Année politique Suisse 1997 : Chronique générale / Défense nationale / Organisation militaire
Le Conseil fédéral a publié son message concernant la privatisation des quatre entreprises d'armement et d'entretien de la Confédération. Selon le projet de l'exécutif, ces dernières, jusqu'à présent institutions dépendantes de droit public, seront transformées en sociétés anonymes de droit privé et chapeautées par un holding. Une partie du capital pourra être détenue en mains privées. Afin de pouvoir exercer un contrôle stratégique sur des entreprises indispensables à la sécurité militaire du pays, la Confédération devrait en principe rester l'actionnaire majoritaire. Une décision de l'Assemblée fédérale pourra cependant autoriser la cession de la majorité du capital à des tiers. Cette privatisation ne sera par ailleurs pas sans effet sur les rapports de service du personnel. Les employés des futures SA perdront en effet leur statut de fonctionnaire et seront engagés sur la base de contrats de droit privé, l'exécutif étant de l'avis que les entreprises privatisées doivent bénéficier d'un maximum d'autonomie sur le plan de la gestion de leurs ressources humaines. Une réglementation transitoire en matière de garantie d'emploi et de salaire devrait cependant permettre de diminuer les conséquences sociales négatives de la modification des rapports de service.
Au dire du Conseil fédéral, la réforme présentée est indispensable si l'on entend garantir une
industrie d'armement performante et à même de contribuer à la
sécurité militaire du pays. La baisse des commandes induite tant par les restrictions budgétaires que par la réduction de la taille de l'armée (Armée 95) a en effet placé ces entreprises dans une situation peu favorable au maintien de la capacité technologique et du savoir-faire indispensable à la politique d'armement du pays. La privatisation envisagée devrait apporter une solution. Jouissant désormais d'une autonomie opérationnelle importante, les entreprises pourront déceler de nouveaux débouchés dans le domaine civil, compensant ainsi la baisse des commandes de l'armée. La possibilité pour d'autres entreprises de participer au capital des futures SA devrait également permettre de bénéficier de synergies intéressantes. Ce développement d'activités civiles et de coopération avec des tiers ne devra cependant pas contrevenir aux intérêts de la Confédération en matière de défense nationale
[15].
Examinant le projet lors de sa session d'été, le Conseil national a adopté assez facilement le texte proposé malgré l'opposition des représentants socialistes et l'abstention de quelques députés indépendants, évangéliques et démocrates-chrétiens. La majorité bourgeoise de la chambre a salué la réforme proposée, relevant que la privatisation permettra aux entreprises de se gérer de manière plus efficace et plus proche des marchés.
Lors de l'examen détaillé des articles, la seule modification apportée au projet gouvernemental eut trait à la disposition qui stipulait que le développement d'activités non strictement militaires ne devait pas contrevenir aux intérêts de la Confédération en matière de sécurité. Décidant de biffer cet article sur proposition de la commission pour la sécurité, la majorité de la chambre du peuple a en effet estimé qu'une telle disposition pourrait dissuader les investisseurs de participer au capital des futures sociétés anonymes. Certains parlementaires ont par ailleurs ajouté que la Confédération pourrait toujours faire entendre suffisamment sa voix au sein des conseils d'administration en tant qu'actionnaire majoritaire.
Les autres propositions de modification, qui visaient principalement à mieux prendre en compte certaines conséquences socio-économiques de la privatisation, furent en revanche rejetées. Il en est allé ainsi par exemple d'une proposition démocrate-chrétienne d'obliger les futures sociétés à tenir compte des intérêts des régions les plus défavorisées, les conseillers nationaux estimant une telle disposition contraire à la libéralisation par ailleurs souhaitée.
La grande chambre a également
rejeté les multiples propositions socialistes (appuyées par les verts et les indépendants)
visant à offrir le maximum de protection au personnel. De l'avis que des dispositions transitoires permettront d'atténuer l'impact social négatif de la privatisation, les députés ont notamment refusé de garantir à long terme les salaires actuels, relevant que s'interdire de baisser des revenus en moyenne 15%, voire 30% plus élevés que ceux usuels dans la branche ne pourrait que nuire à la compétitivité des futures sociétés. Une proposition d'accorder au personnel une représentation équitable au sein du conseil d'administration fut elle aussi repoussée, la majorité bourgeoise du Conseil national arguant qu'il fallait laisser le maximum de marge de manoeuvre aux dirigeants. Enfin, la majorité de la grande chambre a accordé le même sort à une proposition Chiffelle (ps, VD) qui demandait de faire figurer dans la loi une disposition enjoignant les entreprises à accroître leurs activités civiles. Nombreux furent les conseillers nationaux bourgeois à souligner que derrière les intentions déclarées de cette proposition - favoriser la viabilité économique des entreprises concernées et maintenir de nombreux emplois - se cachait la volonté de priver l'armée suisse d'une industrie d'armement indigène
[16].
Transmis au Conseil des Etats, le projet de loi a également très largement reçu l'approbation des sénateurs, ces derniers adoptant sans aucune modification le texte qui leur était soumis. La suppression de la disposition soumettant le développement des activités civiles des entreprises au respect des intérêts de la Confédération a notamment été acceptée tacitement. Les deux seuls points à faire l'objet de discussions eurent trait au statut de l'entreprise ainsi qu'à la question du personnel. En ce qui concerne le premier point, les sénateurs eurent à débattre d'une proposition Danioth (pdc, UR) demandant que les entreprises d'armement soient transformées en sociétés anonymes non pas de droit privé mais de droit public. Selon les partisans de cette solution - les représentants socialistes et certains démocrates-chrétiens - le statut qu'ils préconisaient permettait notamment de mieux protéger les intérêts de la Confédération en matière de défense nationale dans la mesure où il autorisait un contrôle plus direct sur l'entreprise et qu'il excluait toute cession de la majorité du capital à des tiers. La majorité du Conseil des Etats a rejeté assez largement cette proposition arguant principalement que seul le statut de droit privé permettrait aux entreprises d'être viables au sein d'un marché de l'armement passablement contracté. Au sujet du deuxième objet de discussions, les sénateurs ont débattu d'une proposition Brunner (ps, GE) demandant de mentionner dans la loi l'obligation pour les employeurs de négocier une convention collective de travail. Rejetant la proposition, la majorité de la chambre des cantons a souligné que ce complément à la loi était absolument inutile dans la mesure où la négociation de conventions collectives était une pratique quasiment institutionnalisée en Suisse.
[15]
FF, 1997, III, p. 708 ss.; presse du 17.4.97. Voir également
APS 1996, p. 97.15
[16]
BO CN, 1997, p. 1409 ss.16
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