Année politique Suisse 1996 : Chronique générale / Défense nationale / Défense nationale et société
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Affaire Nyffenegger
Au début de l'année, le procureur de la Confédération, C. del Ponte, et l'auditeur en chef de l'armée, J. van Wijnkoop, ont révélé que des enquêtes pénales avaient été ouvertes contre trois personnes soupçonnées de dispersion d'informations confidentielles et secrètes de l'armée, de délits de corruption et d'abus de patrimoine. Ces trois personnes - un ancien haut gradé de l'armée, le colonel F. Nyffenegger, un directeur d'une société de communication zurichoise, G. Furrer, et un chef d'entreprise lucernois, H. Kronenberg - sont accusées d'avoir commis plusieurs actes délictueux lors des 8 dernières années.
La première affaire - dans laquelle sont impliqués le colonel à la retraite et le directeur zurichois - porte sur la mise sur pied entre 1993 et 1995 d'un CD-Rom destiné aux officiers de l'état-major et comprenant de nombreuses informations confidentielles et top secrètes sur l'armée (conduite de la mobilisation, emplacement des ouvrages minés, dépôts de munitions, plan de bataille). Lors de la réalisation de ce projet confiée par F. Nyffenegger à l'entreprise du dirigeant zurichois, les deux hommes n'auraient pas respecté les normes de sécurité en matière de protection de l'information. Notamment, l'élaboration du CD-Rom n'aurait pas eu lieu dans les locaux du DMF, mais au sein de l'entreprise zurichoise, à la merci de regards indiscrets. Le colonel Nyffenegger aurait pour sa part détenu sans autre mesure de sécurité des exemplaires du CD-Rom à son domicile. Les enquêteurs ont également constaté la disparition de trois de ces CD-Rom. Des soupçons de corruption pèsent par ailleurs sur les deux hommes, les investigations policières ayant révélé que G. Furrer avait versé quelque 12 000 francs sur le compte du colonel à la retraite. Ce versement aurait été effectué par l'entrepreneur afin de décrocher le mandat concernant la réalisation du CD-Rom.
La deuxième et la troisième affaires portent respectivement sur les festivités mises sur pied par le DMF en 1989 pour célébrer les 50 ans de la mobilisation générale (opération Diamant) et sur une exposition de matériel didactique (Didacta) organisée à Bâle en 1988. Dans ces deux affaires, dans lesquelles l'homme d'affaires bâlois serait également impliqué, les enquêteurs ont découvert au domicile des trois accusés du matériel (télévisions, magnétoscopes, meubles de bureau) acheté par le DMF pour ces manifestations et que les trois hommes se seraient approprié illégalement. Les investigations ont en outre révélé que le colonel avait reçu, dans le cadre de l'organisation de ces deux manifestations également, de substantielles sommes d'argent (quelque 120 000 francs) de la part des deux hommes. Pour le ministère public, ces versements pourraient être liés - du moins en ce qui concerne le dirigeant de la société zurichoise - avec le fait que ce dernier ait organisé l'aspect communication de l'opération Diamant [11].
A la suite de l'ouverture de ces procédures pénales, trois enquêtes portant sur des aspects administratifs et militaires furent ouvertes parallèlement. La première - menée par le chef de l'état-major général A. Liener sur demande du chef du DMF - devait déterminer si l'aide mémoire électronique avait pu, en raison de l'absence de mesures de sécurité, tomber dans les mains des services d'espionnage étrangers. Rendant ses conclusions, le chef de l'état-major général n'a pu écarter avec certitude une telle éventualité. A Liener a souligné que si tel était le cas, le préjudice pour la sécurité du pays serait non négligeable, les informations contenues dans le CD-Rom procurant alors à l'adversaire des avantages importants du point de vue du temps et des moyens à utiliser. Le plus haut gradé de l'armée suisse a tenu cependant à relativiser les conséquences d'une telle éventualité dans la mesure où les changements permanents que connaît l'organisation militaire - et notamment la très prochaine réorganisation totale de la mobilisation - rendent caduques de nombreuses informations contenues dans le CD-Rom.
Les deux autres enquêtes furent menées l'une par une délégation des commissions de gestion des deux chambres, l'autre par l'ancien préposé aux fiches R. Bacher, ce dernier ayant été chargé par A. Ogi de mettre en lumière les dysfonctionnements au sein du DMF à l'origine de cette situation. Parvenant à des conclusions dans l'ensemble similaires, les deux rapports ont dénoncé l'absence de contrôle et de surveillance auxquels aurait dû être soumis le colonel Nyffenegger. En ce qui concerne plus particulièrement l'opération Diamant, tant R. Bacher que les parlementaires ont souligné que la totale liberté dont avait bénéficié l'officier avait sans doute été à l'origine d'un dépassement de budget s'élevant à près de 100%. Les principaux responsables de cet état de fait seraient, outre F. Nyffenegger, le chef de l'instruction de l'époque, R. Binder, ainsi que le secrétaire général du DMF, H.-U. Ernst, lesquels auraient failli à leur devoir de surveillance. Les deux enquêtes ont également critiqué la totale opacité des opérations financières réalisées lors de la commémoration de la mobilisation.
En ce qui concerne l'affaire portant sur l'aide mémoire électronique, l'enquête administrative commandée par A. Ogi ainsi que celle parlementaire ont relevé à nouveau que s'il était vraisemblable, sous réserve des conclusions de l'enquête pénale, que le colonel Nyffenegger avait eu des comportements répréhensibles, ces derniers seraient avant tout la conséquence d'un système de gestion et d'organisation inefficace. Dans cette affaire également, le colonel Nyffenegger n'aurait été soumis à aucune surveillance. Les mesures tant informatiques qu'organisationnelles pour garantir le caractère secret des informations contenues dans le CD-Rom auraient été en outre amplement insuffisantes, la délégation parlementaire relevant par exemple que le CD-Rom pouvait être facilement lu et copié à partir d'un logiciel standard. Les principaux responsables de cette situation seraient le supérieur hiérarchique direct de F. Nyffenegger, le brigadier P. Meyer, et, en premier lieu, le chef de l'état-major général, A. Liener. Selon les termes des deux rapports, ce dernier porte la responsabilité finale des différents dysfonctionnements, le chef de l'armée ayant gravement manqué à son devoir de surveillance [13].
A la suite de ces différents enquêtes, le DMF a annoncé une série de mesures de réorganisation. L'Office central pour la protection et la sécurité - organe chargé au sein du DMF de la protection des informations sensibles et dont le manque d'effectifs avait été décrié par les conclusions des différentes investigations - sera notamment mieux doté en personnel et réorganisé. Il bénéficiera également de plus de compétences en matière de directives et de contrôle. Des responsables pour la sécurité des informations seront en outre nommés dans les quatre groupements du DMF [14].
Le Conseil national a pour sa part rejeté un postulat Alder (ps, SG) invitant le gouvernement à présenter un rapport sur les moyens de contrôle de l'armée en vigueur dans les pays européens ainsi que sur les éventuelles mesures à prendre en vue d'améliorer la surveillance des forces militaires par les autorités civiles. La majorité de la grande chambre a en effet estimé qu'un tel rapport était inutile et dépassé alors que de nouvelles structures étaient sur le point d'être mises en place [15].
 
[11] Presse du 27.1 au 5.2.96 et des 16.2, 20.2, 21.2 et 12.4.96; NQ, 29.7.96. En ce qui concerne l'affaire du CD-Rom, il est par ailleurs à noter que le juge d'instruction militaire a élargi à quatre autres personnes l'inculpation pour violation des prescriptions de sécurité en matière d'informations militaires. Les quatre nouveaux inculpés sont le brigadier P. Meyer, supérieur hiérarchique direct de F. Nyffenegger, un fonctionnaire du Groupement de l'Armement, un employé de l'entreprise zurichoise de communication ainsi que l'ancien directeur de l'entreprise vaudoise chargé de l'impression du CD-Rom: JdG, 29.6.96; NQ, 1.7.96.11
[13] Presse des 31.8 (enquête Bacher) et 15.11.96 (enquête parlementaire). Le CN a par ailleurs décidé de ne pas donner suite à une initiative parlementaire Chiffelle (ps, VD) demandant qu'une commission d'enquête parlementaire (CEP) soit mise sur pied pour mettre en lumière les tenants et les aboutissants de ces différentes affaires. A l'exception des députés socialistes et écologistes, les CN n'ont pas partagé les préoccupations exprimées par l'initiant: ils ont estimé suffisants les moyens à la disposition des commissions de gestion: BO CN, 1996, p. 1474 ss.13
[14] JdG et NZZ, 19.10.96. Au sujet d'autres conséquences de l'affaire Nyffenegger, cf. infra, Nominations.14
[15] BO CN, 1996, p. 1443 ss.15