Année politique Suisse 1998 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie / Politique énergétique
Sous la pression de l'ouverture du marché de l'électricité dans l'Union européenne prévue pour 1999, la Suisse s'apprête elle aussi à libéraliser ce secteur jusqu'ici en situation monopolistique. Le Conseil fédéral a
mis en consultation en début d'année un avant-projet de loi sur le marché de l'électricité. Ce dernier consiste en une loi cadre qui s'appuie sur les principes de coopération et de subsidiarité. Il propose un accès réglementé au réseau sur la base d'un accord et formule les principes régissant la gestion du réseau, la compatibilité et la sécurité de l'approvisionnement. La
libéralisation se fera
par étapes sur neuf années. A l'entrée en vigueur de la loi, seuls les gros consommateurs auront accès au libre marché. Cette première étape concernera 114 entreprises suisses consommant plus de 20 gigawattheures annuellement. Elle permettra de libéraliser 21% de l'ensemble du marché. Après trois ans, la part s'élèvera à 33%, puis à 60% après six ans et enfin à la totalité au bout de neuf ans. Parallèlement, les petites usines de distribution devront vendre un courant issu du marché libre à hauteur de 10% pour les trois premières années, de 20% pour les trois suivantes, puis de 50% et atteindre les 100% après neuf ans. Selon l'Union des centrales suisses d'électricité (UCS), les investissements non amortissables (INA) s'élèveraient à 4,8 milliards de francs si l'ouverture se faisait totalement en 1999. Ce montant diminuerait avec une libéralisation progressive pour atteindre entre 700 millions et 1,8 milliard de francs. Les consommateurs devront payer cette somme; le projet de loi autorise en effet les fournisseurs à augmenter temporairement (10 ans au maximum) leurs tarifs afin de rembourser ces investissements. Cela consistera en une hausse du kwh de 0,18 à 0,45 centime, selon l'Office fédéral de l'énergie. Le produit de cette augmentation sera réuni dans un fonds privé qui servira à indemniser les INA ainsi qu'à maintenir ou rénover des centrales hydrauliques. Les centrales nucléaires n'ont pas été exclues de l'indemnisation des INA. Le projet demande d'encourager au moyen d'un fonds de soutien les énergies renouvelables. Les distributeurs d'électricité devront en acquérir une part minimale. Le projet recommande également la création d'une seule société suisse de réseau qui sera issue du rapprochement entre les six grandes compagnies nationales. Une commission d'arbitrage est aussi prévue. Quant aux 900 sociétés de distribution au détail, elles devront se concentrer
[13].
L'avant-projet de loi s'est heurté en
procédure de consultation à d'âpres résistances, même si la majorité des acteurs concernés ont reconnu la nécessité de la libéralisation. L'encouragement des énergies renouvelables et la compensation des INA – deux pièces majeures du dossier – ont fait l'objet de
critiques acerbes. Il en a été de même pour la création d'une société suisse unique pour l'exploitation du réseau. Concernant la priorité donnée aux énergies renouvelables, le Vorort, l'USAM, l'UCS, Migros, l'Union des villes suisses, plusieurs partis (PRD, PL, UDC) et la commission de la concurrence s'y sont opposés. Parmi les partisans d'un encouragement aux énergies renouvelables, le PS et le PDC ont souhaité maintenir la compétitivité des centrales hydroélectriques avec l'aide d'une taxe sur les énergies non renouvelables. Les cantons de montagne ont réclamé haut et fort cette taxe pour accompagner l'ouverture du marché de l'électricité. Ils ont demandé que la moitié des recettes de la taxe soit affectée à l'encouragement des énergies renouvelables. Concernant l'indemnisation des INA, le Vorort a exprimé son désaccord, estimant que les consommateurs n'avaient pas à payer pour les mauvais investissements des centrales. L'USAM, l'Union suisse des paysans et la commission de la concurrence s'y sont opposés. Les milieux écologistes et le PS se sont opposés à toute indemnisation des INA pour les centrales nucléaires. Concernant la création d'une société suisse unique pour l'exploitation du réseau, la gauche est d'accord, le Vorort, l'UCS, l'UDC et le PRD sont contre. L'UCS a proposé un bureau de coordination pour les lignes du réseau et réclamé un rythme d'ouverture plus lent. La commission de la concurrence, qui a vivement critiqué tout le projet, a néanmoins soutenu ce dernier point
[14].
Les
producteurs d'électricité suisses ont entamé leur restructuration en vue de la prochaine libéralisation du secteur. Ainsi, les Entreprises électriques fribourgeoises (EEF) se sont alliées avec le quatrième producteur européen, le munichois Bayernwerk. Cette alliance permettra aux EEF de maîtriser les deux tiers du courant qu'elles vendront, contre un tiers auparavant. Cette démarche n'a pas plu au grossiste romand EOS (Energie Ouest Suisse) qui s'estimait le fournisseur exclusif des EEF jusqu'en 2008. De même, sept grandes centrales d'électricité de villes suisses ont décidé de s'unir afin d'offrir des prestations en énergie communes pour leurs clients transrégionaux. Elles ont ainsi formé une communauté d'intérêts de services énergétiques réunissant des centrales électriques des villes de Zurich, Berne, Winterthur, Lucerne, St.Gall, Schaffhouse et Bâle. Genève et Lausanne sont dans le groupe de travail, mais n'ont pas encore pris leur décision pour adhérer à la communauté
[15].
Sept grosses sociétés de distribution ont annoncé qu'elles ne poursuivraient plus le projet de société unique, mais plutôt celui d'une entreprise de coordination technique du réseau de haute tension
[16].
[13] Presse du 21.2.98.13
[14]
Bund, 16.2.98;
NZZ et
LT, 25.4.98;
NZZ, 29.4 et 14.7.98;
TA, 12.5 et 18.5.98;
Lib., 15.5.98; presse du 17.9.98.
Cf. aussi
APS
1997, p. 165.14
[15]
Lib., 1.7.98;
NZZ, 7.8.98.15
[16]
NZZ, 3.12 et 5.12.98.16
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