschberg. Sur la question du financement, les cantons se sont exprimés de manière plus unanime et plus positive, même si certains ont proposé un recours plus massif à l'emprunt ou une hausse de la TVA. Les
associations de défense des utilisateurs de la route ont à l'inverse critiqué principalement le mode de financement. Le Touring Club suisse (TCS), l'Association suisse des transports routiers (ASTAG) et la Fédération routière suisse (FRS) ont rejeté la proposition d'augmenter le prix de l'essence, estimant inadmissible que ce soient les utilisateurs de la route qui financent pour près de 70% les projets ferroviaires. L'ASTAG a réitéré son opposition catégorique au montant de la taxe poids lourd
[49]. L'Association Transport Environnement (ATE) et le Service d'information des transports publics (LITRA) ont en revanche accueilli favorablement les propositions du Conseil fédéral en matière de financement, envisageant même une hausse du prix de l'essence plus importante. Concernant la question des deux variantes, l'ACS, la FRS et l'ATE se sont exprimés en faveur de la construction en priorité du tunnel de base du Gothard, les autres organisations s'abstenant de prendre position sur ce point.
Les partis gouvernementaux ont accueilli de manière globalement positive les propositions du Conseil fédéral, même si les partis bourgeois ont émis quelques réserves sur le mode de financement. Ainsi le parti radical s'est opposé à la hausse du prix de l'essence, du moins tant qu'un fonds d'investissement pour les transports publics ne serait pas créé à l'instar de celui qui existe pour la route. L'UDC et le PDC ont également exprimé le souhait que la solution du financement spécial soit, dans un second temps, abandonnée en faveur d'un fonds pour les transports publics. De plus, conformément à ce qu'ils avaient déclaré lors de la consultation sur la taxe poids lourd liée aux prestations, les partis bourgeois se sont opposés à la version retenue en la matière par le gouvernement. Au sujet des deux variantes à choix, les partis socialiste et radical ont exprimé leur préférence pour la construction simultanée des deux tunnels. Tiraillée entre ses sections bernoise et zurichoise, l'UDC n'a pas voulu s'exprimer à ce sujet, laissant au Conseil fédéral le soin de trancher. Après avoir exprimé sa préférence pour la réalisation en priorité du tunnel du Gothard, le PDC est, quant à lui, revenu sur sa position devant la profonde émotion, voire les menaces de dissidence, exprimées par la section valaisanne.
Ayant renoncé à soumettre au parlement le crédit de 8 milliards de francs nécessaires à la construction proprement dite des tunnels, le Conseil fédéral a proposé cependant d'accorder un
crédit de transition de 855 millions de francs pour les NLFA. Cette somme doit garantir que les travaux préliminaires déjà entrepris puissent continuer sans interruption. De ces 855 millions de francs, seuls 160 millions seront utilisables immédiatement pour la construction des puits d'attaque au Gothard, les 695 autres millions restant bloqués tant que le gouvernement n'aura pas trouvé de solutions satisfaisantes pour le financement global des NLFA
[51].
Le
Conseil des Etats a approuvé à une large majorité ce crédit de transition. Il n'a pas suivi une proposition de renvoi Weber (adi, ZH) qui voulait différer ce crédit jusqu'à ce que le gouvernement propose un concept de financement global et clair. La petite chambre a également rejeté une proposition Loretan (prd, AG) demandant de n'allouer que 210 millions de francs. Elle a en revanche accepté - à l'instigation des députés Piller (ps, FR) et Cavadini (pl, NE) - que 210 millions de francs, et non pas seulement 160 millions, soient immédiatement utilisables par le gouvernement afin que la construction des puits d'attaque puisse commencer également au Lötschberg
[52].
Le
Conseil national a lui aussi adopté ce crédit de transition. Il a suivi la petite Chambre pour que les 210 millions nécessaires à la réalisation des puits d'attaque des deux tunnels soient immédiatement débloqués. La Chambre du peuple a par ailleurs rejeté une proposition de non-entrée en matière Steinemann (pdl, SG) qui voulait enterrer le projet des NLFA. Il a également repoussé une proposition Diener (pe, ZH) de suspendre toute allocation de crédit tant que la question du financement global des transversales alpines n'était pas résolue. Le gouvernement, soutenu par la commission du Conseil national, a en effet convaincu le plénum que ce crédit de transition permettrait uniquement une planification des NLFA et ne préjugeait en rien quant à leur réalisation. Enfin, la grande Chambre a rejeté tant une proposition Diener (pe, ZH) que celle du député vaudois Friderici (pl) qui demandaient de limiter les travaux, la première, au seul Gothard, la seconde, au seul Lötschberg
[53].
Le Conseil national a également transmis un postulat Strahm (ps, BE) priant le gouvernement de prendre des mesures pour que l'
adjudication publique et la passation des mandats concernant les NLFA se fassent de manière à permettre le jeu de la libre concurrence. L'auteur du postulat invite également l'exécutif à examiner les possibilités permettant une gestion rationnelle des risques ainsi que celles concernant l'institution d'une responsabilité solidaire entre les différents fournisseurs par le biais d'un consortium
[54].
[44] Les cantons romands et bernois ont dénoncé - notamment lors d'une manifestation de soutien au Lötschberg qui s'est tenue à Berne et qui a réuni les milieux économiques et politiques des cantons concernés - le fait que cette proposition ne prenne en compte que les intérêts du pôle économique zurichois, négligeant totalement ceux de la Suisse occidentale. Ils ont en outre souligné que, si seules des considérations d'équilibre budgétaire devaient être prises en compte, la construction du Lötschberg s'imposait, son coût étant moins élevé et sa réalisation plus rapide: presse du 4.2.95.44
[45] Presse du 30.1.95;
NQ, 7.2 et 8.2.95 (prise de position de C. Blocher); presse du 8.2.95 (rapport des experts). Voir également
APS 1993, p. 157 et
1994, p. 160. Outre le coût global des NLFA, l'étude londonienne a également analysé la rentabilité des différentes variantes en discussion. Ainsi, elle a estimé que la construction de la seule galerie de base du Gothard, à laquelle s'ajouteraient uniquement dans un second temps les voies d'accès, était la solution la plus économique. Les autres alternatives retenues par l'étude londonienne se classent ainsi (par ordre de coût croissant): la construction simultanée du Gothard et des voies d'accès, la construction du Lötschberg suivie de celle du Gothard, la construction échelonnée inverse des deux axes, la construction simultanée des deux axes.45
[46] Presse des 21.2, 7.3, 12.5 et 13.5.95;
SGT, 28.2.95;
NQ, 28.6.95;
TA, 21.7.95. Sur la question du financement, il est à noter en outre que le parlement a transmis une motion Danioth (pdc, UR) exprimant également la préoccupation que le cumul des intérêts ne rende impossible le remboursement des sommes empruntées pour la construction des NLFA. La motion demande en effet au CF de proposer un nouvel arrêté fédéral concernant le financement des NLFA de manière à permettre que les sommes provenant des droits sur les carburants soient octroyées comme contributions à fonds perdus, et non comme prêts remboursables. Le CN a adopté une motion Schmidhalter (pdc, VS) à contenu similaire:
BO CE, 1995, p. 707 s.;
BO CN, 1995, p. 1824 (Danioth);
BO CN, 1995, p. 1600 et 1824 (Schmidhalter).46
[47] Presse du 26.8.95. Sur la taxe poids lourd liée aux prestations, cf. supra, Trafic routier.47
[48]
NQ, 29.8.95;
Bund, 31.8.95; presse du 14.9.95.48
[49] Selon le lobby routier, une taxe sur la consommation, sous la forme d'une hausse de la TVA ou d'une taxe sur l'énergie fossile, ainsi qu'un recours plus important à l'emprunt seraient préférables:
TA, 15.11.95.49
[51]
FF, 1995, III, p. 229 ss.; presse des 6.4 et 12.4.95.5
[52]
BO CE, 1995, p. 683 ss.;
JdG, 21.6.95.52
[53]
BO CN, 1995, p. 1796 ss.;
FF, 1995, IV, p. 577 s.; presse du 21.9.95.53
[54]
BO CN, 1995, p. 2208.54
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