Année politique Suisse 1996 : Economie / Agriculture / Production animale
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Lait
Ayant été chargée par les deux chambres - suite aux révélations des services antifraude de l'Union européenne - de procéder à ses propres investigations sur les pratiques d'exportation de l'USF, une délégation des commissions des finances (CdF) et de gestion (CdG) du parlement a rendu son rapport au printemps. Confirmant les accusations des autorités européennes, le document rendu public a révélé que depuis les années septante, l'organisation para-étatique avait eu recours à des pratiques illégales afin d'exporter en plus grande quantité certains fromages helvétiques (gruyère, sbrinz et emmental). Face à la taxation très importante qui frappait toute exportation vendue au-dessous d'un prix minimal fixé par l'UE, l'organisation fromagère a en effet vendu jusqu'en 1995 à des grossistes européens sa production à des prix qui respectaient apparemment le prix plancher, mais qui, en réalité, étaient bien en deçà dans la mesure où l'USF versait après coup à ses clients de substantielles ristournes. Selon la sous-commission, cette pratique - qui se fondait uniquement sur une convention orale entre un fondé de pouvoir de l'organisation et un employé subalterne de la Commission européenne - aurait concerné quelque 18 000 tonnes de fromage exportées lors des dix dernières années. La fraude en termes de droits de douane non payés s'élèverait à 27 millions de francs. A lui seul, un importateur italien aurait reçu, sous forme de ristournes, pas moins de 40 millions de francs de 1987 à 1995.
Qualifiant ces agissements de "douteux" et d'"inhabituels", la sous-commission a attribué ces carences avant tout à la politique laitière de la Confédération: cette dernière conduisant à une production nettement excédentaire, l'USF aurait en effet été réduite à utiliser de tels expédients pour écouler ses stocks. Le rapport souligne cependant que le directeur et le président de l'organisation de l'époque ainsi que les représentants de l'OFAG et du DFF siégeant au conseil d'administration avaient manqué à leur devoir de diligence. Réagissant à ce rapport, le président et le directeur en charge ont salué son contenu, estimant important que toute la lumière soit faite sur de telles pratiques. Ils ont déclaré par ailleurs ne pas se sentir concernés par les critiques contenues dans le rapport, les faits en question étant antérieurs à leur entrée en fonction [20].
Lors de sa session d'automne, le Conseil national a pris acte du rapport de la sous-commission. Ayant en outre à se prononcer sur une motion minoritaire de la CdF invitant le gouvernement à diminuer de 450 à 370 millions de francs la contribution fédérale au déficit de l'USF, la majorité bourgeoise de la grande chambre a en revanche estimé qu'une telle mesure ne pourrait se faire qu'au détriment des producteurs laitiers, qui n'étaient nullement responsables des faits incriminés. Les conseillers nationaux ont par ailleurs également rejeté une seconde motion minoritaire de la commission visant notamment à adapter les contingents laitiers à la demande effective. A son tour, le Conseil des Etats a pris acte du rapport. A la différence de la chambre du peuple, il a transmis un postulat de la CdF et de la CdG invitant le gouvernement à diminuer de 370 millions de francs l'aide fédérale à l'organisation fromagère [21].
S'étant également saisi de l'affaire dès 1995, le procureur de la Confédération C. del Ponte a pour sa part ordonné - suite aux aveux de l'importateur italien susmentionné - l'arrestation de l'ancien cadre de l'USF à l'origine de la pratique frauduleuse. Ce dernier est soupçonné non seulement d'avoir mis sur pied l'ensemble du système, mais également d'avoir reçu de la part du négociant transalpin quelque 350 000 francs à titre de cadeau. A ces égards, l'ancien dirigeant de l'organisation fromagère est présumé coupable de faux dans les titres, d'abus de confiance et de corruption (active et passive) [22].
Il est à relever que d'autres motions et postulats relatifs à l'USF ont été adoptés par le parlement. C'est ainsi que les deux chambres ont transmis un postulat de leurs CdF et CdG respectives invitant le gouvernement à examiner une séparation de droit et de fait de l'organisation fromagère et de Fromages Suisses SA. Selon les postulants, il s'agit ainsi d'éviter que l'USF ne favorise les membres de l'entreprise d'exportation récemment créée aux dépens des exportateurs indépendants. Le Conseil des Etats a en outre transmis comme postulat une motion de la commission de l'économie et des redevances de la grande chambre enjoignant le gouvernement de liquider l'USF et de supprimer le système des prix et des marges garantis par l'Etat. Selon les sénateurs, si les propositions de la motion allaient dans le sens désiré, il était judicieux néanmoins de laisser une certaine marge de manoeuvre au gouvernement, eu égard notamment aux résultats de la consultation de la réforme "Politique agricole 2002" [23].
Comme annoncé en 1995, le Conseil fédéral a abaissé de 10 centimes le prix du lait, portant celui-ci de 97 à 87 centimes. Il a cependant repoussé d'un mois l'entrée en vigueur de la mesure afin d'en atténuer les conséquences sur le revenu paysan [24].
 
[20] FF, 1996, IV, p. 484 ss.; presse du 22.5.96. Voir aussi APS 1995, p. 132. La sous-commission ayant en outre invité le gouvernement à procéder à une enquête administrative, le CF a nommé l'ancien procureur de la Confédération, H. Walder, pour mener à bien cette tâche. Celui-ci a rendu en fin d'année son rapport. Selon l'ancien magistrat, les fonctionnaires du DFF et du DFEP siégeant au conseil d'administration de l'USP auraient bel et bien consenti à ces exportations irrégulières. Cependant, aucun n'aurait tiré un avantage personnel de telles pratiques. Estimant qu'aucune mesure disciplinaire ne s'imposait, H. Walder a par ailleurs dénoncé le flou des directives auxquelles étaient soumis ces fonctionnaires: presse du 23.11.96.20
[21] BO CN, 1996, p. 1357 ss.; BO CE, 1996, p. 652 ss.; presse du 18.9.96; NQ, 19.9.96.21
[22] Presse du 4.6.96; NQ, 5.6.96.22
[23] BO CN, 1996, p. 1371; BO CE, 1996, p. 3 ss. (CER) et p. 658 (CdF/CdG). Voir aussi APS 1995, p. 132.23
[24] NZZ, 18.1.96; SZ, 20.2.96. Voir aussi APS 1995, p. 131. Le parlement par ailleurs pris acte sans y donner suite d'une pétition demandant que les droits de douane sur les produits de substitution au beurre - tels que les huiles comestibles et la margarine - soient supprimés: BO CE, 1996, p. 266; BO CN, 1996, p. 1176 s.24