Année politique Suisse 1996 : Infrastructure, aménagement, environnement / Transports et communications
 
Trafic aérien
Au mois d'avril, la compagnie aérienne Swissair a fait part de sa décision de concentrer sur Zurich par souci d'économies quelque 13 vols intercontinentaux sur les quinze desservant jusqu'alors l'aéroport de Genève-Cointrin. Touchant les liaisons avec l'Afrique, le Moyen- et l'Extrême-Orient (Tel-Aviv, Le Caire et Séoul) ainsi que certains vols avec l'Amérique du Nord (Montréal et Los Angeles), cette décision n'a pas manqué de susciter des réactions extrêmement véhémentes en Suisse romande. Les différents gouvernements cantonaux ainsi que la quasi-totalité des médias (radio et télévision publiques comprises) ont en effet dénoncé ce qui leur paraissait être une décision injustifiée qui mettait en péril tant la compétitivité économique de la Suisse romande que la cohésion du pays tout entier. Relevant que ce rapatriement des vols était l'expression d'une tendance plus générale de concentration des activités économiques dans la métropole zurichoise, les autorités politiques et les médias romands ont également souligné que cette mesure aurait certainement des conséquences très néfastes pour la Genève internationale, laquelle avait d'ores et déjà de grandes difficultés à attirer de nouvelles organisations, voire même à maintenir celles se trouvant sur son territoire.
Affectés au premier chef par la mesure, la direction de l'aéroport de Cointrin et le Conseil d'Etat genevois ont pour leur part réclamé une libéralisation du ciel genevois: faisant valoir que Swissair se comportait désormais uniquement d'après les critères de rentabilité propres à l'économie de marché et que la compagnie ne pouvait plus, par conséquent, se prévaloir du monopole que lui conférait la loi sur la navigation aérienne, l'exécutif genevois et les dirigeants de l'aéroport ont exigé du Conseil fédéral qu'il procède aux modifications légales nécessaires et permette ainsi à des compagnies helvétiques de reprendre les vols délaissés par Swissair. Ils ont également demandé que l'Office fédéral de l'aviation civile (OFAC) accorde aux sociétés aériennes étrangères la 5e liberté, c'est-à-dire la possibilité pour une compagnie étrangère d'embarquer des passagers lors d'escale sur territoire helvétique.
Répondant aux vives critiques qui lui avaient été adressées, la direction de Swissair a fait savoir qu'elle ne reviendrait en aucun cas sur sa décision. Selon P. Brüggisser, nouveau dirigeant de l'entreprise, il en allait de la survie de la compagnie, les vols supprimés étant tous nettement déficitaires. Le patron de la société aérienne s'est par ailleurs dit surpris par la virulence des réactions: selon le nouveau directeur, les conséquences pour la Suisse romande étaient mineures dans la mesure où la suppression des lignes en question ne portait que sur 3% de l'ensemble du trafic voyageurs de l'aéroport de Cointrin. Dénonçant la partialité des médias romands, P. Brüggisser a en outre souligné que Genève conservait les liaisons qui étaient les plus importantes pour elle, à savoir les vols long-courriers avec Washington et New York. Il a ajouté qu'une navette entre Genève et Zurich permettra aux usagers de Cointrin de profiter d'excellentes correspondances avec les vols intercontinentaux en partance de Kloten.
Face à l'ampleur de l'émotion suscitée par la mesure et soucieux des conséquences que cette dernière pourrait avoir pour la cohésion nationale ainsi que pour l'économie romande, le Conseil fédéral a demandé, dans un premier temps, aux dirigeants de l'entreprise de faire de nouvelles propositions plus acceptables pour la partie francophone du pays. Swissair laissant entendre principalement qu'elle pourrait inciter ses partenaires - Sabena notamment - à faire escale à Genève lors de ses vols sur l'Afrique, le gouvernement a estimé la nouvelle offre insuffisante et trop peu engageante pour la compagnie. Aussi, prenant acte que la concurrence internationale interdisait à Swissair de revenir sur sa décision et concluant également que désormais les intérêts de la société aérienne ne correspondaient plus avec ceux régionaux et nationaux, l'exécutif a annoncé sa décision d'accélérer sa politique de libéralisation du trafic aérien. D'une part, consigne a été donnée à l'OFAC d'être à l'avenir beaucoup plus souple à l'égard des compagnies étrangères désirant bénéficier de la 5e liberté: à l'exception des compagnies européennes, l'office compétent ne devra notamment plus exiger une stricte réciprocité de la part du pays dont est originaire l'entreprise requérante, mais pourra se contenter de contreparties moins importantes (augmentation du nombre de vols autorisé entre les deux pays ou encore augmentation de la taille des avions). D'autre part et surtout, le gouvernement a décidé de réviser la loi sur la navigation aérienne et de supprimer notamment le monopole dont a bénéficié jusqu'alors la compagnie nationale. Cette modification de la loi - à laquelle, selon le gouvernement, la Confédération aurait été tôt ou tard contrainte vu l'évolution au sein de l'UE - signifiera que des sociétés helvétiques pourront librement offrir leurs services sur le marché aérien.
De part et d'autre, la décision des autorités de libéraliser l'espace aérien national fut bien accueillie et contribua notablement à calmer les esprits. Du côté romand, on considéra que les mesures gouvernementales reprenaient sur toute la ligne les revendications exprimées et qu'elles inciteraient nombre d'entreprises de transports aériens à proposer des vols intercontinentaux au départ de Genève. Du côté de la direction de Swissair, le plan de l'exécutif fut également salué, les dirigeants de la compagnie soulignant que l'exécutif n'avait pas opté pour une libéralisation totale du trafic [68].
Au mois de décembre, le Conseil fédéral a mis en consultation le projet de révision partielle de la loi sur la navigation aérienne. Selon les propositions gouvernementales, la libéralisation du trafic ne devrait concerner que des compagnies dont la majorité du capital est en mains helvétiques: des sociétés étrangères pourraient bénéficier de cette libéralisation uniquement à condition qu'aucun intérêt national essentiel ne s'y oppose. Jusqu'à l'expiration en 2008 de la concession accordée à Swissair, les compagnies suisses ne pourront par ailleurs exploiter que les lignes sur lesquelles Swissair est absente. Les autoriser à effectuer des vols sur des lignes assurées par cette dernière signifierait en effet devoir modifier la concession accordée à l'entreprise et impliquerait le versement d'indemnités importantes [69].
L'accord de coopération signé en 1996 par Swissair, Sabena et Austrian Airlines a suscité la réaction du commissaire européen à la concurrence. Estimant que cette coopération excluait toute concurrence sur les lignes reliant les trois pays, le responsable européen a en effet ordonnée une enquête. Suivant les conclusions de celle-ci, la participation de Swissair au capital de Sabena - pourtant approuvée en 1995 par la commission - pourrait être remise en cause.
Le Conseil national a transmis une motion de la commission de gestion demandant au gouvernement de confier à la société Rega, et non plus à l'OFAC, l'exécution des opérations de recherche d'aéronefs civils. Dans le souci de simplifier la chaîne de secours et de supprimer les doubles emplois (maintien de deux flottes, existence de deux services de piquet, etc.), la grande chambre a en effet estimé que la Rega, chargée actuellement uniquement d'effectuer les opérations de sauvetage, devrait être dès le début responsable de l'ensemble des opérations. Les députés ont en revanche rejeté une motion du groupe écologiste et une motion Meier (pe, ZH) demandant d'interdire, respectivement, les meetings aériens et les atterrissages et décollages d'aéronefs entre 23 h 00 et 05 h 30. Ils ont fait de même par ailleurs avec un postulat Gros (pl, GE) invitant le gouvernement à lever l'interdiction frappant les ultralégers motorisés (ULM[71].
 
[68] Presse des 17.4, 1.5 et 9.5.96. Certes atténuée par les mesures du CF, la tension entre Swissair et la direction de Cointrin n'en a pas pour autant totalement disparu. C'est ainsi que l'aéroport genevois a décidé durant l'été de supprimer les privilèges dont bénéficiait la compagnie helvétique en matière de taxes d'atterrissage. Swissair a vivement critiqué cette décision, estimant qu'elle ne pourrait que mettre en péril la santé de la compagnie et, par conséquent, sa présence à Genève. L'aéroport genevois a répliqué en soulignant que les privilèges de la compagnie n'avaient plus de raison d'être, ceux-ci ayant été accordés afin que les vols en partance de Zurich et transitant par Genève - supprimés entre-temps par la compagnie - ne soient taxés à deux reprises par Kloten et Cointrin: presse des 12.9 et 10.10.96; NQ, 30.9.96.68
[69] Presse du 10.12.96.69
[71] BO CN, 1996, p. 61 ss.71