Année politique Suisse 1996 : Infrastructure, aménagement, environnement / Transports et communications / Chemins de fer
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NLFA et autres infrastructures ferroviaires
Alors que le Conseil fédéral avait annoncé qu'il entendait rendre sa décision définitive concernant les NLFA ainsi que les autres projets d'infrastructures ferroviaires pour fin janvier, les partis gouvernementaux ont convaincu le gouvernement de repousser celle-ci au mois d'avril. Doutant que le projet gouvernemental présenté en 1995 soit à même de réunir une majorité parlementaire et populaire, les quatre partis ont en effet tenu à mettre sur pied un groupe de travail chargé d'élaborer, du point de vue financier notamment, une proposition plus réaliste politiquement [33].
Composé de deux représentants de chaque parti gouvernemental ainsi que de hauts fonctionnaires du DFTEC et du DFF, le groupe de réflexion a rendu son rapport au mois de mars. Prônant à l'instar du gouvernement la construction simultanée des deux transversales (avec un tunnel du Lötschberg à une seule voie), les représentants des partis gouvernementaux se sont en revanche radicalement distancés des intentions de l'exécutif en ce qui concerne leur financement. Alors que le gouvernement avait laissé entendre qu'il pourrait renoncer - devant l'opposition des milieux économiques - à financer les grands travaux par la future redevance poids lourd liée aux prestations et la remplacer par un impôt sur l'huile de chauffage et le gaz, le groupe interparti a en effet proposé de puiser les ressources financières nécessaires essentiellement dans le produit de la nouvelle taxe. Selon les termes du rapport, une telle solution serait réalisable et supportable pour les milieux routiers à condition notamment de lever l'interdiction des 40 tonnes. En effet, le gain de productivité engendré par cette mesure permettrait de percevoir une taxe poids lourd d'un montant suffisamment élevé (1,64 centime par kilomètre pour un 40 tonnes) pour réunir, sans asphyxier les transporteurs routiers, les fonds nécessaires (3 milliards de francs) au financement des différentes infrastructures, au désendettement des CFF ainsi qu'au subventionnement du transport de marchandises. Outre de répondre à une exigence incontournable de l'UE, cette solution aurait par ailleurs comme mérite d'éviter la hausse du prix de l'essence de 10 centimes proposée par le gouvernement, mesure dont l'impopularité risquait de faire capoter l'ensemble du projet de financement. Examinant la proposition, l'administration fédérale a estimé celle-ci intéressante. Ayant procédé à ses propres calculs, elle a cependant relevé que le montant de 3 milliards de francs de recettes avancé par le groupe de réflexion était amplement exagéré. Selon les experts fédéraux, dans la mesure où une grande partie des camions aurait un tonnage inférieur à 40 tonnes, le montant de la taxe poids lourd serait en moyenne beaucoup plus bas que celui avancé et, par conséquent, la recette finale nettement inférieure. Celle-ci permettrait de financer uniquement la réalisation des infrastructures ferroviaires, mais serait loin d'être suffisante pour désendetter les CFF ou rendre le rail plus attractif [34].
Au mois d'avril, le Conseil fédéral a fait part de son projet définitif conformément au calendrier convenu avec les partis gouvernementaux. A l'instar de ce qui avait été annoncé en 1995, celui-ci prévoit la construction simultanée des deux transversales sans les voies d'accès. Le tunnel du Lötschberg sera construit sur deux voies, mais seule une sera en fonction, la seconde galerie servant de voie d'entretien et de secours. En ce qui concerne l'axe du Gothard, le gouvernement a également renoncé à la construction du tunnel du Hirzel (ZH et ZG) reliant la Suisse orientale à la future transversale. Pour justifier la décision de construire simultanément les deux NLFA, le Conseil fédéral a souligné que la solution retenue offrait le plus de garanties du point de vue de la fluidité du trafic et intégrait au mieux la Suisse dans le réseau européen. Il fut également relevé que la construction de deux tunnels diminuait les risques de retard du aux procédures et aux aléas de la construction. Enfin, le gouvernement a laissé entendre que le souci de garantir la cohésion nationale du pays - passablement mise à mal par la décision de Swissair de rapatrier sur Zurich la plupart de ses vols long-courriers (cf. infra) - n'était pas étranger au choix de construire également le Lötschberg.
Au sujet du financement des transversales alpines et des autres infrastructures ferroviaires, le projet soumis au parlement prévoit que les différents travaux seront financés pour 25% par l'emprunt et pour 75% par trois types de recettes fiscales spéciales: hausse de 10 centimes du prix de l'essence (recette annuelle: 600 millions de francs), prélèvement de 25% sur le revenu actuel des droits d'entrée sur les carburants (320 millions) et taxe poids lourd actuelle (360 millions). Cette dernière sera vraisemblablement doublée, avant d'être remplacée dès 2001 par la taxe poids lourd liée aux prestations. L'ensemble de ces sources financières sera perçu jusqu'en 2017 et devrait permettre de couvrir le coût de 30,4 milliards de francs devisé pour les différentes infrastructures (Gothard: 9,7 milliards; Lötschberg: 3,8 milliards; Rail 2000: 13,4 milliards; lutte contre le bruit: 2,3 milliards; raccordement TGV: 1,2 milliard). Ces recettes ne suffisant pas jusqu'en 2008 à couvrir les besoins de financement, il sera cependant nécessaire de puiser des avances importantes (jusqu'à 530 millions par an) dans la caisse fédérale. Celles-ci seront remboursées ultérieurement par le produit des différents impôts. Défendant son plan de financement, le gouvernement a estimé qu'il avait choisi une solution équilibrée, réaliste et susceptible de réunir une majorité parlementaire et populaire. Au sujet des propositions du groupe de travail interparti, le Conseil fédéral a notamment relevé que le montant de la taxe poids lourd kilométrique préconisé était trop important pour être accepté par l'Union européenne. L'exécutif a cependant reconnu que l'effort de réflexion des partis gouvernementaux lui avait permis de réintroduire dans son projet la taxe poids lourd kilométrique comme source de financement.
Les réactions au projet gouvernemental furent multiples. Alors que les principaux partis ainsi que les cantons romands et celui de Berne saluaient la décision du Conseil fédéral de ne pas sacrifier le Lötschberg, les cantons partisans du Gothard ont très vivement regretté que les voies d'accès ne soient pas construites. Principaux concernés, les cantons du Tessin et d'Uri ont fait savoir que la charge pour l'environnement et pour les populations riveraines du tracé serait intolérable sans de tels aménagements [36]. Autres insatisfaits du projet gouvernemental, les cantons de Suisse orientale ont réclamé la construction du tunnel du Hirzel. Selon ces cantons, les sacrifices n'étaient pas équitablement répartis, le projet proposé faisant la part beaucoup trop belle à la Suisse occidentale.
En ce qui concerne le mode de financement prévu, les critiques furent le fait principalement des partis bourgeois ainsi que du lobby routier. Le reproche principal adressé aux propositions gouvernementales tenait au fait que ces dernières faisaient porter le coût des NLFA à raison de 75% sur le dos des usagers de la route. A titre de financement alternatif, le PRD, le PL ainsi que la FRS ont proposé qu'un fonds d'investissement pour les transports publics - calqué sur le principe du compte routier et alimenté de manière plus équitable par les différents secteurs de l'économie - soit mis sur pied en lieu et place du financement spécial cher au Conseil fédéral. Unanimes à rejeter toute velléité d'alimenter ce fonds par le biais de la taxe poids lourd, le PRD, le PL et la FRS ont cependant divergé sur la façon de remplacer cette dernière. Alors que les radicaux souhaitaient alimenter ce fonds par une hausse de 1% de la TVA ainsi que par une taxe de 10 centimes sur le prix de l'essence, les libéraux et l'organisation faîtière des défenseurs des usagers de la route ont exprimé leur préférence pour un impôt énergétique frappant l'essence, l'huile de chauffage, l'électricité et le gaz. Pas totalement opposé à la future taxe poids lourd, le PDC a pour sa part insisté pour que l'on examine plus attentivement les possibilités d'ouvrir à des capitaux privés le financement des NLFA.
Peu avant la session d'hiver du parlement, la commission des transports et des télécommunications (CTT) du Conseil des Etats a fait part de ses propositions. Estimant le projet du gouvernement trop coûteux et peu susceptible de réunir une majorité parlementaire et populaire, les membres de la commission ont proposé de construire dans un premier temps le seul axe du Gothard. Le Lötschberg pourrait certes être construit ultérieurement si les impératifs du trafic et la réalisation des objectifs de l'initiative des Alpes le rendaient indispensable. Une décision favorable du parlement suffirait alors sans que le peuple ait à être consulté, le projet de financement de la commission comprenant les 3,5 milliards de francs nécessaires à la réalisation du Lötschberg. Au chapitre du financement, la commission a également apporté quelques modifications - de moindre importance - au projet du gouvernement. Tout en souscrivant à l'augmentation du prix de l'essence de 10 centimes, elle a en effet réservé la possibilité d'opérer un augmentation moins conséquente. Elle s'est en outre opposé au doublement de la taxe poids lourd forfaitaire et a ramené des deux tiers à la moitié la part de la future redevance kilométrique affectée au financement des différentes infrastructures ferroviaires [38].
Au Conseil des Etats, la discussion au sujet des différents tracés et du mode de financement ne fut pas moins animée et confuse qu'elle ne l'avait été par médias interposés en dehors de l'arène parlementaire. Lors du débat d'entrée en matière, différentes propositions de renvoi au gouvernement ou à la commission, voire de non entrée en matière, furent rejetées par la majorité des sénateurs. L'une d'entre elles, celle du radical Schoch (AR), exigeait de reprendre toute l'affaire à zéro et de soumettre à l'approbation populaire un nouvel article sur le transit alpin limité à un seul axe. Une autre, celle de l'argovien Reimann (udc), proposait le renvoi au Conseil fédéral afin que ce dernier prenne connaissance des priorités de l'Union européenne et choisisse à bon escient l'axe qui devait être construit. Ayant été convaincus par l'argumentation du chef du DFTCE quant aux risques de voir le dossier s'enliser définitivement suite à de tels renvois, les conseillers aux Etats avaient encore à se prononcer sur les différentes modalités de tracés et de financement qui leur étaient proposées. Outre le projet du gouvernement et celui de la CTT, une proposition du bernois Zimmerli (udc) de construire en priorité l'axe du Lötschberg était soumis à l'approbation des sénateurs. Ecartant en premier lieu la variante favorable au Lötschberg, les sénateurs ont opté finalement, non sans surprise, pour le projet du Conseil fédéral. Une extrêmement courte majorité des conseillers aux Etats a en effet estimé que construire simultanément les deux axes était nécessaire si l'on entendait que le projet passe devant le peuple et les cantons. Il fut également souligné que le Lötschberg devrait vraisemblablement connaître moins de problèmes géologiques que le Gothard, ceci garantissant que les engagements européens de la Suisse soient honorés dans les temps.
Suite à ce vote de soutien à la variante en réseau chère à l'exécutif, la petite chambre a cependant tenu à apporter des modifications importantes. Les sénateurs ont en effet décidé d'ajouter dans le projet tant le raccordement de la Suisse orientale - sur proposition d'une minorité de la commission emmenée par le thurgovien Onken (ps) - que les voies d'accès sur l'axe du Gothard - à l'invitation des conseillers aux Etats uranais et tessinois. Le conseiller fédéral Leuenberger ainsi que le président de la commission W. Loretan (prd, AG) se sont vivement opposés à ces modifications, ne manquant pas de relever qu'elles signifiaient faire table rase de tous les efforts entrepris depuis quatre ans pour redimensionner les NLFA et réduire leurs coûts.
Au chapitre du financement, les sénateurs ont rejeté les différentes propositions faites par la commission à l'encontre de la taxe poids lourd (actuelle et future). Conformément au projet du gouvernement et pour des raisons financières, la majorité de la petite chambre a en effet tenu à ce que la taxe poids lourd forfaitaire soit bel et bien doublée et que l'on affecte non pas la moitié mais les deux tiers du produit de la future taxe kilométrique à la réalisation des différentes infrastructures ferroviaires. Elle a en revanche suivi la commission au sujet de la possibilité de percevoir les différents impôts au maximum 5 ans après 2017, et non pas - à l'instar de ce que désirait le gouvernement - tant que les travaux ne seraient pas achevés.
A la fin des débats, les sénateurs Frick (pdc, SZ) et Loretan (prd, AG) ont proposé de renvoyer l'ensemble du projet respectivement à la commission et au Conseil fédéral. Les deux représentants bourgeois estimaient en effet que le Conseil des Etats avait failli totalement à la tâche, ce dernier ayant renchéri de plus de 4 milliards de francs le projet par l'ajout des voies d'accès et du raccordement de la Suisse orientale. Nombreux à penser que l'exercice n'avait pas été réussi, les sénateurs ont cependant préféré transmettre le projet en l'état au Conseil national, afin d'éviter des retards trop importants et dans l'espoir que la chambre du peuple apporte les corrections nécessaires [39].
Le Conseil fédéral a par ailleurs demandé au parlement de libérer la deuxième tranche du crédit concernant les travaux préparatoires au Lötschberg et au Gothard. Selon l'arrêté adopté en 1995 par le parlement, l'exécutif n'était autorisé à utiliser le montant de 645 millions de francs qu'une fois le financement global des NLFA assuré. Ce dernier tardant à être garanti et les 210 millions débloqués en 1995 ne suffisant plus pour poursuivre les attaques intermédiaires des deux galeries, le gouvernement s'est dès lors vu obligé de demander aux deux chambres de revenir sur leur décision et de débloquer les sommes concernées. Selon le Conseil fédéral, l'arrêt des travaux entraînerait un gaspillage important de ressources financières et de savoir-faire. En outre, l'arrêt du percement des puits intermédiaires signifierait un retard sur le projet d'ensemble d'environ 12 mois.
Le gouvernement a également transmis son message relatif à la convention bilatérale passée avec l'Allemagne. Cet accord vise à garantir que les lignes d'accès aux NLFA sur territoire allemand permettent une utilisation optimale des transversales helvétiques. La convention prévoit notamment d'accroître la capacité de la ligne Karlsruhe-Offenbourg-Bâle - principal accès nord aux NLFA - ainsi que de réduire le temps de parcours des lignes Stuttgart-Zurich et Munich-Zurich [41].
 
[33] Presse du 10.1.96; Lib., 18.1.96; NQ, 28.1.96. Voir également APS 1995, p. 179 ss.33
[34] Presse des 5.5, 15.3 et 26.3.96. Au sujet du financement des NLFA, il est à relever également qu'une initiative populaire "pour le financement d'infrastructures lourdes et durables" a été lancée au mois d'avril par un groupe de particuliers. Visant à éviter tout emprunt ou impôt supplémentaires, l'initiative prévoit d'utiliser les importantes réserves latentes d'or de la Banque nationale pour financer les différentes infrastructures: FF, 1996, II, p. 270 s.; NQ, 12.4.96; JdG, 16.4.96; 24 Heures, 17.4.96.34
[36] Afin de convaincre le CF de ne pas remettre à un futur incertain la construction des rampes d'accès sur la partie tessinoise de l'axe du Gothard, le canton du Tessin a proposé au CF de participer à leur réalisation pour un montant de 300 à 400 millions de francs. Ce montant permettrait de couvrir les intérêts de l'emprunt nécessaire à un tel investissement. Le ministre des transports a refusé de l'intégrer dans son projet: presse des 6.5 et 17.5.96; 24 Heures, 10.5.96; NZZ, 28.5.96.36
[38] Presse du 23.11.96.38
[39] BO CN, 1996, p. 1051 ss., 1083 ss. et 1112 ss.39
[41] FF, 1996, III, p. 392 ss.; presse du 7.9.96. Exprimant également ce souci de garantir une utilisation optimale des NLFA, le CN a par ailleurs transmis un postulat Strahm (ps, BE) invitant le CF à négocier avec l'UE un protocole à l'Accord de transit afin de définir un calendrier contraignant quant aux étapes de l'aménagement de la partie sud du Simplon par les chemins de fer italiens. Le CE a pour sa part rejeté un postulat Schüle (prd, SH) demandant également de négocier un avenant à l'Accord de transit. Le postulant souhaitait lui aussi que l'UE s'engage formellement à une utilisation des NLFA à même de rentabiliser le capital investi: BO CN, 1996, p. 592 s. (Strahm); BO CE, 1996, p. 161 (Schüle).41