Année politique Suisse 1997 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie / Energie nucléaire
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Centrales nucléaires
Deux décisions majeures sont venues couronner la lutte menée depuis une dizaine d'années par les opposants à la centrale nucléaire de Creys-Malville (France voisine). En mars tout d'abord, le Conseil d'Etat français - la plus haute juridiction administrative du pays - a décidé d'annuler le décret que le gouvernement Balladur avait arrêté en juillet 1994 et qui autorisait le redémarrage du surgénérateur à des fins de recherche et de démonstration. Les magistrats français ont ainsi répondu favorablement aux trois requêtes déposées simultanément par le WWF-Genève et les nombreuses communes et associations suisses qui l'épaulaient, par le canton de Genève et par la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature. Le décret de 1994 a été déclaré illégal en raison de la subite reconversion de Superphénix en une installation de recherche, alors que ni la demande de remise en fonction déposée en 1992 par l'exploitant de la centrale, ni le dossier soumis à l'enquête publique ne stipulaient un pareil changement d'affectation. Dopés par cette décision tant attendue, les opposants à la centrale - dont le front continua à s'élargir avec l'entrée dans leurs rangs de plusieurs collectivités publiques autrichiennes et italiennes - ne relâchèrent cependant pas leurs pressions en vue d'un abandon définitif de Superphénix, qui aurait pu redémarrer au terme d'une enquête publique conforme à la nouvelle finalité du réacteur. Leur voeu ne tarda toutefois pas à être exaucé suite à l'arrivée au pouvoir du gouvernement Jospin qui, sous l'impulsion de la ministre française de l'environnement, Dominique Voynet, annonça son intention d'arrêter définitivement le surgénérateur. Les modalités et le calendrier du démantèlement du réacteur n'étaient toutefois pas encore connus à la fin de l'année sous revue, ce qui suscita à nouveau l'inquiétude des opposants à Creys-Malville [23].
Alors qu'ils avaient obtenu gain de cause devant la Commission des droits de l'homme en 1996, les recourants contre la décision prise en 1992 par le Conseil fédéral de prolonger de dix ans l'exploitation de la centrale de Mühleberg (BE) et d'autoriser parallèlement l'augmentation de sa puissance de 10% ont finalement été déboutés par la Cour européenne des droits de l'homme. Par douze voix contre huit, les juges de Strasbourg ont en effet estimé que la législation suisse relative aux infrastructures nucléaires respecte la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), même si la procédure d'autorisation en la matière ne permet pas aux parties de s'adresser à un tribunal indépendant. Signalons cependant qu'une telle prérogative figurera dans le projet de révision totale de la loi sur l'énergie atomique qui sera mis en consultation en 1998 [24].
Une inspection de la Division principale de la sécurité des installations nucléaires (DSN) a révélé que les fissures constatées dès 1990 dans le manteau du réacteur de la centrale de Mühleberg se sont aggravées au cours de l'année 1996-1997. Estimant qu'il convenait de prendre toutes les précautions possibles en la matière, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger a alors demandé une expertise à un consultant allemand indépendant afin de s'assurer que - conformément au dire de la DSN - ces fissures ne sont pas préjudiciables à la sécurité de l'installation. Saluée par les mouvements écologistes, la décision du chef du DFTCE a en revanche suscité l'incompréhension de l'Association suisse pour l'énergie atomique (ASPEA) pour qui l'avis de la DSN ne saurait être mis en doute. Ces interrogations concernant la sécurité de la centrale bernoise n'ont toutefois pas empêché la mise à l'enquête publique de la demande d'exploitation illimitée de Mühleberg que les Forces motrices bernoises (FMB) avaient adressée au Conseil fédéral en 1996. Celle-ci a cependant donné lieu à une véritable levée de boucliers de la part des opposants à la centrale, puisque pas moins de 1170 particuliers et quatre organisations antinucléaires ont fait opposition à la requête des FMB. Le gouvernement a pour sa part déclaré ne vouloir se prononcer sur cette question qu'une fois connus les résultats de l'expertise sur les fissures dans la jupe du réacteur.
En raison de la corrosion anormalement importante de certains éléments du réacteur de la centrale nucléaire de Leibstadt (AG), le DFTCE a décidé de suspendre la procédure d'autorisation concernant l'éventuelle augmentation de 15% de la puissance de cette centrale. Estimant que les conditions techniques étaient à nouveau remplies à l'issue de la révision annuelle de l'installation, les exploitants de la centrale ont à nouveau sollicité le feu vert du Conseil fédéral pour porter la puissance du réacteur de 3138 à 3600 mégawatts [26].
 
[23] Presse des 1.3 (Conseil d'Etat), 15.4 et 20.6.97; JdG, 20.3, 17.6 et 21.6.97; NQ, 10.6, 30.10, 17.12 et 24.12.97; BaZ, 16.6.97; SGT, 10.12.97. Voir également APS 1994, p. 140.23
[24] Presse des 21.2 et 27.8.97. Cf. également APS 1996, p. 167. Il est à noter que deux autres affaires similaires sont encore pendantes à Strasbourg, l'une concernant la prolongation de l'exploitation de Beznau II (AG), l'autre visant l'autorisation accordée en 1996 pour le dépôt intermédiaire central pour déchets radioactifs à Würenlingen (AG): Lib., 27.8.97.24
[26] Blick, 6.4.97; AZ, 5.7, 15.8, 9.12 et 19.12.97; presse du 11.7.97; SGT, 30.7.97; TA, 4.8.97; NLZ, 6.8.97. Voir aussi APS 1996, p. 167.26